CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 11/07/2023, 21BX03472, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Mayotte, à titre principal, d'annuler la décision du 29 mai 2019 du directeur interrégional Ile-de-France et outre-mer de la protection judiciaire de la jeunesse en ce qu'il a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de travail à compter du 4 septembre 2018, la décision du 5 juin 2019 par laquelle la même autorité a précisé ses droits à rémunération pour la période du 4 juin 2018 au 13 mai 2019, ensemble la décision du 24 juillet 2019 de rejet de son recours gracieux, et, à titre subsidiaire et avant dire droit, de prescrire une expertise médicale.
Par un jugement n° 1902194 du 1er juillet 2021, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 août 2021, M. B..., représenté par Me Vigreux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Mayotte du 1er juillet 2021 ;
2°) à titre principal, d'annuler les décisions du directeur interrégional Ile-de-France et outre-mer de la protection judiciaire de la jeunesse des 29 mai, 5 juin et 24 juillet 2019 ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le refus du directeur interrégional Ile-de-France et outre-mer de la protection judiciaire de la jeunesse de reconnaître l'imputabilité au service de ses congés de maladie à compter du 4 septembre 2018 ne pouvait être légalement fondé sur les seules conclusions du médecin agréé du 30 avril 2018, sans saisine préalable obligatoire de la commission de réforme ;
- les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, bien qu'entrées en vigueur le 24 février 2019, ne peuvent concerner que les déclarations d'accident de service postérieures à cette date, de sorte que les articles 47-6 et 47-10 du décret du 13 mars 1983 lui sont inopposables et n'étaient pas applicables à la date de son accident de service survenu en septembre 2013, y compris pour les congés prolongés en lien avec cet accident antérieurement au 24 février 2019 ; par voie de conséquence, les décisions contestées sont dépourvues de fondement légal ;
- les décisions contestées sont entachées de vices de procédure ; elles ont été prises sans avis préalable de la commission de réforme, en méconnaissance des articles 13, 18 et 19 du décret du 14 mars 1986 dans sa version alors applicable ; il a reçu sa convocation pour un examen par un médecin agréé la veille pour le lendemain ; il n'a pas été informé des motifs de cet examen et de ses droits à consultation de son dossier et à la préparation de sa défense ;
- les décisions contestées sont entachées d'erreur d'appréciation de son état de santé, sa maladie actuelle traduisant une évolution des pathologies initiales résultant de son accident de service ;
- une mesure d'expertise médicale avant-dire droit pourrait s'avérer utile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Agnès Bourjol,
- et les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., éducateur de la protection judiciaire et de la jeunesse (PJJ), a fait, le 24 septembre 2013, une chute dans les escaliers de l'unité éducative d'hébergement diversifié renforcée de Nevers où il travaillait, qui a été reconnue comme un accident imputable au service par un certificat administratif du 10 octobre 2013. Il a bénéficié d'un placement en congé de maladie entre le 24 septembre 2013 et le 15 avril 2018, puis entre le 4 et le 12 septembre 2018, entre le 16 octobre et le 10 novembre 2018 et entre le 19 mars et le 13 mai 2019. Le médecin agréé ayant estimé, le 30 avril 2019, que les arrêts de travail à compter du 4 septembre 2018 n'étaient pas imputables au service, le directeur interrégional de la PJJ Ile de France et outre-mer a, le 29 mai 2019, décidé de placer M. B... en congé de maladie pour accident de service pour la période du 24 septembre 2013 au 15 avril 2018 et en congé de maladie ordinaire pour les périodes postérieures. Par une décision du 5 juin 2019, la même autorité a précisé les périodes des droits à rémunération à plein traitement et à demi-traitement de l'intéressé. M. B... a alors formé un recours gracieux contre ces deux décisions, qui a été rejeté par décision du 24 juillet 2019. M. B... a alors saisi le tribunal administratif de Mayotte d'une demande tendant à l'annulation des décisions susmentionnées des 29 mai, 5 juin et 24 juillet 2019. Il relève appel du jugement du 1er juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite (...) ".
3. Aux termes de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, créé par l'article 10 de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017, en vigueur depuis le 21 janvier 2017 : " I. Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l'incapacité permanente du fonctionnaire. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. La durée du congé est assimilée à une période de service effectif. L'autorité administrative peut, à tout moment, vérifier si l'état de santé du fonctionnaire nécessite son maintien en congé pour invalidité temporaire imputable au service ".
