CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 09/11/2023, 21TL21973, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Tournefeuille a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler le titre exécutoire émis à son encontre le 11 août 2017 par la commune de Ramonville-Saint-Agne, pour un montant de 83 078,69 euros, de la décharger du paiement de la somme de 41 162,92 euros et de condamner la commune de Ramonville-Saint-Agne à lui verser une somme de 12 518,62 euros.
Par un jugement n° 1705983 du 12 mars 2021, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la commune de Ramonville-Saint-Agne à verser une somme de 6 079,31 euros à la commune de Tournefeuille et rejeté le surplus des conclusions de cette dernière.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 mai 2021, sous le n° 21BX01973 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 21TL21973 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire complémentaire enregistré le 19 octobre 2022, la commune de Tournefeuille, représentée par Me Lapuelle et Me Foucard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de sa demande ;
2°) de déclarer le titre exécutoire nul et non avenu et de la décharger du paiement de la somme de 83 078,69 euros ;
3°) à titre subsidiaire, d'annuler le titre exécutoire émis à son encontre le 11 août 2017 et de la décharger du paiement de la somme de 41 162,92 euros ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, d'annuler ce titre exécutoire et de la décharger du paiement de la somme de 28 150,43 euros ;
5°) de condamner la commune de Ramonville-Saint-Agne à lui verser une somme de 12 518,62 euros ;
6°) de mettre à la charge de la commune de Ramonville-Saint-Agne une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas soulevé d'office le moyen d'ordre public tiré de l'inexistence du titre exécutoire contesté ;
- le titre exécutoire attaqué est dépourvu d'existence matérielle ;
- il est entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que la commune de Ramonville-Saint-Agne, qui n'a pas saisi le médecin agréé et la commission de réforme et qui a tardé à saisir le médecin de prévention, a excédé la période qui était raisonnablement nécessaire pour permettre la reprise de son agent ;
- la responsabilité de la commune de Ramonville-Saint-Agne est totale dans le refus de prise en charge, par son assureur, des sommes versées à raison du traitement de l'agent concerné entre le 30 avril 2012 et le 15 décembre 2013.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 18 août 2022 et le 6 décembre 2022, la commune de Ramonville-Saint-Agne, représentée par Me Blanchet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la commune de Tournefeuille sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la commune requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lafon,
- les conclusions de M. Clen, rapporteur public,
- et les observations de Me Foucard pour la commune de Tournefeuille.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., adjoint technique territorial, a été victime le 16 mai 2006, alors qu'il était employé en qualité de cuisinier par la commune de Tournefeuille, d'un accident reconnu imputable au service. M. A... a ensuite été recruté le 1er avril 2009 par la commune de Ramonville-Saint-Agne et placé en congé de maladie pour rechutes du 2 décembre 2009 au 15 février 2010, du 12 octobre 2010 au 28 février 2011, puis du 28 février 2012 au 15 décembre 2013. Il a ensuite été autorisé à reprendre ses fonctions à temps partiel thérapeutique du 16 décembre 2013 au 15 mars 2014. La commune de Tournefeuille a reçu le 26 octobre 2017 une lettre de relance faisant référence à un titre exécutoire émis à son encontre le 11 août 2017 par la commune de Ramonville-Saint-Agne, pour un montant de 83 078,69 euros, correspondant aux traitements versés à M. A... durant les quatre périodes de congé de maladie et de reprise à temps partiel. Elle a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler ce titre exécutoire, de la décharger du paiement de la somme de 41 162,92 euros et de condamner la commune de Ramonville-Saint-Agne à lui verser une somme de 12 518,62 euros, en réparation des préjudices subis du fait des conditions de transmission des documents relatifs au traitement de M. A.... Par un jugement du 12 mars 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté les conclusions dirigées contre le titre exécutoire et fait partiellement droit à ces prétentions indemnitaires en condamnant la commune de Ramonville-Saint-Agne à lui verser une somme de 6 079,31 euros. La commune de Tournefeuille fait appel de ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de sa demande. Elle demande également à la cour de la décharger du paiement de la somme totale de 83 078,69 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. La commune de Tournefeuille soutient que le jugement attaqué est irrégulier au motif que les premiers juges ont omis de soulever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'inexistence matérielle du titre exécutoire émis le 11 août 2017. Toutefois, l'omission qu'aurait ainsi commise le tribunal administratif, à la supposer établie, a trait au bien-fondé du jugement attaqué et demeure, par suite, sans incidence sur sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre le titre exécutoire émis le 11 août 2017 :
3. En premier lieu, la commune de Ramonville-Saint-Agne a versé au dossier l'avis des sommes à payer valant titre exécutoire contesté, émis et rendu exécutoire le 11 août 2017. En outre, dans un certificat administratif du 31 octobre 2022, le maire de Ramonville-Saint-Agne indique que l'avis fourni en première instance, qui comportait une date d'émission postérieure, correspondait à une copie réémise pour les besoins de sa production en justice. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le titre exécutoire attaqué serait dépourvu d'existence matérielle manque en fait et doit être écarté.
