CAA de NANTES, 3ème chambre, 16/03/2023, 22NT00811, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision16 mars 2023
Num22NT00811
JuridictionNantes
Formation3ème chambre
PresidentM. SALVI
RapporteurMme Judith LELLOUCH
CommissaireM. BERTHON
AvocatsCAVELIER

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler le rejet implicite du directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen de sa demande tendant à la modification de l'arrêté du 6 février 2020 et au versement d'une somme de 14 589,28 euros au titre du remboursement de frais paramédicaux et en réparation de divers préjudices, avec intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande préalable du 2 juin 2020.

Par un jugement n° 2001871 du 19 février 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 mars 2022, Mme A..., représentée par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 19 février 2022 en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner le CHU de Caen à lui verser une somme de 13 210 euros avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la réclamation préalable ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Caen une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le délai anormalement excessif de près de deux ans dans lequel le CHU de Caen a statué sur sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident est fautif, et de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier à son égard ; ce retard fautif lui a causé un préjudice moral qu'elle évalue à la somme de 4 000 euros ;
- les agissements répétés à son égard depuis 2014 du cadre de santé, qui ont largement excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, et dont elle a été la cible quasi-exclusive, sont de nature à caractériser un harcèlement moral et permettaient à tout le moins de présumer l'existence d'un tel harcèlement ; ce harcèlement moral lui a causé un préjudice moral qu'il y a lieu d'évaluer à la somme de 5 000 euros ;
- elle a droit au remboursement des frais qu'elle a engagés à raison de son état de santé imputable à son accident de service, à savoir, une somme de 4 015 euros en remboursement des séances chez sa psychologue clinicienne, une somme de 75 euros en remboursement d'une consultation chez une sophrologue, une somme de 120 euros en remboursement de trois séances de diététique ;
- l'absence de faute de la part du CHU de Caen ne remet pas en cause son droit à indemnisation au titre du harcèlement moral, en vertu de la jurisprudence, ainsi que l'a rappelé le Conseil d'Etat dans la décision n° 415863.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2022, le CHU de Caen conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce que soit mis à la charge de la requérante le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués par Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les pièces du dossier.
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Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 88-436 du 19 avril 1988 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Berthon , rapporteur public,
- et les observations de Me Lacroix, représentant le CHU de Caen.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A..., infirmière diplômée d'État relevant des cadres du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen depuis 1993, est en arrêt de travail depuis le 4 octobre 2016. Par décision du 6 février 2020, le directeur général du CHU de Caen a reconnu l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A... à compter du 4 octobre 2016 et a pris en charge les arrêts de travail de l'intéressée à compter de cette même date au titre de l'accident de service du 4 octobre 2016. Par courrier du 2 juin 2020, Mme A... a sollicité, d'une part, la modification de cette décision afin d'être placée en congé de longue durée pour accident de service à compter du 4 octobre 2016 puis, à compter de janvier 2017, en congé pour invalidité temporaire imputable au service, et d'autre part, l'indemnisation des préjudices résultant de diverses fautes qu'elle impute au CHU de Caen. Cette demande a été implicitement rejetée. Par jugement du 19 janvier 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande du 2 juin 2020 et à l'indemnisation des préjudices qu'elle impute à l'accident dont elle a été victime le 4 octobre 2016. Mme A... relève appel de ce jugement en tant seulement qu'il rejette ses conclusions indemnitaires.
2. Mme A... demande, d'une part, le remboursement de divers frais restés à sa charge qu'elle estime directement imputables à l'accident de service du 4 octobre 2016, d'autre part, à être indemnisée du délai excessif de traitement de sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de ses arrêts de travail depuis le 4 octobre 2016, et enfin à être indemnisée du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime de la part de son cadre de santé.
Sur le droit de Mme A... au remboursement des frais paramédicaux restés à sa charge :

3. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986, dans sa version antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 demeurée applicable jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 13 mai 2020 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...). / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article
L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. ".
4. Mme A... demande le remboursement des frais de consultation d'une psychologue clinicienne qui la suit régulièrement depuis l'entretien reconnu comme accident de service du 4 octobre 2016. Il résulte de l'instruction que ces frais, correspondant aux séances de psychothérapie suivies entre novembre 2016 et juin 2020, présentent un caractère d'utilité directe pour parer aux conséquences du syndrome dépressif présenté par Mme A... à l'origine de ses arrêts de travail depuis le 4 octobre 2016, dont l'imputabilité au service a été reconnue par le centre hospitalier. Il résulte par ailleurs de l'instruction, en particulier des expertises réalisées par les psychiatres agréés que depuis ses arrêts de travail, Mme A... a pris 20 kg et que cette prise de poids présente un lien direct avec l'inactivité inhérente à ces arrêts. La requérante est par suite fondée à demander le remboursement de ces frais paramédicaux qui s'élèvent à la somme globale de 4 135 euros. En revanche, si elle produit une note d'honoraire d'une sophrologue consultée le 2 mai 2019, Mme A... n'apporte pas d'éléments pour établir que les frais ainsi exposés présentent un lien direct avec les arrêts de travail reconnus imputables au service.

