CAA de NANTES, 6ème chambre, 20/06/2023, 21NT01972, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, tout d'abord, d'annuler le titre de perception du 21 novembre 2018 émis par la direction régionale des finances publiques de Bretagne pour le compte de l'académie de Rennes afin de recouvrer un indu de rémunération de 36 464,43 euros ainsi que la décision implicite ayant rejeté sa réclamation préalable, ensuite, de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 36 464,43 euros, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°1904790 du 19 mai 2021, le tribunal administratif de Rennes a, en premier lieu, annulé le titre de perception émis le 21 juin 2018 ainsi que la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Rennes a rejeté la réclamation préalable de Mme A..., en deuxième lieu, accordé à Mme A... la décharge de l'obligation de payer la somme de 36 464,43 euros mise à sa charge par le titre de perception, et, enfin, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juillet 2021 et 27 juin 2022, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 19 mai 2021 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mme A... devant le tribunal administratif ;
Il soutient que :
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit ; si le demi-traitement versé à un agent, qui a épuisé ses droits à congé maladie ordinaire ou de longue maladie, dans l'attente de la décision du comité médical, ne présente pas un caractère provisoire et reste acquis à l'agent alors même que celui-ci a, par la suite, été placé rétroactivement dans une position statutaire n'ouvrant pas par elle-même droit au versement d'un demi-traitement, ce principe ne trouve pas toutefois à s'appliquer dans l'hypothèse de l'admission rétroactive de l'agent à la retraite qui ne peut cumuler sur une même période le versement de son traitement et la mise en paiement de la pension de retraite qui lui est servie rétroactivement ;
- à titre subsidiaire, le tribunal a commis une erreur de droit en déchargeant Mme A... de la totalité de l'obligation de payer la somme de 36 464,43 euros mise à sa charge par le titre de perception du 21 novembre 2018.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2022, Mme A..., représentée par Me Collet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens présentés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code des relations entre le public et l'administration ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu le décret n°86-442 du 14 mars 1986 ;
Vu le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,
- et les observations de Me Leduc, substituant Me Collet, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., qui était professeure certifiée d'espagnol, affectée en dernier lieu au lycée polyvalent C... à ..., a été placée en congé de longue maladie à compter du 19 avril 2013. Le 16 novembre 2015, elle a sollicité son admission à la retraite pour invalidité. Ses droits au congé de longue maladie parvenant à épuisement le 19 avril 2016, elle a alors été placée, à compter de cette date, en disponibilité dans l'attente de l'avis des instances médicales et son droit à la perception d'un demi-traitement a été maintenu. Le 27 août 2018, Mme A... a été admise à la retraite pour invalidité avec effet au 19 avril 2016. Par un courrier du 25 septembre 2018, le recteur de l'académie de Rennes a informé l'intéressée qu'elle allait être destinataire d'un titre de perception lui réclamant le remboursement des sommes perçues, à titre de demi-traitement, durant la période allant du 19 avril 2016 au 31 août 2018. Ce titre de perception, d'un montant de 36 464,43 euros, a été émis le 21 novembre 2018. Mme A... l'a contesté par une réclamation du 22 janvier 2019, dont le directeur régional des finances publiques de Bretagne a accusé réception le 24 janvier 2019 et qui a été transmise au rectorat de Rennes.
2. Constatant, au terme du délai de six mois, accordé à l'ordonnateur, par le troisième aliéna de l'article 118 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, pour statuer sur une telle réclamation, que sa contestation avait été implicitement rejetée, Mme A... a alors, le 24 septembre 2019, saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de ce titre de perception et à la décharge de l'obligation de payer la somme de 36 464,43 euros. Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relève appel du jugement par lequel cette juridiction a fait droit aux demandes de Mme A....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Pour annuler le titre de perception émis le 21 novembre 2018 et prononcer la décharge totale de la somme mise sur ce fondement à la charge de Mme A..., le tribunal a estimé, après avoir rappelé les dispositions de l'article 17 du décret du 30 juillet 1987, que le fait de lui avoir accordé, dans l'attente de la décision des instances médicales, un demi-traitement du 19 avril 2016 au mois d'août 2018 - lequel restait acquis à l'agent - était une décision créatrice de droit qui ne pouvait pas être retirée au-delà du délai de quatre mois, prévu par l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration.