4. L'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 étant manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, ces dispositions ne sont donc applicables, s'agissant de la fonction publique d'Etat, que depuis l'entrée en vigueur, le 24 février 2019, du décret du 21 février 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique de l'Etat, décret dont l'intervention était, au demeurant, prévue par le VI de cet article 21 bis. Il en résulte que les dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 21 février 2019, soit le 24 février 2019.
5. Aux termes de l'article 22 du décret du 21 février 2019 précité : " Le fonctionnaire en congé à la suite d'un accident ou d'une maladie imputable au service continue de bénéficier de ce congé jusqu'à son terme. Toute prolongation de ce congé postérieure à l'entrée en vigueur du présent décret est accordée dans les conditions prévues au chapitre Ier. Les conditions de forme et de délais prévues aux articles 47-2 à 47-7 du décret du 14 mars 1986 précité ne sont pas applicables aux fonctionnaires ayant déposé une déclaration d'accident ou de maladie professionnelle avant l'entrée en vigueur du présent décret. / Les délais mentionnés à l'article 47-3 du même décret courent à compter du premier jour du deuxième mois suivant la publication du présent décret lorsqu'un accident ou une maladie n'a pas fait l'objet d'une déclaration avant cette date ".
6. En outre, les droits des agents publics en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie diagnostiquée. Dès lors, la situation de M. B..., dont l'accident est survenu le 24 septembre 2013, et dont la demande de reconnaissance d'imputabilité au service a été présentée avant le 24 février 2019, était exclusivement régie par les conditions de forme et de fond prévues avant l'entrée en vigueur des dispositions législatives et réglementaires relatives au nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service.
7. Aux termes de l'article 13 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa version applicable au présent litige : " La commission de réforme est consultée notamment sur : / 1. L'application des dispositions du deuxième alinéa des 2° et 3° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 (...) ". Ces dernières dispositions imposent la consultation de la commission de réforme dans tous les cas où le bénéfice du deuxième alinéa du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 est demandé par un agent, hormis le cas où le défaut d'imputabilité au service est manifeste. Aux termes de l'article 26 de ce même décret : " Sous réserve du deuxième alinéa du présent article, les commissions de réforme prévues aux articles 10 et 12 ci-dessus sont obligatoirement consultées dans tous les cas où un fonctionnaire demande le bénéfice des dispositions de l'article 34 (2°), 2° alinéa, de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. Le dossier qui leur est soumis doit comprendre un rapport écrit du médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire concerné. / La commission de réforme n'est toutefois pas consultée lorsque l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est reconnue par l'administration. ".
8. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.
9. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser de prendre en charge, sous le régime de l'accident de service, les arrêts de maladie de M. B... entre le 4 et le 12 septembre 2018, entre le 16 octobre et le 10 novembre 2018 et entre le 19 mars et le 13 mai 2019, l'administration s'est prononcée en faveur du placement en congé de maladie ordinaire de l'intéressé uniquement au vu des conclusions du médecin agréé du 30 avril 2019. Ainsi, en faisant application des dispositions des articles 47-6 et 47-10 du décret du 13 mars 1986 dans leur version issue du décret du 21 février 2019, qui n'étaient alors pas applicables à la situation de l'intéressé, l'administration a commis une erreur de droit, les droits de M. B... devant s'apprécier au 24 septembre 2013, date de survenance de son accident. Les décisions contestées auraient ainsi dû être prises après avis de la commission de réforme, en application des dispositions précitées applicables à la situation de M. B....
10. Une telle omission de consultation préalable la commission de réforme a nécessairement privé l'appelant d'une garantie et constitue ainsi une irrégularité de nature à entacher d'illégalité les décisions contestées, nonobstant la faculté offerte à la commission de réforme, dont la saisine était obligatoire, de recourir à un expert médical. Dès lors, M. B... est fondé à soutenir que la décision du 29 mai 2019 et la décision du 5 juin 2019 la confirmant, ensemble le rejet de son recours gracieux, ont été pris en méconnaissance des dispositions alors applicables de l'article 26 du décret du 14 mars 1986, et doivent donc être annulés.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1902194 du 1er juillet 2021 du tribunal administratif de Mayotte et les décisions du directeur interrégional Ile-de-France et outre-mer de la protection judiciaire de la jeunesse des 29 mai, 5 juin et 24 juillet 2019 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2023.
La rapporteure,
Agnès BOURJOLLa présidente,
Marie Pierre BEUVE DUPUY
La greffière,
Sylvie HAYET
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX03472