CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 07/02/2023, 21MA00329, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision07 février 2023
Num21MA00329
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. MARCOVICI
RapporteurM. Stéphen MARTIN
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsSBV AVOCATS AARPI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 23 février 2018 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont il souffre, ainsi que la décision portant rejet de son recours gracieux, d'autre part, d'enjoindre au service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie pour la période courant entre le 20 octobre 2009 et le 20 avril 2012, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, avec toutes les conséquences de droit, notamment celle de lui verser la somme de 26 391,79 euros en rappel de traitement, la somme de 3 666,32 euros en rappel du régime indemnitaire et la somme de 1 407,69 euros en rappel des indemnités exceptionnelles, et, enfin, de condamner le service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis.

Par un jugement n° 1808962 du 23 novembre 2020, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 23 février 2018, ainsi que la décision de rejet du recours gracieux de M. A..., a enjoint au service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la demande de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de cent euros par jour de retard, et a condamné le service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône à verser à M. A... la somme de 1 500 euros en réparation de ses préjudices.

Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2021, le service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône, représenté par Me Valette, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1808962 du 23 novembre 2020 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le jugement du tribunal administratif de Marseille est entaché d'une erreur de droit, se fondant à tort sur des dispositions qui ne s'appliquent pas aux agents de la fonction publique territoriale ;
- le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des pièces du dossier en ce que les premiers juges ont estimé que le service départemental d'incendie et de secours avait saisi la commission de réforme sur le seul fondement de la reconnaissance de la maladie comme figurant dans le tableau des maladies professionnelles n° 98, et d'autre part, que la commission ne s'est pas interrogée sur le caractère imputable au service de la maladie de M. A... ;
- en tout état de cause, quand bien même l'avis mentionnerait seulement la reconnaissance de la maladie professionnelle n° 98 et ne se serait pas prononcé sur le caractère imputable au service de la maladie, un tel vice n'aurait pas privé de garantie M. A... ;
- le jugement a dénaturé les faits en accordant à M. A... la réparation de son préjudice moral en condamnant le service départemental d'incendie et de secours au versement de la somme de 1 500 euros dès lors qu'il n'est établi aucun comportement fautif de l'administration et que l'intéressé n'apporte pas la preuve d'un préjudice direct et certain ni d'un lien de causalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2022, M. A..., représenté par Me Journault, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge du service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône le paiement de la somme de
3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me Journault, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., titulaire du grade de lieutenant de première classe des sapeurs-pompiers professionnels, a exercé ses fonctions au sein du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Bouches-du-Rhône jusqu'au 1er décembre 2016, date à laquelle il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite. Souffrant de lombalgies ayant nécessité plusieurs interventions chirurgicales, il a saisi son employeur d'une demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie, demande rejetée par une première décision du
15 mai 2012. Par un jugement du 12 juin 2014, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision et enjoint au SDIS de procéder au réexamen de la demande de M. A... dans un délai de deux mois. A la suite de ce jugement, une nouvelle décision de refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de l'intéressé est intervenue le 22 décembre 2014. Par un deuxième jugement, rendu le 28 juin 2017, le tribunal administratif de Marseille a de nouveau annulé la décision du SDIS et l'a enjoint de procéder à un nouvel examen de la demande de
M. A... dans un délai de deux mois. A l'issue de ce nouvel examen, le SDIS des Bouches-du-Rhône, après avoir recueilli l'avis de la commission de réforme, a, pour la troisième fois, rejeté la demande de reconnaissance d'imputabilité au service de la maladie de M. A..., et ce par une décision du 23 février 2018. Par la présente requête, le SDIS des Bouches-du-Rhône relève appel du jugement du 23 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 23 février 2018, ensemble la décision de rejet du recours gracieux exercé à son encontre, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois, et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et l'a condamné à verser à
M. A... la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de la décision du 23 février 2018 :

2. En premier lieu, il ressort du paragraphe 6 du jugement attaqué que les premiers juges ont fait référence à l'article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 laquelle, en ce qu'elle porte dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, n'est pas applicable à la situation de M. A..., qui relève de la fonction publique territoriale. Toutefois, une telle mention résulte nécessairement d'une simple erreur de plume sans aucune incidence sur le
bien-fondé de ce jugement, dont les visas mentionnent non pas la loi du 9 janvier 1986 mais la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dont les dispositions du 2° de l'article 57, qui prévoient notamment que l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales, sont identiques à celles, certes citées à tort, de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

3. En deuxième lieu, si le SDIS des Bouches-du-Rhône soutient que le tribunal administratif a commis des " dénaturations des pièces du dossier ", ce moyen, qui relève de la cassation, ne saurait être accueilli en appel.

