CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 21/11/2023, 22MA00401, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal des pensions de Bastia, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Bastia, à titre principal, d'annuler la décision du 4 février 2019 par laquelle la ministre des armées n'a que partiellement fait droit à sa demande de révision de pension pour aggravation des infirmités dont il est atteint, et de fixer le taux d'invalidité, à compter du 27 février 2017, à 40 % s'agissant de l'infirmité de vertiges et à 35 % s'agissant de l'infirmité de séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche, et à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale.
Par un jugement n° 1901535 du 7 décembre 2021, le tribunal administratif de Bastia a, d'une part, annulé cette décision en tant qu'elle rejette la demande de révision de pension de M. A... pour aggravation des infirmités de vertiges et de séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche, d'autre part, reconnu au bénéfice de celui-ci un taux d'invalidité de 40 % s'agissant de l'infirmité liée à des vertiges et un taux de 35 % s'agissant de l'infirmité liée à des séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche et, enfin, rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 1er février 2022, le ministre des armées demande à la Cour de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 décembre 2021.
Le ministre soutient que :
- au titre de l'infirmité liée aux vertiges, il n'existe aucune aggravation entre 2010 et 2018, l'hyper-réflexie labyrinthique bilatérale aux épreuves caloriques étant déjà présente en 2010 et en jugeant le contraire, le tribunal a dénaturé les éléments du dossier et commis une erreur d'appréciation ;
- c'est à tort que le tribunal s'est prononcé sur les conclusions de l'intéressé contestant la décision en litige en tant qu'elle rejette la demande de révision de pension pour aggravation de l'infirmité dite " séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche ", présentées au-delà du délai posé par l'article R. 731-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et constitutives d'une demande nouvelle par rapport à celle enregistrée au greffe du tribunal le 3 juin 2019.
Le recours du ministre des armées a été communiqué à M. A... qui n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 21 août 2023 la clôture d'instruction a été fixée au 11 septembre 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., titulaire d'une pension militaire d'invalidité, au taux de 85 %, du chef des infirmités dénommées " séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche ", " bourdonnements ", " vertiges ", " déviation de la cloison nasale " et " sinusite maxillaire bilatérale ", en a demandé la révision le 27 février 2017, pour aggravation des trois premières infirmités. Par une décision du 12 février 2019, prise après avis de la commission de réforme des pensions du 23 janvier 2019, la ministre des armées a fait droit à cette demande en ce qu'elle concerne l'aggravation de l'infirmité " bourdonnements " en attribuant à ce titre un taux d'invalidité supplémentaire de 10 %, et a rejeté le surplus de la demande. Par un jugement du 7 décembre 2021, dont le ministre des armées relève appel, le tribunal administratif de Bastia a annulé cette décision en tant qu'elle rejette la demande de révision de pension de M. A... pour aggravation des infirmités de vertiges et de séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche, et a reconnu au bénéfice de celui-ci un taux d'invalidité de 40 % s'agissant de la première de ces infirmités et un taux de 35 % s'agissant de la seconde.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les droits à pension de M. A... au titre de l'infirmité dite " vertiges " :
2. Aux termes de l'article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de révision de pension de M. A... : " La pension militaire d'invalidité est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. / Il en est de même de la date d'entrée en jouissance de la pension révisée pour aggravation ou pour prise en compte d'une infirmité nouvelle. ". Par ailleurs, l'article L. 151-4 du même code, alors en vigueur, dispose que : " Le demandeur a la faculté de provoquer l'examen de sa demande par une commission de réforme (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 154-1 de ce code : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. (...) La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. ".
3. L'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre prévoit que le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée, la pension étant révisée lorsque le degré d'invalidité de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins au pourcentage antérieur. Cette disposition qui exige une aggravation réelle des blessures ou maladies, ne permet pas de remettre en cause, en l'absence d'aggravation effective, les bases de la liquidation initiale notamment en ce qui concerne le libellé des infirmités pensionnées.
