CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 04/07/2023, 21TL23289, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision04 juillet 2023
Num21TL23289
JuridictionToulouse
Formation2ème chambre
PresidentMme GESLAN-DEMARET
RapporteurMme Anne BLIN
CommissaireMme TORELLI
AvocatsARCANTHE AVOCATS ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la société La Poste à lui verser, à titre principal, la somme de 98 390 euros, à titre subsidiaire celle de 48 390 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 7 février 2019, en réparation des préjudices subis à raison de sa maladie à caractère professionnel et de mettre à la charge de la société La Poste la somme de 750 euros au titre des dépens résultant des frais d'expertise et la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1902056 du 8 juin 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2021 sous le n° 21BX03289 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL23289, et un mémoire enregistré le 10 mars 2023, Mme F... A... née C..., représentée par Me Dalbin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 8 juin 2021 ;

2°) à titre principal, de condamner la société La Poste à lui verser la somme de 98 390 euros en réparation des préjudices subis au titre de la responsabilité pour faute, à titre subsidiaire de condamner la société La Poste à lui verser la somme de 48 390 euros en réparation des préjudices subis au titre de la responsabilité sans faute, et d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 7 février 2019 et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la société La Poste la somme de 750 euros au titre des frais d'expertise ainsi qu'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la responsabilité pour faute de la société La Poste est engagée en ce qu'elle a méconnu son obligation en matière d'évaluation des risques professionnels de son agent et qu'un poste adapté en raison de son état de santé aurait dû lui être proposé ;
- la responsabilité sans faute de la société La Poste est également engagée : contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le lien de causalité entre la pathologie imputable au service et les préjudices subis présente un caractère direct et certain au regard de l'expertise et alors que la décision du 23 mai 2016 reconnaissant le caractère professionnel de sa pathologie est définitive ;
- elle a droit à l'indemnisation des préjudices concernant la maladie à caractère professionnel du 8 mars 2016, soit une somme de 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle et de la privation de ses cotisations retraite depuis le 30 mai 2018, une somme de 1 100 euros au titre du déficit temporaire total, une somme de 7 290 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, une somme de 15 000 euros au titre du pretium doloris, une somme de 20 000 euros au titre de l'incapacité permanente partielle au taux de 10% et une somme de 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;
- à titre subsidiaire, une somme de 48 390 euros devrait lui être allouée sur le fondement de la responsabilité sans faute.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2023, la société La Poste, représentée par la SELARL Arcanthe agissant par Me Moretto, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :
- aucune faute pouvant lui être imputée n'est démontrée ;
- la requérante ne justifie pas de l'existence d'une incidence professionnelle et de son lien avec sa maladie à caractère professionnelle, alors que les périodes de disponibilité d'office ont été reprises au titre de la maladie professionnelle ;
- sa maladie ne faisant pas partie des maladies présentes au tableau des maladies professionnelles, aucune indemnisation ne peut lui être allouée ;
- à titre subsidiaire, les sommes réclamées au titre des préjudices extra-patrimoniaux devront être limitées à hauteur de 858,70 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total, de 5 690 euros au titre du déficit temporaire partiel, de 4 500 euros au titre du pretium doloris et de 11 250 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, aucune somme ne devant être allouée au titre du préjudice d'agrément.

Par ordonnance du 13 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret 82-453 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Moretto, représentant la société La Poste.


Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., fonctionnaire titulaire de La Poste relevant du grade d'agent professionnel qualifié de second niveau, qui exerçait les fonctions de factrice en automobile à ... (Aveyron), s'est vu reconnaître le caractère professionnel de sa maladie rachidienne par décision du 23 mai 2016 prenant effet le 8 mars 2016. Par une décision du 21 juin 2017, la date de consolidation de sa maladie a été fixée au 29 mai 2017 et le taux d'incapacité permanente partielle dont elle reste atteinte a été fixé à 8%. Par décision du 10 novembre 2017, la reconnaissance de l'imputabilité au service de la rechute de sa pathologie lombaire à compter du 10 juillet 2017 a été refusée et ses arrêts de travail ont été pris en compte au titre des congés ordinaires de maladie à compter du 30 mai 2017. Par une décision du 11 décembre 2017, Mme A... s'est vu accorder le bénéfice d'une mise en retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 30 mai 2018. Par une décision du 24 mai 2018, Mme A... a été placée en disponibilité d'office pour raisons de santé pour une période de six mois du 30 mai 2018 au 29 novembre 2018. Par un jugement n°1800364, 1802778 du 10 février 2020 devenu définitif, le tribunal administratif de Toulouse a annulé les décisions du 11 décembre 2017 et du 24 mai 2018. Par des décisions du 29 octobre 2018 et du 26 avril 2019, la mise en disponibilité d'office de Mme A... a été prolongée du 30 novembre 2018 au 29 mai 2019, puis du 30 mai 2019 au 29 novembre 2019. Ces deux décisions ont également été respectivement annulées par un jugement du tribunal administratif de Toulouse n°1903574,1903575 du 20 octobre 2020 devenu définitif. Par une ordonnance n°1800366, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a ordonné la conduite par le docteur E... d'une expertise aux fins de décrire, notamment, la nature et l'importance des séquelles consécutives à sa maladie à caractère professionnel. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la société La Poste à l'indemniser des préjudices subis à raison du caractère professionnel de sa maladie. Par un jugement du 8 juin 2021 dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité :

2. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien incombait à celle-ci.