4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. (...) La collectivité est subrogée dans les droits éventuels du fonctionnaire victime d'un accident provoqué par un tiers jusqu'à concurrence du montant des charges qu'elle a supportées ou supporte du fait de cet accident. Elle est admise à poursuivre directement contre le responsable du dommage ou son assureur le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées audit fonctionnaire pendant la période d'indisponibilité de celui-ci (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 81 de la même loi, applicable au présent litige : " Les fonctionnaires territoriaux reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions peuvent être reclassés dans les emplois d'un autre cadre d'emploi, emploi ou corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé ". Aux termes de l'article 30 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliées à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités territoriales : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande. / Lorsque l'admission à la retraite pour invalidité intervient après que les conditions d'ouverture du droit à une pension de droit commun sont remplies par ailleurs, la liquidation des droits s'effectue selon la réglementation la plus favorable pour le fonctionnaire. / La mise en retraite d'office pour inaptitude définitive à l'exercice de l'emploi ne peut être prononcée qu'à l'expiration des congés de maladie, des congés de longue maladie et des congés de longue durée dont le fonctionnaire bénéficie en vertu des dispositions statutaires qui lui sont applicables, sauf dans les cas prévus à l'article 39 si l'inaptitude résulte d'une maladie ou d'une infirmité que son caractère définitif et stabilisé ne rend pas susceptible de traitement. En aucun cas, elle ne pourra avoir une date d'effet postérieure à la limite d'âge du fonctionnaire sous réserve de l'application des articles 1er-1 à 1er-3 de la loi du 13 septembre 1984 susvisée ". Aux termes de l'article 36 du même décret : " Le fonctionnaire qui a été mis dans l'impossibilité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées, soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes, peut être mis à la retraite par anticipation soit sur sa demande, soit d'office, à l'expiration des délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 et a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° de l'article 7 et au 2° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite (...) ".
6. En application de ces dispositions, la collectivité au service de laquelle se trouvait l'agent lors de l'accident de service doit supporter les conséquences financières de la rechute consécutive à cet accident, alors même que cette rechute est survenue alors qu'il était au service d'une nouvelle collectivité. La collectivité qui employait l'agent à la date de l'accident doit ainsi prendre en charge non seulement les honoraires médicaux et les frais exposés par celui-ci qui sont directement entraînés par la rechute mais aussi le remboursement des traitements qui lui ont été versés par la collectivité qui l'emploie à raison de son placement en congé de maladie ordinaire, de congé de longue maladie ou de congé de longue durée, dès lors que ce placement a pour seule cause la survenue de la rechute consécutive à l'accident de service. Si la collectivité qui l'emploie est tenue de verser à son agent les traitements qui lui sont dus, elle est cependant fondée à demander à la collectivité qui l'employait à la date de l'accident, par une action récursoire, le remboursement de ceux de ces traitements qui sont liés à la rechute ainsi que des éventuels honoraires médicaux et frais qu'elle aurait pris en charge du fait de cette rechute. Cette action récursoire ne peut être exercée, s'agissant des traitements, qu'au titre de la période qui est raisonnablement nécessaire pour permettre la reprise par l'agent de son service ou, si cette reprise n'est pas possible, son reclassement dans un emploi d'un autre corps ou cadre d'emplois ou encore, si l'agent ne demande pas son reclassement ou si celui-ci n'est pas possible, pour que la collectivité qui l'emploie prononce sa mise d'office à la retraite par anticipation.