4. Il résulte de l'instruction que pour décider le 7 juin 2013, de réviser la pension d'invalidité de M. A..., notamment pour aggravation de son infirmité liée aux vertiges dont il souffre depuis le 5 janvier 1973, et revaloriser en conséquence le taux d'invalidité correspondant à hauteur de 30 %, le ministre chargé de la défense s'était fondé sur l'expertise réalisée le 20 mai 2010 par un oto-rhino-laryngologiste qui avait recueilli les doléances de l'intéressé portant sur une aggravation des sensations de déséquilibre et une augmentation du nombre de crises vertigineuses, lesquelles présentaient alors une durée d'une semaine, à raison de deux fois par mois, sur fond de sensations de déséquilibre permanent, et constaté, au terme d'examens oto-rhino-laryngologiques, une instabilité à l'épreuve dite de Romberg, une marche aveugle ébrieuse et une hyper-réflexie labyrinthique bilatérale aux épreuves caloriques. Le même expert médical, appelé à se prononcer sur la demande de révision de pension pour aggravation de cette infirmité rejetée par la décision en litige, a constaté, le 6 juillet 2018, une aggravation à raison d'un degré supplémentaire d'invalidité de 10 %, en relevant que les crises de vertiges rotatoires vrais dont se plaint M. A... surviennent deux à trois fois par semaine, durant douze heures environ, sur fond de sensations permanentes de déséquilibre, et que l'examen oto-rhino-laryngologique révèle une instabilité à l'épreuve de Romberg, une marche aveugle ébrieuse, ainsi qu'une légère hypo-réflexie labyrinthique bilatérale plus ou moins symétrique aux épreuves caloriques, sans nystagmus spontané ni " DDI ". Si la comparaison de ces deux examens médicaux ne fait pas apparaître, à partir des doléances de M. A..., d'aggravation du nombre de crises de vertiges dont il souffre, ainsi que l'ont indiqué l'avis de la commission consultative médicale du 8 janvier 2019 et l'avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité du 11 septembre 2018, ces documents montrent en revanche, contrairement à ce que soutient le ministre, que l'intéressé présente en 2018, non plus une hyper-réflexie labyrinthique bilatérale aux épreuves caloriques, mais une hypo-réflexie labyrinthique bilatérale à ces mêmes épreuves. En se bornant ainsi à relever une amélioration du nombre de crises de vertiges dont se plaint M. A..., mais dont la fréquence n'a pas diminué, sans remettre en cause l'existence d'une hypo-réflexie labyrinthique bilatérale ni son importance sur son état de santé, alors que le médecin expert a conclu à une aggravation de ses vertiges à hauteur de 10 % d'invalidité supplémentaire, le ministre ne conteste pas efficacement le caractère réel et effectif de cette aggravation. Il n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé sa décision du 12 février 2019 refusant de réviser la pension militaire d'invalidité de M. A... pour aggravation de cette infirmité et a reconnu à ce titre au bénéfice de celui-ci un taux d'invalidité de 40 %.
En ce qui concerne les droits à pension de M. A... au titre de l'infirmité dite " séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche " :
5. Aux termes de l'article R. 731-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve du cas des recours en révision prévus par l'article L. 154-4, les décisions individuelles prises en application des dispositions du livre premier et des titres I, II et III du livre II du présent code sont susceptibles, dans le délai de six mois à compter de leur notification, de recours devant le tribunal des pensions. ".
6. Le délai de recours contre une décision individuelle prise sur une demande de pension militaire d'invalidité commence, en principe, à courir à compter de la notification complète et régulière de cette décision. Toutefois, à défaut, dans le cas où un requérant a saisi le juge des pensions d'un recours tendant à l'annulation d'une décision refusant de réviser une pension militaire d'invalidité en tant qu'elle est relative seulement à certaines des infirmités visées par sa demande de pension, le délai de recours contre cette décision en tant qu'elle concerne la ou les autres infirmités court, au plus tard, à compter, pour ce qui concerne ce requérant, de l'introduction de son recours initial.
7. Il résulte des pièces de la procédure devant le tribunal que M. A... a saisi le tribunal des pensions de Bastia le 3 juin 2019 de conclusions contestant la décision en litige, produite au soutien de ses prétentions, en tant seulement qu'elle refuse de réviser sa pension militaire d'invalidité au titre de l'aggravation de l'infirmité dite " vertiges ". En application des dispositions réglementaires citées au point 5 et au plus tard à compter du 3 juin 2019, date à laquelle il avait connaissance de la décision litigieuse, M. A... disposait d'un délai de six mois pour demander l'annulation de celle-ci en tant qu'elle rejette sa demande de révision de pension au titre des autres infirmités, dont les séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche. Or, ce n'est que par un mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Bastia le 13 janvier 2021, soit après l'expiration de ce délai de six mois, que M. A... a présenté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 12 février 2019 en tant qu'elle refuse la révision de sa pension pour l'aggravation de cette infirmité. De telles conclusions étant ainsi tardives, c'est à tort que le tribunal administratif a écarté la fin de non-recevoir opposée en ce sens par le ministre des armées et a accueilli ces prétentions. Le ministre des armées est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé sa décision du 12 février 2019 en tant qu'elle rejette la demande de révision de pension de M. A... pour aggravation de l'infirmité de séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche, et a reconnu à ce titre au bénéfice de celui-ci un taux d'invalidité de 35 %. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement dans cette mesure et, en évoquant l'affaire dans cette même mesure, de rejeter comme irrecevables les conclusions de M. A... aux fins d'annulation de la décision du 12 février 2019 et d'octroi d'une pension au titre de l'aggravation de cette infirmité.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901535 rendu le 7 décembre 2021 par le tribunal administratif de Bastia est annulé en tant qu'il a annulé la décision de la ministre des armées du 12 février 2019 rejetant la demande de révision de pension de M. A... pour aggravation de l'infirmité de séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche, et en tant qu'il a reconnu au bénéfice de celui-ci un taux d'invalidité de 35 % s'agissant de cette infirmité.
Article 2 : Les conclusions de M. A... devant le tribunal administratif de Bastia tendant à l'annulation de la décision du 12 février 2019 refusant de réviser sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité de séquelles de traumatisme fermé du fémur gauche et à l'octroi d'un taux d'invalidité de 35 % sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre des armées est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2023.
N° 22MA004012