CAA de NANTES, 6ème chambre, 19/09/2023, 22NT00776, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision19 septembre 2023
Num22NT00776
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. GASPON
RapporteurM. Olivier COIFFET
CommissaireMme BOUGRINE
AvocatsHOLLEY

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, devenu compétent par l'effet de la loi du 13 juillet 2018, d'une part, d'annuler la décision du 1er octobre 2018 en tant que la ministre des armées a insuffisamment évalué le taux de son invalidité et a retenu qu'une partie de son infirmité résultant d'un " Etat de stress post-traumatique " n'est pas imputable au service et, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1905858 du 17 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 mars 2022 et un mémoire complémentaire, enregistré le 21 août 2023 - non communiqué -, M. A..., représenté par Me Holley, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 janvier 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté ministériel du 1er octobre 2018 ;

3°) d'ordonner la révision de sa pension militaire d'invalidité et de fixer son taux d'invalidité à 80% ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- dès lors que l'expert a relevé que rien n'indique que les troubles dont il souffre aient préexisté à l'engagement militaire, rien ne justifie alors qu'un abattement de 20% soit appliqué au taux d'invalidité de 40% initialement fixé et qui aurait dû être retenu ; l'avis de la commission consultative médicale n'est pas motivé et ne saurait être pris en compte ;
- il est assisté pour les actes de la vie courante par une assistance de service social auprès de l'hôpital d'instruction des armées de Brest ; il a également cessé toute activité professionnelle avant la survenue de cet accident ; il est inapte à tout emploi et atteint de troubles intenses ou très intenses le conduisant à un isolement considérable ;
- l'expertise même succincte et la fiche descriptive des infirmités établissent l'existence des nombreux troubles dont il souffre ; si l'expert indique qu'une aggravation serait à rapporter à un accident domestique - un incendie à son domicile -, cette aggravation n'est toutefois pas documentée ; tous les troubles dont il souffre sont établis avant la survenue de cet accident ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2023, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 avril 2022.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. A..., qui est né le 4 novembre 1970, a effectué sa carrière militaire dans l'Armée de Terre du 1er août 1989 au 30 mai 1998, date de radiation des contrôles. Par une demande présentée le 12 janvier 2017, il a sollicité le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité résultant d'un " Etat de stress post-traumatique " qu'il impute à un évènement survenu en Ex-Yougoslavie en 1992. Par un arrêté ministériel du 1er octobre 2018, une pension militaire d'invalidité lui a été accordée pour cette infirmité à un taux de 20%, étant précisé que sur un taux global de 40%, 20% n'était pas imputable au service. M. A..., souhaitant obtenir une réévaluation de son taux d'invalidité à hauteur de 40%, a contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Rennes, qui a transféré sa requête au tribunal administratif de Rennes devenu compétent par détermination de la loi. Il relève appel du jugement du 17 janvier 2022 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 1er octobre 2018 et sollicite désormais que son taux d'invalidité soit au moins fixé à 80%.

2. Aux termes, d'une part, de l'article L. 121-4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, en vigueur au moment de la demande de pension : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. (...) ". Aux termes du guide barème, s'agissant des névroses traumatiques de guerre, le " taux d'invalidité à évaluer en fonction de l'intensité du syndrome de répétition, notamment des troubles du sommeil et de la gêne provoquée par les autres symptômes " et " en matière de troubles psychiques, ces pourcentages seront utilisés comme un code. Les éléments de celui-ci constituent une échelle nominale, dont les différents termes reçoivent à la fois une définition précise et explicite, s'appuyant sur des critères simples et généraux définissant le niveau d'altération du fonctionnement existentiel. / Dans cette échelle, en pratique expertale, on peut distinguer six niveaux de troubles de fonctionnement décelables, qui seront évalués comme suit : / - absence de troubles décelables : 0 p. 100 ; / - troubles légers : 20 p. 100 ; / - troubles modérés : 40 p. 100 ; / - troubles intenses : 60 p. 100 ; / - troubles très intenses : 80 p. 100 ; - destruction psychique totale avec perte de toute capacité existentielle propre, nécessitant une assistance de la société : 100 p. 100. (...) / Les critères développés ci-dessous correspondent à des situations assez typiques et moyennes reflétant la démarche clinique qui est surtout globalisante et ne procède jamais par des estimations à 5 p. 100 près, mais par niveau de 20 p. 100 sur l'échelle nominale. Ils offrent toute liberté à l'expert pour proposer des pourcentages intermédiaires, dans la mesure où tel cas particulier se situerait entre deux niveaux. ".

3. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ".

4. En premier lieu, l'expert qui a examiné M. A... le 31 mai 2018, après avoir décrit et qualifié médicalement les symptômes de son infirmité (état de stress post-traumatique), a évalué globalement cette dernière à un taux 40 %, ce qui correspond à l'existence de " troubles modérés " selon l'échelle nominale du guide barème, évoqué au point 2, auquel se réfère l'article L. 121-4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Pour soutenir que les troubles résultant de l'état de stress post-traumatique dont il souffre ne peuvent être qualifiés de " modérés " mais doivent au contraire être regardés comme " très intenses ", M. A... rappelle, comme en première instance, qu'il est assisté pour les actes de la vie courante, qu'il est inapte à tout emploi et qu'il souffre d'un isolement considérable. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... soit assisté quotidiennement dans la vie courante même s'il consulte très régulièrement le médecin qui le suit à l'hôpital d'instruction des armées de Brest. Par ailleurs, la perte d'emploi, au vu des éléments versés au dossier, résulte de la perte de son permis de conduite pour cause d'alcoolémie au volant et n'est pas en relation avec le stress post-traumatique chronicisé dont il souffre. Enfin, il ressort du rapport d'expertise que, pour qualifier ses troubles de " modérés " et fixer le taux contesté, ont été pris en compte l'agoraphobie et l'isolement dont souffre l'intéressé. M. A... n'apporte pas davantage en appel qu'en première instance d'élément médical pour corroborer ses affirmations et établir ainsi que ses troubles seraient " intenses ou très intenses ", justifiant de réévaluer le taux global de son infirmité. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la ministre des armées aurait insuffisamment évalué le taux de son invalidité au regard du guide barème.

5. En second lieu, M. A... soutient que rien ne permet de justifier, contrairement à ce que retient l'arrêté contesté du 1er octobre 2018, qu'un abattement de 20% soit appliqué au taux d'invalidité de 40% initialement retenu à la suite de l'expertise du 21 mai 2018. Il résulte de l'instruction que, si l'expert a indiqué que le stress post-traumatique dont souffre M. A... avait pour origine une blessure imputable au service reçue en " Yougoslavie " et qu'il a également relevé que " rien n'indiquait que les troubles dont il souffre aient préexisté à l'engagement militaire " écartant ce faisant tout état antérieur, il a toutefois ajouté que cette infirmité avait été " aggravée par un accident dramatique dont il a été victime sept ans auparavant " - soit en 2011- c'est-à-dire après le 30 mai 1998, date de radiation des contrôles comme indiqué au point 1. L'accident en question se rapporte, selon cet expert, à " un incendie dans un studio que M. A... occupait et qui lui aurait occasionné quatre semaines de coma thérapeutique, une rééducation, des séquelles cicatricielles touchant le haut du corps et du visage, une perte de poids de 24 kilos ainsi que l'absorption d'un corps étranger qu'il a fallu extraire par la suite. ". M. A... n'apporte, pas plus en appel qu'en première instance, d'élément médical justifiant d'écarter l'accident non imputable au service survenu en 2011 comme un facteur aggravant de son état de santé, évalué à la date de sa demande de pension. Par ailleurs, le requérant ne saurait se prévaloir d'un avis d'expert privé établi le 9 décembre 2020 qui, comme le relève la ministre des armées dans son mémoire du 17 janvier 2023, s'inscrit dans le cadre de la procédure de renouvellement de la pension de l'intéressé, avec effet à compter du 12 janvier 2020, dont l'objet est distinct du présent litige. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le ministre qui pouvait s'appuyer également sur l'avis de la commission médicale en date du 10 août 2018, lequel était suffisamment motivé, aurait, dans l'arrêté contesté du 1er octobre 2018, commis une erreur d'appréciation en retenant une part non imputable à son engagement militaire à hauteur de la moitié du taux global d'invalidité et fixé à 20 pour cent le taux de sa pension militaire d'invalidité.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. A... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.






Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.


Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2023.


Le rapporteur,





O. COIFFETLe président,





O. GASPON

La greffière,





I. PETTON


La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.





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