CAA de LYON, 7ème chambre, 11/01/2024, 22LY02474, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision11 janvier 2024
Num22LY02474
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. PICARD
RapporteurMme Agathe DUGUIT-LARCHER
CommissaireM. RIVIERE
AvocatsCABINET ALTERNATIVES AVOCATS

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 3 mars 2021 par lequel le ministre de l'agriculture et de l'alimentation l'a admise à la retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 19 septembre 2018.

Par un jugement n° 2103308 du 8 juin 2022, le tribunal a annulé cet arrêté en ce qu'il prend effet à une date antérieure à celle de sa notification, enjoint au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de réexaminer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, la situation de Mme B... pendant la période du 19 septembre 2018 à la date de notification de l'arrêté du 3 mars 2021 et mis à la charge de l'État une somme de 1 400 euros à verser à l'AARPI Alternatives Avocats, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.
Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés le 6 août 2022 et le 21 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Brun, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 mars 2021 en tant qu'il prend effet à compter de sa notification ;


3°) d'enjoindre au ministre de l'agriculture de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, si le bénéfice de l'aide juridictionnelle ne lui était pas accordé, le versement à son bénéfice de la même somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- après l'annulation de l'arrêté du 18 février 2019, le ministre aurait dû saisir de nouveau la commission de réforme, ce qui constitue une garantie ; le ministre devait, du fait de l'annulation, reprendre entièrement la procédure avant de l'admettre à la retraite pour invalidité imputable au service ; le précédent avis était trop ancien, ainsi qu'en atteste le fait qu'elle a ensuite exercé un emploi dans le secteur privé ;
- la commission de réforme, qui n'avait pas été saisie par le ministre de cette question, ne s'est pas prononcée sur l'imputabilité au service de son invalidité ;
- l'avis du 9 novembre 2018 de la commission de réforme, qui n'est pas motivé et n'a pas été adopté au vu d'une procédure contradictoire, est irrégulier ;
- en méconnaissance de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, son employeur ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité d'adapter son poste de travail et aucun reclassement ne lui a été proposé au sein de son administration d'origine ou en dehors de celle-ci ; faute pour le ministre d'avoir procédé à sa réintégration après l'annulation du premier arrêté, les obligations résultant de la loi n'ont pas été respectées ; elle n'a pas bénéficié de la préparation au reclassement, telle que prévue par l'article 2 du décret du 30 novembre 1984 pris en application de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 en vue de faciliter le reclassement des fonctionnaires de l'État reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions ;
- son invalidité est, au moins en partie, imputable au service.

Par un mémoire enregistré le 28 mars 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code rural ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret n° 2010-90 du 22 janvier 2010 ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Brun, pour Mme B... ;


Considérant ce qui suit :


1. A la suite d'un jugement du 18 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé, pour défaut de motivation, l'arrêté du 18 février 2019 par lequel le ministre de l'agriculture a admis d'office Mme B..., adjointe administrative principale de 2ème classe du ministère de l'agriculture affectée à l'Institut français du cheval (IFCE), à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 19 septembre 2018 au titre d'une invalidité non imputable au service, le ministre a, le 3 mars 2021, pris un nouvel arrêté ayant le même objet. Par un jugement du 8 juin 2022, le tribunal a annulé cet arrêté en ce qu'il prend effet à une date antérieure à celle de sa notification, enjoint au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de réexaminer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, la situation de Mme B... pendant la période du 19 septembre 2018 à la date de notification de l'arrêté et mis à la charge de l'État les frais d'instance. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas entièrement prononcé l'annulation de l'arrêté et doit ainsi être regardée comme demandant l'annulation de l'arrêté du 3 mars 2021 en tant qu'il prend effet à compter de sa notification.