4. Aux termes de l'article 17 du décret du 30 juillet 1987, dans sa rédaction résultant du décret du 5 octobre 2011 relatif à l'extension du bénéfice du maintien du demi-traitement à l'expiration des droits statutaires à congé de maladie, de longue maladie ou de longue durée des agents de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " Lorsque, à l'expiration de la première période de six mois consécutifs de congé de maladie, le fonctionnaire est inapte à reprendre son service, le comité médical est saisi pour avis de toute demande de prolongation de ce congé dans la limite des six mois restant à courir. / Lorsque le fonctionnaire a obtenu pendant une période de douze mois consécutifs des congés de maladie d'une durée totale de douze mois, il ne peut, à l'expiration de sa dernière période de congé, reprendre son service sans l'avis favorable du comité médical. En cas d'avis défavorable, il est soit mis en disponibilité, soit reclassé dans un autre emploi, soit, s'il est reconnu définitivement inapte à l'exercice de tout emploi, admis à la retraite après avis de la commission de réforme. Le paiement du demi-traitement est maintenu, le cas échéant, jusqu'à la date de la décision de reprise de service, de reclassement, de mise en disponibilité ou d'admission à la retraite. (...) ".
5. Aux termes de l'article 47 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Le fonctionnaire ne pouvant, à l'expiration de la dernière période de congé de longue maladie ou de longue durée, reprendre son service est soit reclassé dans un autre emploi (...) soit mis en disponibilité, soit admis à la retraite après avis de la commission de réforme. / Pendant toute la durée de la procédure requérant soit l'avis du comité médical, soit l'avis de la commission de réforme, soit l'avis de ces deux instances, le paiement du demi-traitement est maintenu jusqu'à la date de la décision de reprise de service ou de réintégration, de reclassement, de mise en disponibilité ou d'admission à la retraite. ".
6. Il résulte des dispositions citées aux points 4 et 5, que, lorsque l'agent a épuisé ses droits à un congé de maladie ordinaire ou de longue maladie, il appartient à la collectivité qui l'emploie, d'une part, de saisir le comité médical, qui doit se prononcer sur son éventuelle reprise de fonctions ou sur sa mise en disponibilité, son reclassement dans un autre emploi ou son admission à la retraite et, d'autre part, de verser à l'agent un demi-traitement dans l'attente de la décision du comité médical. Par ailleurs, la circonstance que la décision prononçant la reprise d'activité, le reclassement, la mise en disponibilité ou l'admission à la retraite emporte effet rétroactif à la date de fin des congés de maladie n'a pas pour effet de retirer le caractère créateur de droits du maintien du demi-traitement prévu par ces dispositions. Ainsi le demi traitement versé au titre de ces dispositions, qui ne présente pas un caractère provisoire, reste acquis à l'agent alors même que celui-ci a, par la suite, été admis rétroactivement à la retraite.
7. Il résulte de ce qui vient d'être dit, d'une part, que Mme A... avait droit au maintien de son demi-traitement qui lui restait acquis après son admission rétroactive à la retraite. Le ministre de l'éducation nationale, ordonnateur de ce demi-traitement entre le 19 avril 2016 et le 31 août 2018, ne pouvait, en conséquence, légalement répéter, par le titre exécutoire litigieux, cette somme qui ne constituait pas un indu de rémunération.
8. D'autre part, si Mme A... ne tenait d'aucune disposition statutaire ou du code des pensions civiles et militaires de retraites - sa situation ne relevant pas des cas dérogatoires de cumul légal prévus par les articles L.84 et L.86 du code des pensions civiles de retraites- le droit de cumuler les sommes versées au titre de son demi-traitement et sa pension de retraite perçue rétroactivement pour la même période, il n'appartenait pas cependant au ministre de l'éducation nationale, ordonnateur de la rémunération, de procéder à la répétition d'un éventuel trop perçu de pension civile.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal estimant le titre de perception du 21 novembre 2018 entaché d'illégalité, a prononcé la décharge totale de l'obligation de payer la somme de 36 464,43 euros mise à la charge de Mme A....
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du Ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est rejetée.
Article 2 : l'Etat versera à Mme A... la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au Ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à Mme B... A....
Délibéré après l'audience du 2 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au Ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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