CAA de LYON, 3ème chambre, 31/05/2023, 20LY02654, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision31 mai 2023
Num20LY02654
JuridictionLyon
Formation3ème chambre
PresidentM. TALLEC
RapporteurM. Gilles FEDI
CommissaireM. DELIANCOURT
AvocatsSELARL JEAN-PIERRE & WALGENWITZ

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon :
1°) d'annuler la décision du 14 mai 2019 par laquelle le maire de la commune du Creusot a rejeté sa demande d'imputabilité au service de son affection pour la période postérieure au 17 décembre 2017 ;
2°) d'enjoindre à la commune du Creusot de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de maladie à compter du 6 février 2017 dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir ;
3°) de condamner la commune du Creusot à le rétablir dans l'intégralité de ses droits et traitements rétroactivement au 6 février 2017 ;
4°) d'enjoindre à la commune du Creusot de produire un tableau comprenant, sur toute la période précitée, les informations relatives à la rémunération nette qui aurait dû lui être versée et la rémunération nette effectivement versée et réserver en conséquence sa demande indemnitaire au titre du préjudice financier ;
5°) de condamner la commune du Creusot à lui verser la somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis, avec intérêts au taux légal et capitalisation ;
6°) d'enjoindre à la commune du Creusot de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et la condamner à ce titre, à prendre intégralement en charge ses frais de procédure sur présentation des justificatifs ;
7°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise judiciaire avec mission habituelle en pareille matière et évaluation du préjudice moral ;
8°) de mettre à la charge de la commune du Creusot une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901958 du 30 juin 2020, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et trois mémoires, enregistrés les 11 septembre 2020, 11 janvier 2022, 17 mai 2022 et 22 mars 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Walgenwitz, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 30 juin 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 14 mai 2019 par laquelle le maire de la commune du Creusot a rejeté sa demande d'imputabilité au service de son affection pour la période postérieure au 17 décembre 2017 ;
3°) d'enjoindre à la commune du Creusot de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de maladie à compter du 12 septembre 2018 et ainsi de procéder à son placement en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 12 septembre 2018 ;
4°) de mettre à la charge de la commune du Creusot la somme de 3 636 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- les dispositions appliquées par le tribunal administratif de Dijon n'étaient pas en vigueur lors de la réunion de la commission de réforme ;
- la commune du Creusot a, suite à la demande de substitution de motifs, entaché l'arrêté contesté d'une erreur de droit ;
- l'arrêté est entaché d'erreur de droit dès lors que sa pathologie trouve sa cause dans les conditions de travail de sa nouvelle affectation et notamment les conditions récentes de logement, comme le précise le rapport du médecin agréé et le confirme l'avis favorable de la commission de réforme.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 30 novembre 2020 et le 6 mai 2022, la commune du Creusot, représentée par Me Tronche :
1°) conclut au rejet de la requête ;
2°) demande, en tout état de cause, de substituer aux motifs fondant la décision attaquée, pour la période d'arrêts de travail ayant couru du 12 septembre 2018 au 11 avril 2019, les motifs de fait et de droit suivants :
s'agissant des motifs de droit, les dispositions de l'article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017, en particulier du 2° ;
s'agissant des motifs de fait, l'absence de lien direct entre la pathologie à l'origine des arrêts de travail prescrits à M. A... à compter du 12 septembre 2018 et l'exercice de ses fonctions ou ses conditions de travail, cette pathologie ne trouvant pas sa cause dans les fonctions exercées ou les conditions de travail de l'intéressé au sens de la jurisprudence administrative, puisqu'aucun élément du dossier ne fait apparaitre des circonstances particulières ou des conditions de travail de nature à en susciter le développement et en tout état de cause, le caractère détachable de la survenance de la maladie du service, du fait de la personnalité et du comportement adopté par M. A..., lequel n'a cessé d'émettre des plaintes, doléances et revendications à l'égard de sa collectivité employeur et a donc adopté une attitude d'opposition ;
3°) demande de rejeter les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du maire du Creusot du 14 mai 2019, comme infondées ;
4°) demande qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens présentés par le requérant ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 6 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 20 mai 2022.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Fédi, président-assesseur,
- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me Walgenwitz, représentant M. A..., et celles de Me Lutz, représentant la commune du Creusot ;


Considérant ce qui suit :

1. M. A..., adjoint technique de 2ème classe de la commune du Creusot, en Saône-et-Loire, était affecté au château de la Verrerie pour y occuper les fonctions de concierge. Le 6 février 2017, l'agent a été placé en arrêt de travail, lequel a été prolongé à plusieurs reprises. Par arrêté du 7 décembre 2017, le maire du Creusot a reconnu l'imputabilité de sa maladie au service pour la période du 6 février 2017 au 17 décembre 2017 et a admis la prise en charge de ses frais de santé au titre de cette période. Le 3 juillet 2018, M. A... a été affecté sur les fonctions de concierge du stade Jean Garnier, dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique. M. A... a ensuite été placé de nouveau en arrêt de travail à compter du 12 septembre 2018. Saisi par l'intéressé d'une demande de congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter de cette date, le maire du Creusot a, par un arrêté et une lettre d'accompagnement du 14 mai 2019, dont M. A... a demandé l'annulation, rejeté la demande de l'agent et l'a placé en congé de maladie ordinaire à compter du 12 septembre 2018. M. A... fait appel du jugement du 30 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.


Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. L'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issues de l'ordonnance du 19 janvier 2017, était manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant, notamment, les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service. En conséquence, ces dispositions ne sont entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique territoriale, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 13 avril 2019, du décret n° 2019-301 du 10 avril 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique territoriale. Par suite, ces dispositions n'étant pas applicables au présent litige, il y a lieu de faire droit à la demande de substitution de motifs de droit présentée par la commune du Creusot.

3. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable à l'espèce et au présent litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : /.../ 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. /.../ Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. ". Il résulte de ces dispositions qu'un fonctionnaire qui souffre d'une maladie contractée ou aggravée en service a droit à un congé de maladie à plein traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite, sauf s'il entre dans les cas prévus pour l'octroi d'un congé de longue maladie ou de longue durée limitant la période de maintien de cette rémunération. L'imputabilité au service de cette maladie est appréciée par la commission de réforme qui rend un avis ne liant pas l'autorité territoriale.

4. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Il appartient au juge d'apprécier si les conditions de travail du fonctionnaire peuvent, même en l'absence de volonté délibérée de nuire à l'agent, être regardées comme étant directement à l'origine de la maladie dont la reconnaissance comme maladie professionnelle est demandée.

5. Il ressort des pièces du dossier que le maire du Creusot a, par arrêté du 7 décembre 2017, reconnu l'imputabilité au service des troubles psychiques de M. A... déclarés entre le 6 février 2017 et le 17 décembre 2017, alors que l'agent occupait les fonctions de concierge du château de la Verrerie. Aux termes des conclusions du rapport d'expertise médicale établi le 12 janvier 2019, le médecin psychiatre agréé a constaté d'une part, que " M. A... souffre au moins d'un trouble dépressif sévère... associé à des manifestations anxieuses, altérant gravement sa capacité à agir avec discernement et s'accompagnant d'une symptomatologie somatique invalidante, qui est une aggravation du tableau clinique déjà constaté au mois d'octobre 2017 ", d'autre part, que cette " symptomatologie actuelle constitue effectivement une rechute du tableau antérieur en lien direct avec la maladie contractée en service. A l'évidence, le tableau n'est pas consolidé, et nécessite encore des soins actifs qui devraient être renforcés. La prise en charge des arrêts de travail et des soins à compter du 10 septembre 2018 doit être pris en charge dans le cadre de la maladie contractée en service le 6 février 2017 (...) les symptômes restent à peu près identiques à ceux que nous avions constaté en octobre 2017 (...) ". En outre, le même rapport d'expertise précise que les conditions de relogement, nécessitées par les nouvelles fonctions d'accueil et de gardiennage occupées par M. A... à compter de juillet 2018 au stade Jean Garnier, ont aggravé son état de santé. Lors de sa séance du 2 avril 2019, la commission de réforme a émis un avis favorable à la prise en charge de la rechute de la maladie contractée en service au 12 septembre 2018 et à l'imputabilité au service de la période d'arrêt de travail allant du 12 septembre 2018 au 9 avril 2019. Si la commune du Creusot invoque, dans ses écritures en défense, la personnalité et l'attitude d'opposition adoptée par l'intéressé, lequel n'aurait cessé d'émettre des plaintes, doléances et revendications à l'égard de son employeur, toutefois, la collectivité n'établit pas l'existence de faits personnels de l'agent ou de circonstances particulières conduisant à détacher du service la maladie de M. A....

6. En outre, la commune du Creusot ne peut utilement soutenir que le changement d'affectation de l'agent a été opéré à sa demande et qu'il a accepté les conditions de son nouvel emploi et de son logement. Dans ces conditions, M. A..., qui démontre le lien direct entre sa maladie et l'exercice de ses fonctions, est fondé à soutenir qu'en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, pour la période du 12 septembre 2018 au 14 mai 2019, au motif que son changement d'affectation avait mis fin à sa pathologie, le maire du Creusot a méconnu les dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. L'appelant est, dès lors, fondé à demander l'annulation dudit jugement, ainsi que celle de la décision du 14 mai 2019.


Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". L'annulation de l'arrêté du 14 mai 2019 ainsi prononcé implique nécessairement qu'il soit enjoint au maire de la commune du Creusot de placer l'appelant en position de congé de maladie imputable au service, pour la période du 12 septembre 2018 au 14 mai 2019, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

9. Les droits des agents en matière d'accident de service et de maladie professionnelle étant réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie a été diagnostiquée, la demande M. A..., tendant à enjoindre à la collectivité territoriale de le placer en congé pour invalidité temporaire imputable au service, à compter du 12 septembre 2018, doit être rejetée dès lors que sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service, ayant été présentée le 26 février 2019, la situation de l'agent est exclusivement régie par les conditions de forme et de fond prévues avant l'entrée en vigueur des règles relatives au nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, désormais codifié à l'article L. 822-21 du code général de la fonction publique, qui ne sont entrées en vigueur que le 13 avril 2019.


Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune du Creusot. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière une somme de 2 000 euros à verser à M. A..., au titre de ces mêmes dispositions.




D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon en date du 30 juin 2020 et la décision du 14 mai 2019 du maire du Creusot sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au maire du Creusot de placer M. A... en position de congé de maladie imputable au service, pour la période du 12 septembre 2018 au 14 mai 2019, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : La commune du Creusot versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune du Creusot présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Les conclusions de la requête sont rejetées pour le surplus.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la commune du Creusot.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2023.
Le rapporteur,
Gilles FédiLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au préfet de Saône-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 20LY02654