Sur le retard fautif dans la gestion de sa demande d'accident de service:
5. Aux termes de l'article 16 du décret du 19 avril 1988 applicable au présent litige : " La commission départementale de réforme des agents des collectivités locales est obligatoirement consultée si la maladie provient de l'une des causes prévues au deuxième alinéa du 2° de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée. / Lorsque l'administration est amenée à se prononcer sur l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident, elle peut, en tant que de besoin, consulter un médecin expert agréé. / La commission de réforme n'est pas consultée lorsque l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est reconnue par l'administration. La commission de réforme peut, en tant que de besoin, demander à l'administration de lui communiquer les décisions reconnaissant l'imputabilité. "

6. Il résulte de l'instruction que Mme A... a sollicité pour la première fois, par courrier du 15 février 2018, la reconnaissance comme accident de service de l'entretien du 4 octobre 2016 et l'imputabilité au service de la pathologie justifiant ses arrêts de travail depuis cette date, qu'elle a déposé un dossier complet le 5 mai suivant et qu'elle a effectué sa déclaration d'accident de service le 26 juillet 2018. Le CHU de Caen a diligenté une expertise auprès d'un psychiatre agréé, réalisée en novembre 2018. L'établissement de santé a demandé le 6 février 2019 à l'expert de transmettre son rapport à la commission de réforme de la direction départementale de la cohésion sociale du Calvados, ce qu'il a fait le 7 février 2019 ; la commission de réforme départementale a émis un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service des arrêts de travail de Mme A... à compter du 4 octobre 2016, lors de ses séances du 25 juin 2019 puis du 25 septembre 2019. Ce n'est que par une décision du 6 février 2020 que le CHU de Caen a fait droit à sa demande et a reconnu l'imputabilité de ses arrêts de travail à compter du 4 octobre 2016 à l'accident de service du même jour. Dans un tel contexte, et alors que l'administration n'apporte pas d'élément pour expliquer ce qui l'a conduite à attendre quatre mois pour demander à l'expert de transmettre son rapport à la commission de réforme et plus de sept mois après l'avis favorable de cette commission du 25 juin 2019 pour reconnaître l'imputabilité au service des arrêts de travail de Mme A..., qui était placée en disponibilité d'office pour raisons de santé, le délai dans lequel la demande de la requérante a été instruite est excessif et révèle, dans les circonstances de l'espèce, un retard fautif dans le traitement de son dossier de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier à l'égard de l'intéressée.

7. Il résulte de l'instruction que ce retard fautif a causé à Mme A..., atteinte d'un syndrome anxio-dépressif sévère, un préjudice moral dont il sera fait une équitable appréciation en l'évaluant à la somme de 1 000 euros.
Sur l'existence d'un harcèlement moral :

8. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".
9. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
10. La requérante, placée à compter du 4 octobre 2016 en congé de maladie en raison d'un syndrome anxio-dépressif sévère reconnu imputable au service, dénonce avoir été victime de harcèlement moral de la part du cadre de santé du centre de prélèvement du CHU de Caen dans lequel elle était affectée, et plus particulièrement de brimades et injures régulières de la part de ce dernier qui ont atteint leur paroxysme au cours d'un entretien du 4 octobre 2016 reconnu comme accident de service par l'administration. Les éléments ainsi avancés par la requérante sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
11. Il résulte toutefois de l'instruction, ainsi que le fait valoir le CHU de Caen, que pour étayer les brimades et injures régulières dont elle affirme avoir été l'objet, Mme A... produit l'attestation d'une seule de ses collègues de travail faisant état d'une " pression morale " régnant au sein du centre de prélèvement du CHU de Caen et relatant la réunion de service du 4 octobre 2016 au cours de laquelle elle-même et Mme A... auraient été menacées de sanctions administratives pour refus d'obtempérer à l'injonction de leurs supérieurs d'accepter le dédoublement de leur poste. Ainsi que le relève le centre hospitalier, le fait pour le cadre de santé d'avoir rappelé aux intéressés, au cours de l'entretien du 4 octobre 2016, que le refus d'exécuter un ordre hiérarchique les exposait à une sanction disciplinaire n'excède pas, en soi, l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Si la requérante produit également une attestation circonstanciée de la psychologue qui la suit régulièrement depuis son accident de service du 4 octobre 2016 ainsi que les expertises réalisées par des psychiatres agréés, ces rapports se bornent à relayer les déclarations de l'intéressée qui ne sont concrètement étayées, outre par l'attestation peu circonstanciée de sa collègue déjà évoquée, que par un unique signalement réalisé par l'intéressée le 13 décembre 2015 auprès de la médecine du travail dans lequel elle dénonce le fait que le cadre de santé ait " hurlé " sur elle et sa collègue en présence de patients au motif qu'aucune d'elles n'était au poste d'accueil laissé vacant. Au regard de ces seuls éléments, et malgré la reconnaissance de l'imputabilité au service des arrêts de travail de Mme A... depuis le 4 octobre 2016, il ne résulte pas de l'instruction que Mme A... aurait fait l'objet de faits répétés constitutifs de harcèlement moral de la part de son cadre de santé.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du retard fautif dans le traitement de son dossier d'accident de service et des frais correspondant aux consultations d'une psychologue clinicienne et d'une diététicienne dont elle justifie. Il y a lieu de réformer, dans cette mesure, le jugement attaqué, et de condamner le CHU de Caen à verser à Mme A... une somme de 5 135 euros à ce titre. Cette somme sera majorée des intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2020, date de réception par le CHU de Caen de sa réclamation indemnitaire préalable.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que le CHU de Caen demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du CHU de Caen une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le centre hospitalier universitaire de Caen est condamné à verser à Mme A... une somme de 5 135 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2020.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Caen versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par le centre hospitalier universitaire de Caen sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au centre hospitalier universitaire de Caen.

Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M Catroux, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.


La rapporteure,
J. B...
Le président,
D. Salvi
Le greffier,
R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00811