7. Il résulte de l'instruction qu'un médecin agréé saisi par la commune de Tournefeuille a, dans un rapport d'expertise du 17 septembre 2012, fixé au 23 septembre 2012 la date de consolidation de l'état de M. A... et estimé qu'il restait " inapte en l'état à assurer ses anciennes fonctions de cuisinier, avec nécessité de poste aménagé évitant les prises de force avec sa main droite ; à définir au mieux avec le médecin de prévention ". Saisi à nouveau par la même commune sur l'avis du médecin de prévention du 4 février 2013, le médecin agréé a indiqué, dans un rapport du 19 août 2013, que la reprise était possible sur le poste aménagé préconisé, dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique d'une durée de trois mois. Ces conclusions ont été confirmées par un avis du 21 novembre 2013 de la commission de réforme des agents des collectivités territoriales de la Haute-Garonne, convoquée par la commune de Tournefeuille. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Tournefeuille a mené la procédure conduisant à la saisine du médecin agréé et de la commission de réforme, alors qu'il appartenait à la commune de Ramonville-Saint-Agne de le faire en sa qualité d'employeur de M. A..., pour pallier une inertie de celle-ci. D'autre part, il résulte d'un courriel du 17 octobre 2012 de la direction des ressources humaines de cette commune qu'elle avait transmis au médecin de prévention, à cette date, le rapport d'expertise du 17 septembre 2012, de sorte que le délai mis par l'intéressé pour rendre son avis du 4 février 2013 n'est pas imputable à l'intimée. Dans l'ensemble de ces conditions, en autorisant M. A... à reprendre ses fonctions à compter du 16 décembre 2013, soit moins d'un mois après l'intervention de l'avis du 21 novembre 2013, la commune de Ramonville-Saint-Agne n'a pas excédé la période qui était raisonnablement nécessaire pour permettre cette reprise. Il en résulte que cette commune était en droit d'émettre, dans le cadre d'une action récursoire exercée à l'encontre de la commune de Tournefeuille, qui employait M. A... à la date de l'accident de service, un titre exécutoire pour obtenir le remboursement de l'ensemble des traitements qu'elle justifie avoir versés à l'intéressé durant les périodes de congés liés à la rechute et de reprise à temps partiel.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
8. Il résulte de l'instruction que l'assureur de la commune de Tournefeuille n'a pas remboursé la part qu'il s'était engagé à prendre en charge des sommes versées à raison du traitement de M. A... entre le 30 avril 2012 et le 15 décembre 2013. Il n'est pas sérieusement contesté que ce refus, opposé le 10 février 2016, est motivé par un retard de transmission des pièces justificatives et qu'il est à l'origine, pour la commune de Tournefeuille, d'un préjudice financier d'un montant total de 12 158,62 euros.
9. D'une part, il est constant que la totalité des pièces sollicitées le 25 mars 2015 par la commune de Tournefeuille n'ont été transmises par la commune de Ramonville-Saint-Agne que le 29 février 2016. Le délai de plus de onze mois mis, dans les circonstances de l'espèce, par cette commune pour délivrer les documents réclamés, constitués notamment de bulletins de paie qu'elle avait en sa possession, alors qu'elle a fait l'objet de plusieurs relances, est constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité.
10. D'autre part, il résulte de l'instruction que la commune de Tournefeuille a mis plus de trois mois pour saisir la commune de Ramonville-Saint-Agne de la demande de son assureur du 10 décembre 2014 et, à nouveau, pour la relancer à la suite de la transmission partielle, le 30 octobre 2015, des documents attendus. Ces délais sont également constitutifs d'une faute.
11. Dans les circonstances de l'espèce, le tribunal administratif de Toulouse s'est livré à une exacte appréciation de la réparation due à la commune de Tournefeuille en condamnant la commune de Ramonville-Saint-Agne à la réparation de la moitié du préjudice subi. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a condamné cette dernière à verser à la première, compte tenu du partage de responsabilité, une somme de 6 079,31 euros.
12. Il résulte de ce qui précède que la commune de Tournefeuille n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions dirigées contre le titre exécutoire émis le 11 août 2017 et limité à la somme de 6 079,31 euros la condamnation de la commune de Ramonville-Saint-Agne.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Ramonville-Saint-Agne, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Tournefeuille le versement à la commune de Ramonville-Saint-Agne de la somme de 2 000 euros en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par la commune de Tournefeuille est rejetée.
Article 2 : La commune de Tournefeuille versera à la commune de Ramonville-Saint-Agne la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Tournefeuille et à la commune de Ramonville-Saint-Agne.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques de la région Occitanie et du département de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2023, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- M. Lafon, président assesseur,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
Le rapporteur,
N. Lafon
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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