Sur la légalité de l'arrêté de mise à la retraite d'office :

2. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office (...) ". Aux termes de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État alors en vigueur : " Lorsqu'un fonctionnaire est reconnu, par suite d'altération de son état de santé, inapte à l'exercice de ses fonctions, le poste de travail auquel il est affecté est adapté à son état de santé. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ce fonctionnaire peut être reclassé dans un emploi d'un autre corps ou cadre d'emplois en priorité dans son administration d'origine ou, à défaut, dans toute administration ou établissement public mentionnés à l'article 2 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, s'il a été déclaré en mesure de remplir les fonctions correspondantes. / En vue de permettre ce reclassement, l'accès à des corps ou cadres d'emplois d'un niveau supérieur, équivalent ou inférieur est ouvert à l'intéressé, quelle que soit la position dans laquelle il se trouve, selon les modalités retenues par les statuts particuliers de ces corps ou cadres d'emplois (...). Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles le reclassement, qui est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé, peut intervenir. (...) / Le fonctionnaire reconnu inapte à l'exercice de ses fonctions a droit, selon des modalités définies par décret en Conseil d'État, à une période de préparation au reclassement, avec traitement d'une durée maximale d'un an. Cette période est assimilée à une période de service effectif. / Le fonctionnaire à l'égard duquel une procédure tendant à reconnaître son inaptitude à l'exercice de ses fonctions a été engagée a droit à la période de préparation au reclassement mentionnée à l'alinéa précédent. " L'article 2 du décret du 30 novembre 1984 relatif au reclassement des fonctionnaires de l'État reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit : " Lorsque l'état de santé d'un fonctionnaire, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas de remplir les fonctions correspondant aux emplois de son corps, l'administration, après avis du comité médical, propose à l'intéressé une période de préparation au reclassement en application de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. / La période de préparation au reclassement débute à compter de la réception de l'avis du comité médical si l'agent est en fonction ou à compter de sa reprise de fonctions si l'agent est en congé de maladie lors de la réception de l'avis du comité médical. ".

3. Malgré les termes de la demande de IFCE et de l'avis rendu par les experts du comité médical départemental le 22 juin 2018, il ne ressort pas du procès-verbal de la réunion du 9 novembre 2018, qui a indiqué que l'intéressée était inapte à l'exercice de ses fonctions, que la commission de réforme aurait estimé que l'intéressée était inapte de manière définitive à l'exercice de toute fonction. Dans ces conditions, le ministre ne pouvait régulièrement prononcer la mise à la retraite d'office de Mme B..., dont le poste avait fait l'objet de plusieurs tentatives d'adaptation infructueuses, sans lui proposer une période de préparation au reclassement en application de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 rappelée ci-dessus, en vue d'un éventuel reclassement dans un emploi d'un autre corps ou cadre d'emplois en priorité dans son administration d'origine ou, à défaut, dans une administration ou un établissement public mentionnés à l'article 2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Ainsi, malgré les démarches entreprises par l'IFCE avec l'envoi par voie électronique les 6 et 20 août 2018 d'une demande adressée aux délégations générale et territoriales de cet institut pour savoir si elles étaient en mesure d'offrir à l'intéressée un poste, Mme B... a été privée en l'espèce d'une garantie.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a seulement annulé l'arrêté du 3 mars 2021 en tant qu'il prend effet à une date antérieure à sa notification.


Sur les conclusions à fins d'injonction :

5. Le présent arrêt, qui annule totalement l'arrêté attaqué, implique nécessairement que l'administration réexamine la situation de Mme B... et lui propose une période de préparation au reclassement. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de prendre cette mesure d'exécution, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.


Sur les frais liés au litige :

6. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 visée ci-dessus. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à ce titre d'une somme de 1 500 euros à Me Brun, avocate de la requérante, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :


Article 1er : L'arrêté du 3 mars 2021 est annulé en tant qu'il prend effet à compter de sa notification.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de réexaminer la situation de Mme B... et de lui proposer une période de préparation au reclassement dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'article 4 du jugement du 9 mai 2023 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 4 : L'État versera à Me Brun la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à l'Institut français du cheval et de l'équitation.

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.


La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02474
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