CAA de NANTES, 6ème chambre, 14/03/2023, 22NT00112, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 22 avril 2005 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a rejeté sa demande de pension militaire de veuve.
Par un jugement n° 1905448 du 15 novembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 janvier 2022, Mme A... demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler la décision du 22 avril 2005 du ministre de la défense ;
3°) de lui accorder le bénéfice d'une pension militaire à compter du 29 octobre 2002, date du décès de son époux ;
4°) de majorer le montant des arrérages de pension dus, des intérêts de droit à compter du 28 juin 2004, date de sa demande de pension, avec capitalisation des intérêts échus ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- en application de l'ancien article 43 combiné avec les articles L.2 et L.3 du code des pensions militaires d'invalidité, elle peut prétendre à une pension militaire de veuve car elle établit l'existence d'un lien de causalité entre le décès de son époux et la maladie qu'il a contractée par le fait ou à l'occasion du service ;
- les éléments versés au dossier établissent que son mari a été exposé aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français ; au cours de son séjour en Polynésie française, deux essais atmosphériques ont été réalisés ;
- le caractère radioinduit du cancer qui a entrainé le décès de M. A... a été reconnu par le tribunal administratif de Rennes par un jugement du 31 décembre 2015 et ce, par une appréciation qui a été confirmée par le Conseil d'Etat ;
- le lien direct entre le cancer du foie et l'exposition aux rayonnements est établi et on ne retrouve pas d'antécédent notable dans l'histoire médicale de M. A....
Par un mémoire enregistré le 22 septembre 2022, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., né le 27 juin 1952, appelé du contingent à compter du 3 juin 1972, a été affecté au service des essences des armées (SEA) sur l'atoll de Hao en Polynésie française du 10 juillet 1972 au 7 mai 1973. Au cours de cette période, un essai nucléaire atmosphérique et un essai de sécurité ont été effectués. A la suite de son décès, survenu le 29 octobre 2002, des suites d'un carcinome hépatocellulaire, son épouse Mme A... a présenté une demande de pension militaire de veuve. Par une décision du 22 avril 2005, le préfet d'Ille-et-Vilaine a rejeté cette demande au motif que le décès de M. A... n'était pas imputable au service ni par présomption ni par preuve. La requête que Mme A... a, alors, présentée devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Quimper a fait l'objet de plusieurs renvois d'audience dans l'attente des décisions de la commission d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Sa requête a ensuite été attribuée au tribunal administratif de Rennes devenu compétent par l'effet de la loi. Mme A... relève appel du jugement par lequel cette juridiction a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 avril 2005.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 43 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction alors applicable : " Ont droit à pension : (...) 2° Les veuves des militaires et marins dont la mort a été causée par des maladies contractées ou aggravées par suite de fatigues, dangers ou accidents survenus par le fait ou à l'occasion du service, (...) ". Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre alors applicable : " Ouvrent droit à pension : / (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code alors applicable : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / (...) 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; (...) / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, (...) pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. ".
3. En premier lieu, si à l'appui de sa demande Mme A... soutient que l'article 54 de la loi susvisée de programmation militaire du 13 juillet 2018 a modifié substantiellement le code des pensions militaires en facilitant la reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie affectant le militaire, il résulte cependant de l'instruction qu'eu égard à la date à laquelle la maladie de M. A... a été constatée, soit au cours de l'année 2002 et à la date à laquelle, après son décès survenu le 29 octobre 2002, son épouse a présenté une demande de pension militaire de veuve, les dispositions invoquées n'étaient pas encore entrées en vigueur. Mme A... n'établit pas non plus remplir les conditions permettant de bénéficier de la présomption d'imputabilité prévue par l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Il s'ensuit qu'il incombe à la requérante, en vertu des dispositions combinées des articles L. 2 et L. 3, d'apporter la preuve de cette imputabilité par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges.
4. En second lieu, Mme A... soutient que les éléments versés aux débats établissent que son mari a été exposé aux rayons ionisants dus aux essais nucléaires français en relevant qu'au cours de son séjour en Polynésie française, deux essais atmosphériques ont été réalisés.
5. Toutefois, il résulte de l'instruction que M. A... a accompli son service militaire au service des essences des armées au sein de la 15ème compagnie d'état-major et des services du Pacifique en étant affecté du 10 juillet 1972 au 8 mai 1973 à Hao, atoll qui est situé en Polynésie française à 475 kilomètres de Mururoa où il a été procédé à un essai nucléaire, de faible énergie, le 29 juillet 1972 et à une expérience de sécurité le 31 juillet 1972 au cours de laquelle aucune énergie nucléaire n'a été dégagée. Si M. A..., en tant qu'agent du service des essences était au contact des aéronefs en général, il ne résulte pas davantage en appel qu'en première instance de l'instruction qu'il s'est trouvé au contact des avions en charge des prélèvements d'échantillons d'aérosol dans le nuage radioactif alors que ces appareils suivaient à leur retour à Hao une procédure de décontamination. Mme A... n'apporte à cet égard aucun élément sur les fonctions alors effectivement assurées par son mari.
6. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction que les mesures de surveillance générale sur le site n'ont pas montré au cours de la période de service de M. A... d'exposition particulière sur l'atoll d'Hao.
7. En troisième et dernier lieu, si les décrets du 11 juin 2010 et du 30 avril 2012, pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance des victimes des essais nucléaires français, ont classé respectivement, d'une part, le centre de décontamination des appareils et du personnel, le centre d'intervention et de décontamination et le centre technique de Hao et, d'autre part et ensuite, l'ensemble de cet atoll comme zone dans laquelle un séjour ouvre droit à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français au titre de la loi précitées, ces dispositions, depuis abrogées en ce qui concerne l'atoll d'Hao, n'ont cependant pas modifié les conditions d'attribution des pensions militaires d'invalidité. Mme A... n'apporte aucun élément quant à l'intensité de l'exposition à la radioactivité à laquelle son mari aurait pu être exposé sur l'atoll de Hao à l'occasion de l'unique tir d'essai nucléaire auquel il a assisté alors qu'il résulte de l'instruction que les navires citernes de ravitaillement en eau de la zone, faisant l'objet d'un contrôle radiologique particulier, n'ont montré aucune irradiation à Hao, et que le poste de contrôle radiologique permanent et le poste de contrôle biologique de l'atoll n'ont enregistré aucune exposition au rayonnement initial ou différé sur cet atoll pendant la période de présence de M. A.... Par ailleurs, si le même décret du 11 juin 2010 place le cancer du foie dans la liste des pathologies susceptibles d'être provoquées par les substances radio actives, Mme A... n'apporte aucun élément médical pour rattacher la maladie ayant causé le décès de son mari à son activité professionnelle et au risque d'irradiation encouru durant son séjour en Polynésie. Dans ces conditions, et compte tenu de ce qui vient d'être rappelé, le fait que M. A... a pu bénéficier, à raison de l'exercice des fonctions exercées du 10 juillet 1972 au 7 mai 1973 sur l'atoll de Hao, d'une indemnisation au titre de la loi du 5 janvier 2010 qui institue un régime de présomption d'une exposition au risque de contamination n'est pas un élément suffisant permettant de prouver que sa maladie a été contractée à l'occasion du service.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 22 avril 2005 rejetant sa demande de pension militaire de veuve.
Sur les autres conclusions :
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que les conclusions tendant au bénéfice du versement d'une pension militaire de veuve à compter du 29 octobre 2002 et à la majoration de ses arrérages ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 17 février 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 mars 2023.
Le rapporteur,
O. B...Le président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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