3. Mme A... soutient à titre principal que la société La Poste a méconnu son obligation en matière d'évaluation des risques professionnels à son encontre et qu'un poste adapté en raison de son état de santé aurait dû lui être proposé, alors que son état de santé était connu de son employeur depuis 2013. Il résulte toutefois de l'instruction que, si les 7 février 2013 et 25 février 2014, l'intéressée a fait inscrire dans son projet d'évolution professionnelle joint à ses dossiers d'appréciation annuelle qu'elle souhaiterait, pour des raisons de santé et sans autres précisions utiles, évoluer d'une tournée de factrice en automobile à une tournée piétonne, elle n'a jamais adressé à son employeur de demande d'aménagement de poste ou d'affectation sur un poste adapté en raison de son état de santé. Par suite, cette seule circonstance ne saurait suffire à établir que la société La Poste aurait commis une faute en ne prenant pas de mesures d'adaptation de ses conditions de travail à son état de santé. Si Mme A... invoque pour la première fois en appel la méconnaissance par la société La Poste de son obligation de réaliser le document unique d'évaluation des risques professionnels entre 2013 et 2017 tel que prescrit par l'article L. 4121-3 du code du travail, le défaut d'établissement de ce document, à le supposer avéré, ne révèle aucune faute à l'encontre de la requérante alors qu'ainsi qu'il a été exposé, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait présenté une demande d'aménagement de son poste de travail. Enfin, Mme A... ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions prévues à l'article 2 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique, selon lequel les locaux et équipements doivent être installés et tenus de manière à garantir la sécurité des agents ainsi que dans un état constant de propreté et présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé des personnes, dès lors que ce texte n'est pas applicable au personnel de La Poste.

4. Il résulte de ce qui précède qu'aucun manquement à l'obligation de garantir la santé et de prévenir les risques professionnels de Mme A... ne peut être retenu. La requérante n'est dès lors pas fondée à invoquer une faute de la société La Poste commise à son encontre, qui serait à l'origine de la pathologie dont elle est atteinte.

5. Mme A..., dont la pathologie rachidienne a été reconnue imputable au service par décision du 23 mai 2016, invoque ensuite la responsabilité sans faute de La Poste pour l'indemnisation des préjudices d'une nature autre que l'incidence professionnelle qu'elle a subis résultant de cette pathologie. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise mandatée par le tribunal administratif de Toulouse et conduite par le docteur E..., expert rhumatologue, en date du 21 décembre 2018, que la pathologie lombaire de Mme A... est imputable à un état antérieur très important résultant de discopathies lombaires multi-étagées, d'arthrose articulaire postérieure, de spondylolisthésis dégénératif et d'hernies intraspongieuses qui constitueraient des séquelles, dont l'apparence serait très caractéristique de la maladie de Scheuermann, pathologie dégénérative de l'adolescent entraînant des déformations localisées des corps vertébraux. Alors que cet expert a relevé que la pathologie dont est atteinte la requérante a été reconnue comme ayant un caractère professionnel sans expertise médicale ni dossier médical et que le tableau présenté par l'agent ne correspond pas à celui définissant la maladie professionnelle du tableau 98, à savoir " sciatique par hernie discale de topographie concordante ", la société La Poste avait estimé, dans sa décision du 10 novembre 2017, suivant les conclusions du rapport d'expertise établi le 17 juillet 2017 par le docteur B..., médecin agréé, et de l'expertise complémentaire établie le 13 septembre 2017 par le docteur D..., que la maladie lombaire de Mme A... n'était plus imputable au service mais à un état dégénératif évoluant pour son propre compte. L'expert judiciaire affirme que l'état antérieur très important de Mme A... a déjà été symptomatique et n'est aucunement imputable à l'exercice de ses fonctions. En outre, le rapport du docteur B... relevait déjà que la requérante souffrait de ses douleurs lombaires depuis 2013 et estimait que l'évolution de sa pathologie après le 29 mai 2017 résultait d'une maladie dégénérative, dans un contexte de discopathies dégénératives diffuses préexistantes. Dans ces conditions, alors même que la société La Poste a reconnu le caractère professionnel de la pathologie rachidienne de l'intéressée au titre de la période allant du 8 mai 2016 au 29 mai 2017, le caractère direct et certain du lien de causalité entre la pathologie dont est atteinte Mme A... et les préjudices dont elle demande réparation, ne peut être regardé comme établi. Il s'ensuit que la responsabilité sans faute de l'administration ne saurait davantage être engagée.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les frais d'expertise :

7. Il y a lieu de laisser à la charge définitive de Mme A... les frais de l'expertise, taxés et liquidés à hauteur de 750 euros par une ordonnance du vice-président du tribunal administratif de Toulouse du 25 février 2019, en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme A... tendant à leur application.

D E C I D E :



Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A... née C... et à la société La Poste.


Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.


La rapporteure,





A. Blin


La présidente,





A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat



La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.





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