CAA de LYON, 7ème chambre, 11/01/2024, 20LY00643, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'État à lui verser une indemnité d'un montant de 165 000 euros en réparation des préjudices causés par un accident survenu en service le 12 juin 2010.
Par un jugement n° 1800069 du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par un arrêt du 16 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a, à la demande de M. C..., annulé le jugement du 12 décembre 2019 et ordonné avant dire-droit une expertise aux fins de préciser son état de santé avant le 12 juin 2010, de décrire les lésions qu'il impute à l'accident du 12 juin 2010, d'émettre un avis sur leur relation avec un fait imputable à l'État, avec son état initial ou avec d'autres causes, d'apprécier si les conditions de service dans lesquelles il a continué de servir après le 12 juin 2010 ont contribué à aggraver ces lésions, de fixer la date de consolidation de l'état de son santé et d'évaluer les éventuels préjudices découlant d'un manquement de l'État.
Par une ordonnance du 5 janvier 2022, le président de la cour a nommé M. D... B... en qualité d'expert.
Le rapport d'expertise a été enregistré le 6 juin 2023.
Les parties, auxquelles le rapport d'expertise a été communiqué, n'ont pas présenté d'observations.
Par une ordonnance du 12 octobre 2023, le président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expert à la somme de 1 535,50 euros HT.
Par une ordonnance du 16 novembre 2023, l'instruction a été close avec effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions civiles et militaires ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., engagé dans la Marine nationale, a ressenti, le 12 juin 2010, au cours d'un exercice de tir, une douleur dans l'oreille gauche. En 2014, alors qu'il était sur le point de souscrire un nouveau contrat dans l'armée de l'Air, les examens médicaux pratiqués ont décelé un déficit auditif important le rendant inapte à la poursuite de sa carrière militaire. M. C... a été déclaré inapte au service le 25 février 2015. Par un arrêté du 7 avril 2015, une pension militaire d'invalidité lui a été concédée. M. C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à réparer les préjudices qu'il a subis à la suite de cet accident. Par un jugement du 12 décembre 2019, le tribunal, statuant au vu d'un rapport d'expertise rendu le 21 juillet 2015, a rejeté sa demande. Par un arrêt du 16 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon, à la demande de M. C... qui a ramené ses prétentions en appel de 165 000 euros à la somme de 83 744,84 euros, a annulé ce jugement au motif qu'il existait un doute sur l'impartialité de l'expert et ordonné avant dire-droit une nouvelle expertise. Le rapport de l'expert nommé par la cour a été déposé le 6 juin 2023.
Sur la responsabilité :
2. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la défense : " Les militaires bénéficient des régimes de pensions ainsi que des prestations de sécurité sociale dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et le code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ".
3. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'État de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisirs et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille.
4. Si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'État, dans le cas notamment où l'accident serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
5. M. C... demande à la cour de condamner l'État à l'indemniser des préjudices qu'il a subis en lui versant la somme de 83 744,84 euros à raison de son accident et de l'attitude fautive de l'Etat à la suite de cet accident. Cette somme correspond, à hauteur de 75 744,84 euros, à la différence entre, d'une part, le préjudice qu'il estime avoir subi, évalué à 147 800 euros au titre de la perte de revenus, de l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et de son déficit fonctionnel et, d'autre part, le capital représentatif de sa pension d'un montant de 72 055,16 euros. M. C... peut prétendre à l'indemnisation de cette somme, conformément à ce qui vient d'être indiqué aux points 3 et 4, sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'État, dans le cas où l'accident ou l'aggravation de la pathologie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'État. Pour le surplus, soit 8 000 euros, cette somme correspond à ses souffrances avant consolidation et au préjudice esthétique. M. C... peut prétendre à l'indemnisation de cette somme sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'État, laquelle est d'ordre public, s'il a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que la pension militaire d'invalidité a pour objet de réparer.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise rendu le 6 juin 2023, que M. C... était atteint, avant l'exercice de tirs à blanc en rafale effectué le 12 juin 2010, d'une discrète hypoacousie de perception de l'oreille gauche. A la suite de l'exercice de tirs, il a présenté des acouphènes ainsi qu'une baisse d'audition de l'oreille gauche qui ont été soignés par un traitement sous perfusion pendant cinq jours à l'issue desquels ces symptômes avaient disparu. Le jour de l'expertise, les examens audiométriques ont permis de constater une hypoacousie de perception bilatérale plus marquée à gauche qu'à droite. L'expert a conclu à une surdité fluctuante, c'est-à-dire une surdité de perception par lésion cochléaire caractérisée par des variations fluctuantes des seuils auditifs, qui ne pouvait pas avoir été causée par le traumatisme sonore survenu le 12 juin 2010, mais pouvait résulter d'une maladie parasitaire, d'une malformation cochléaire, de fistules auto-immunes et péri-lymphatiques ou de la maladie de Ménière. Dans ces conditions, les différents préjudices dont M. C... demande réparation, qui sont liés à cette surdité, n'apparaissant imputables ni au traumatisme sonore qu'il a subi, ni à la façon dont l'administration a traité les suites de cet accident de service, il n'est pas fondé, alors même qu'il a obtenu le bénéfice d'une pension d'invalidité à raison de cet accident, et notamment des acouphènes en ayant résulté, à demander la condamnation pour faute ou sans faute de l'État à lui verser une somme complémentaire en réparation des préjudices qu'il dit avoir subis.
7. Il résulte de ce qui précède que la demande de M. C... tendant à la condamnation de l'État à lui verser une indemnité en réparation des préjudices qu'il a subis doit être rejetée.
Sur les frais d'expertise :
8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ".
9. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée par la cour, taxés et liquidés à la somme de 1 535,50 euros HT, pour moitié à la charge définitive de M. C... et pour moitié à la charge de l'État.
Sur les frais d'instance :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par M. C... soit mise à la charge l'État.
DÉCIDE :
Article 1er : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 2 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés par l'ordonnance du président de la cour du 12 octobre 2023 à hauteur de 1 535,50 euros HT euros, sont mis à la charge pour moitié de M. C... et pour moitié de l'État.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre des armées et à M. D... B....
Délibéré après l'audience du 21 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY00643
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