CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 19/12/2023, 23MA00313, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision19 décembre 2023
Num23MA00313
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. MARCOVICI
RapporteurM. Michaël REVERT
CommissaireMme BALARESQUE
AvocatsSCP GOBERT & ASSOCIES AVOCATS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 7 février 2020 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental de secours (SDIS) des Hautes-Alpes l'a placé en retraite pour invalidité à compter du 27 septembre 2019 ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux du 3 juin 2020.

Par un jugement n° 2007667 du 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 février et 13 novembre 2023, M. A... B..., venant aux droits de M. C... B..., représenté par Me Morabito de la SCP Gobert et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 décembre 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté et cette décision ;

3°) de mettre à la charge du SDIS des Hautes-Alpes les entiers dépens et la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Il soutient que :

- à titre principal, l'arrêté en litige est :

* d'une part, entaché d'une rétroactivité illégale, qui n'est nullement justifiée par la nécessité de le placer dans une situation régulière et qui lui cause un préjudice ;
* d'autre part, intervenu au terme d'une procédure irrégulière, la commission de réforme s'étant réunie sur son cas sans comprendre parmi ses membres un spécialiste de l'affection dont souffrait son père, en méconnaissance de l'article 31 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ;
* est enfin insuffisamment motivé en droit et en fait au regard de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- à titre subsidiaire, l'arrêté litigieux :

* méconnaît l'article 15-II 2° du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affilés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, faute d'avoir pris en compte son placement en disponibilité et donc de lui ouvrir droit à une bonification de pension ;
*est entaché d'une erreur de droit commise par le président du conseil d'administration en s'estimant lié, quant à la date de prise d'effet de l'admission à la retraite, par l'avis de la commission de réforme, alors qu'il était toujours en disponibilité d'office au jour de l'arrêté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2023, le SDIS des Hautes-Alpes, représenté par Me Ducrey-Bompard de la SCP Alpavocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soient mis à la charge de son auteur les dépens et la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'établissement public fait valoir que :
- la requête d'appel est irrecevable car non motivée et émanant d'une personne qui ne justifie ni de sa qualité ni de son intérêt pour agir ;
- les moyens d'appel ne sont pas fondés

Par un mémoire en intervention, enregistré le 13 novembre 2023, Mme D... B..., représentée par Me Morabito de la SCP Gobert et associés, conclut à l'annulation du jugement attaqué, à l'annulation de l'arrêté du 7 février 2020 et de la décision rejetant le recours gracieux contre cet arrêté, et à ce que soient mis à la charge du SDIS des Hautes-Alpes les entiers dépens et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en reprenant les moyens développés par M. B....

Par une ordonnance du 27 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 novembre 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.






Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-56 du 26 janvier 1984 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le décret n° 86-68 du 13 janvier 1986 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Morabito, représentant M. B... et Mme B....


Considérant ce qui suit :

1. M. C... B..., sapeur-pompier professionnel, a été admis à la retraite pour invalidité à compter du 27 septembre 2019, par un arrêté pris le 7 février 2020 par le président du conseil d'administration du SDIS des Hautes-Alpes, après avis de la commission de réforme du 26 septembre 2019. Par un jugement du 6 décembre 2022, dont M. A... B..., venant aux droits de son père, M. C... B..., relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de celui-ci tendant à l'annulation de cet arrêté et de la décision rejetant son recours gracieux du 3 juin 2020.

Sur l'intervention de Mme D... B... :

2. Compte tenu des effets de la mesure litigieuse sur sa situation personnelle, Mme D... B..., veuve de M. C... B..., justifie d'un intérêt suffisant la rendant recevable à intervenir à l'appui des conclusions présentées par M. A... B..., son fils, contre cette même mesure. Son intervention doit donc être admise.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

3. L'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite dispose que : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office ; dans ce dernier cas, la radiation des cadres est prononcée sans délai si l'inaptitude résulte d'une maladie ou d'une infirmité que son caractère définitif et stabilisé ne rend pas susceptible de traitement (...)".



4. En outre, aux termes de l'article 30 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande. (...) / La mise en retraite d'office pour inaptitude définitive à l'exercice de l'emploi ne peut être prononcée qu'à l'expiration des congés de maladie, des congés de longue maladie et des congés de longue durée dont le fonctionnaire bénéficie en vertu des dispositions statutaires qui lui sont applicables, sauf dans les cas prévus à l'article 39 si l'inaptitude résulte d'une maladie ou d'une infirmité que son caractère définitif et stabilisé ne rend pas susceptible de traitement. En aucun cas, elle ne pourra avoir une date d'effet postérieure à la limite d'âge du fonctionnaire sous réserve de l'application des articles 1er-1 à 1er-3 de la loi du 13 septembre 1984 susvisée ".

En ce qui concerne les moyens présentés à titre principal :

5. D'une part, aux termes de l'article 31 du décret précité du 26 décembre 2003 : " Une commission de réforme est constituée dans chaque département pour apprécier (...) l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions. ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " Cette commission comprend : deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, s'il y a lieu, pour l'examen des cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste qui participe aux débats mais ne prend pas part aux votes, (...) ". Il résulte de ces dispositions que, dans le cas où il est manifeste, eu égard aux éléments dont dispose la commission de réforme, que la présence d'un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par un agent est nécessaire pour éclairer l'examen de son cas, l'absence d'un tel spécialiste est susceptible de priver l'intéressé d'une garantie et d'entacher ainsi la procédure devant la commission d'une irrégularité justifiant l'annulation de la décision attaquée.