4. En troisième lieu, et d'une part, aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions.
Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".

5. D'autre part, l'application des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique instituant un " congé pour invalidité temporaire imputable au service " par insertion dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires d'un article 21 bis n'est pas possible en l'absence d'un texte réglementaire fixant, notamment, les conditions de procédure applicables à l'octroi de ce nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service. Les dispositions de
l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ne sont donc entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique territoriale, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 12 avril 2019, du décret du 10 avril 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique territoriale, par lequel le pouvoir réglementaire a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour cette fonction publique et dont l'intervention était, au demeurant, prévue sous forme de décret en
Conseil d'Etat par le VI de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017.

6. Il résulte de ce qui précède qu'à la date de la décision en litige, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, aux termes desquelles est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau, n'étaient pas applicables à la situation de M. A.... Dès lors, pour statuer sur la demande de reconnaissance d'imputabilité au service de la maladie de l'intéressé, il appartenait au SDIS de vérifier, après avis de la commission de réforme, si la pathologie en cause présentait un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter son développement, réserve étant faite du fait personnel de l'agent ou de toute autre circonstance particulière conduisant à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

7. S'il est exact, ainsi que le soutient le SDIS, que, par sa décision du 23 février 2018, l'administration s'est prononcée conformément aux critères exposés au point précédent, et a considéré qu'aucun lien ne pouvait être établi entre la maladie de M. A... et les fonctions qu'il a exercées, il ressort toutefois de l'avis de la commission de réforme que cette dernière ne s'est pas prononcée sur ce point, dès lors qu'elle s'est bornée à constater l'absence des critères fixés par le tableau n° 98 des maladies professionnelles relatif aux affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes. Ainsi, indépendamment du contexte dans lequel cette instance a été saisie pour avis, elle ne peut être regardée comme s'étant prononcée, même implicitement, sur l'existence d'un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie de M. A.... Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la décision en litige était intervenue au terme d'une procédure irrégulière.


8. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

9. Au cas particulier, le vice entachant l'avis de la commission de réforme doit être regardé comme ayant privé M. A... de la garantie qui s'attache à ce que son dossier soit examiné par cette instance dans les conditions législatives et réglementaires applicables à la date à laquelle elle a statué, et qui impliquaient qu'elle recherche l'existence d'un lien ou l'absence de lien direct entre la maladie de l'intéressé et le service. La circonstance déjà exposée, selon laquelle le SDIS a procédé explicitement à cette analyse dans la décision en litige, ne saurait, à cet égard, suffire à démontrer que M. A... n'aurait pas été privé d'une telle garantie, aucune donnée médicale ne venant au demeurant corroborer l'analyse dont il s'agit.

10. Par suite, le SDIS des Bouches-du-Rhône n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'erreur de droit.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

11. En premier lieu, pour le même motif que celui exposé au point 3 du présent arrêt, le moyen tiré d'une " dénaturation des faits " entachant le jugement attaqué doit être écarté.

12. En second lieu, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé, au regard des certificats médicaux produits, que M. A... justifiait présenter un état anxio-dépressif et un état de stress trouvant leur origine dans la longueur de la procédure mise en œuvre à son égard par l'administration, et résultant de la succession des décisions illégales prises à son endroit. Ils ont par ailleurs fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à 1 500 euros. Dans ces conditions, le SDIS des Bouches-du-Rhône n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille l'a condamné à verser une somme de 1 500 euros à M. A... en réparation de son préjudice moral.

Sur les frais d'instance :

13. M. A... n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par le SDIS des Bouches-du-Rhône sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge du SDIS des Bouches-du-Rhône une somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D É C I D E :


Article 1er : La requête du service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône est rejetée.
Article 2 : Le service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône versera une somme de 2 000 euros à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône et à M. C... A....


Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2023.
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N° 21MA00329