6. Il ressort des pièces du dossier et plus particulièrement des termes mêmes de l'avis rendu par la commission de réforme le 26 septembre 2019 que, pour conclure à l'inaptitude définitive et absolue à ses fonctions ainsi qu'à toute fonction, les membres de cette commission ont eu connaissance du rapport rendu le 17 avril 2019 par un médecin psychiatre désigné par l'administration concluant à l'inaptitude définitive et absolue de M. B..., en raison de la dépression majeure dont il souffrait depuis le mois de mars 2016. Ainsi, compte tenu des éléments dont disposait la commission de réforme, il n'est pas manifeste que la présence d'un spécialiste en psychiatrie était nécessaire pour éclairer l'examen de son cas. Le moyen tiré par M. B... et Mme B... de la composition irrégulière de la commission de réforme ne peut donc qu'être écarté.

7. D'autre part, les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir. Par suite, en l'absence de disposition législative l'y autorisant, l'administration ne peut, même lorsqu'elle est saisie d'une demande de l'intéressé en ce sens, déroger à cette règle générale et conférer un effet rétroactif à une décision d'admission à la retraite, à moins qu'il ne soit nécessaire de prendre une mesure rétroactive pour tirer les conséquences de la survenance de la limite d'âge, pour placer l'agent dans une situation régulière ou pour remédier à une illégalité.

8. En outre, en vertu de l'article 72 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 19 du décret du 13 janvier 1986, relatif notamment à la position de disponibilité des fonctionnaires territoriaux, le fonctionnaire peut être mis en disponibilité pour raison de santé, soit d'office, soit à sa demande, d'une part, s'il a épuisé ses droits à congé de maladie, et d'autre part, dans l'attente de son éventuel reclassement.
9. Il ressort des pièces du dossier que si, par un arrêté du 3 juin 2017, M. B... a été placé d'office en disponibilité, avec conservation de son demi-traitement, à compter du 21 mars 2017 jusqu'à l'intervention de l'avis du comité médical consulté sur sa demande de congé de longue maladie, il a été placé en congé de longue maladie, par deux arrêtés du 13 décembre 2019, pour les périodes du 15 mars 2016 au 15 mars 2017, à plein traitement, et du 15 mars 2017 au 14 mars 2019 à demi-traitement. Il est donc constant qu'au 15 mars 2019, l'intéressé avait épuisé ses droits à congé de longue maladie et que, sous réserve qu'il présente une inaptitude définitive et absolue à l'exercice de ses fonctions, il pouvait être admis à la retraite pour invalidité d'office ou à sa demande, en application des dispositions citées aux points 3 et 4. Or, alors que par son avis du 18 juillet 2019, le comité médical départemental, appelé à se prononcer sur le bénéfice d'un congé de longue maladie pour la période du 15 mars 2016 au 14 mars 2019, a conclu à l'inaptitude définitive et absolue de M. B... à l'exercice de ses fonctions et de toute fonction à compter du 15 mars 2019 et à son admission à la retraite pour invalidité, la commission de réforme, par son avis du 26 septembre 2019, a estimé que cet agent était à cette dernière date inapte de manière définitive à l'exercice de ses fonctions et de toute fonction. Il en résulte que, bien qu'ayant épuisé dès le 15 mars 2019 ses droits à congé de longue maladie, M. B..., qui en raison de son inaptitude définitive et absolue, ne pouvait dès cette même date bénéficier d'un reclassement, ne pouvait alors prétendre au bénéfice d'un placement en position de disponibilité pour raison de santé. Ainsi, pour contester la date de prise d'effet au 27 septembre 2019 de l'admission à la retraite pour invalidité de M. C... B... et sa radiation des cadres, qui se justifie par la nécessité de placer cet agent dans une situation régulière, l'appelant n'est pas fondé à prétendre que celui-ci aurait dû être placé en disponibilité d'office pour raison de santé jusqu'à la date de signature de cette mesure. Le moyen tiré de la rétroactivité illégale de l'arrêté en litige ne peut donc qu'être écarté.

En ce qui concerne les moyens présentés à titre subsidiaire :

10. Enfin, l'arrêté en litige, qui comporte les considérations de droit et de fait qui le fondent, et qui n'avait pas à préciser les raisons pour lesquelles il prenait effet au 27 septembre 2019, ni à se prononcer sur une bonification de droits à pension, est suffisamment motivé. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette mesure doit, dès lors, être écarté.

11. En premier lieu, contrairement à ce que soutient l'appelant, il ne ressort ni des motifs de l'arrêté qu'il attaque, ni des autres pièces du dossier, que pour faire droit à la demande présentée par M. B... le 12 décembre 2018 d'admission à la retraite pour invalidité, le président du conseil d'administration du SDIS des Hautes-Alpes se serait cru lié par l'avis de la commission de réforme, dont il s'est approprié les conclusions. Par suite M. B... et
Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté en litige est entaché d'incompétence négative.

12. En second lieu, dans la mesure où cet arrêté n'a pas pour d'autre objet que de se prononcer sur la demande d'admission à la retraite pour invalidité de M. B..., et de décider en conséquence sa radiation des cadres, le requérant ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 15 II du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, qui ont trait aux éléments de liquidation des droits à pension des sapeurs-pompiers professionnels.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête d'appel, que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. C... B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 février 2020 l'admettant à la retraite pour invalidité et le radiant des cadres, et de la décision tacite rejetant son recours gracieux contre cet arrêté.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du SDIS des Hautes-Alpes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par l'appelant et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par M. B... et, en tout état de cause, par Mme B..., ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de M. B... à ce même titre. Les prétentions du SDIS des Hautes-Alpes relatives à ses frais d'instance doivent donc elles aussi être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de Mme D... B... est admise.
Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions du SDIS des Hautes-Alpes et de Mme D... B... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Mme D... B... et au service départemental d'incendie et de secours des Hautes-Alpes.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.
N° 23MA003132