CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 04/04/2024, 22BX00487, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision04 avril 2024
Num22BX00487
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurM. Olivier COTTE
CommissaireMme ISOARD
AvocatsTUCOO-CHALA

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision de la ministre des armées en date du 13 décembre 2018 en tant qu'elle lui attribue, à titre définitif, une pension militaire d'invalidité au taux global de seulement 60 % au titre des deux infirmités dont il souffre, de fixer le taux de l'infirmité pour état de stress post-traumatique à 70 % et le taux de l'infirmité pour acouphènes bilatéraux permanents à 15 %, et à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale à l'effet de déterminer le taux desdites infirmités ainsi que l'aggravation y afférente et, enfin, de lui accorder le bénéfice de la revalorisation indiciaire de sa pension militaire d'invalidité au taux du grade équivalent de la marine nationale à compter de la date de sa jouissance avec application des dispositions de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

Par un jugement n° 1902524 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Pau a donné acte à M. B... de son désistement s'agissant des conclusions tendant à la revalorisation indiciaire de sa pension militaire d'invalidité au taux du grade équivalent de la marine nationale, et a rejeté le surplus de ses demandes.


Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 février 2022, 15 septembre et 17 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Tucoo-Chala, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 15 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions ;

2°) d'annuler la décision du 13 décembre 2018 et l'arrêté du 24 décembre 2018 et de fixer le taux des deux infirmités à 70 % pour l'état de stress post-traumatique et à 15 % pour les acouphènes bilatéraux permanents ou, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'aggravation de son infirmité en lien avec un état de stress post-traumatique, homologuée blessure de guerre le 19 janvier 2021, est établie par le rapport du médecin de l'administration qui retient une infirmité au taux de 70 % et donc une aggravation de 20 %, le certificat établi par le médecin responsable de l'antenne médicale spécialisée de Bayonne qui constate l'augmentation des traitements médicamenteux et des périodes d'hospitalisation au vu des manifestations cliniques retardées ; à tout le moins, une expertise judiciaire serait, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, utile puisque l'administration n'a pas suivi les conclusions de son propre expert médical ;
- le médecin de l'administration a également retenu une aggravation de l'infirmité liée aux acouphènes bilatéraux permanents, ce qui est de nature à remettre en cause la décision prise par l'administration de maintien de son taux d'infirmité ou, à défaut, à justifier une expertise.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 6 janvier et 12 octobre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que la comparaison de l'expertise médicale réglementaire du
14 août 2018 avec la précédente du 3 mars 2017 permet de constater une aggravation fonctionnelle de l'infirmité due à l'état de stress post-traumatique de 10 %, justifiée par des hospitalisations séquentielles, et une absence d'aggravation de la seconde infirmité, sur laquelle au demeurant la demande de révision de la pension ne portait pas et qui n'a été étudiée qu'en raison de la proximité de la période de renouvellement de la pension ; le requérant n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les conclusions de la commission consultative médicale et rien ne permet de confirmer ses dires sur la phase de latence de l'état de stress post-traumatique ; le taux d'invalidité précédemment retenu de 40 % pour l'infirmité de stress post-traumatique n'a pas été contesté, de sorte que la majoration retenue doit s'appliquer sur ce taux ; l'augmentation alléguée de la seconde infirmité de 5 points est inopérante au regard de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

Vu les autres pièces du dossier.



Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 7 mars 1988, est militaire de carrière dans l'armée de terre et a atteint le grade de sergent. Depuis le 10 mars 2018, il est placé en congé de longue maladie. A la suite d'opérations extérieures au Burkina Faso et au Mali, il s'est vu concéder, par un arrêté du 22 décembre 2017, une pension militaire d'invalidité, à titre provisoire, au taux global de 50 %, avec jouissance à compter du 19 janvier 2016, en raison d'un syndrome d'état de stress post-traumatique évalué à 40 % et d'acouphènes bilatéraux permanents évalués à 10 % + 5. Il a sollicité, le 5 mars 2018, la révision de sa pension pour aggravation de son infirmité liée au stress post-traumatique. En raison de la proximité de la date de renouvellement de sa pension, le ministre a réexaminé les deux infirmités. Par un arrêté du 24 décembre 2018, M. B... s'est vu accorder une pension au taux global de 60 %, tenant compte d'une aggravation de l'infirmité de l'état de stress post-traumatique pour lequel l'administration a retenu un taux de 50 %. Saisi par M. B... d'une contestation de cette décision, le tribunal des pensions militaires de Pau a transmis la demande, en application du décret du 28 décembre 2018, au tribunal administratif de cette même ville. Par un jugement du 15 décembre 2021, le tribunal a donné acte à M. B... de son désistement s'agissant des conclusions tendant à la revalorisation indiciaire de sa pension militaire d'invalidité au taux du grade équivalent de la marine nationale et a rejeté le surplus de ses demandes relatives à la révision à la hausse du taux de sa pension militaire d'invalidité. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.

Sur l'infirmité liée au stress post-traumatique :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Tout bénéficiaire d'une pension temporaire chez qui s'est produite une complication nouvelle ou une aggravation de son infirmité peut, sans attendre l'expiration de la période de trois ans prévue à l'article R. 121-3, adresser une demande de révision sur laquelle le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et des victimes de guerre statue selon les modalités définies au chapitre Ier du présent livre. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. (...) ". Selon ce guide-barème annexé au code, l'évaluation de l'invalidité pour les troubles psychiques de guerre s'effectue au vu de la souffrance physique, de la répétition, de la perte de la capacité relationnelle et du rétrécissement de la liberté existentielle. Il y a lieu de tenir compte de la capacité de contrôle des affects et des actes, du degré de tolérance à l'angoisse et à la peur, de l'aptitude à différer les satisfactions et à tenir compte de l'expérience acquise, et des possibilités de créativité, d'orientation personnelle et de projet. Les troubles modérés correspondent à un taux de 40 %, les troubles intenses à 60 % et les troubles très intenses à 80 %.

4. Il résulte de l'instruction que M. B... a participé à une intervention au Mali, le 20 octobre 2015, en vue de libérer plus d'une centaine d'otages retenus par un groupe djihadiste dans un hôtel de Bamako. Ayant servi de bouclier de tête, il a livré le récit d'accrochages répétés sur une longue durée, la vision de nombreux cadavres et une recherche angoissée des terroristes, étage par étage. Cela a justifié un arrêt de travail de six mois de juin à décembre 2016, avant l'obtention d'un congé de longue maladie l'année suivante, régulièrement renouvelé depuis. A l'appui de sa demande de révision de sa pension, il a produit un certificat du médecin des armées attestant d'une aggravation de l'état de stress post-traumatique, avec une augmentation des traitements médicamenteux et des périodes d'hospitalisation. Il résulte de la comparaison des deux expertises dont l'intéressé a fait l'objet les 3 mars 2017 et 14 août 2018 que celui-ci, qui était suivi par un psychiatre et un psychologue de l'armée, est désormais astreint à des hospitalisations répétées à l'hôpital des armées Robert Picqué de Bordeaux. Il suit un traitement associant un antidépresseur et un psychotrope à action sédative puissante. Aux constats déjà effectués en 2017, constitués de réminiscences permanentes de l'accident traumatique majeur, d'une anxiété importante, d'une baisse de la libido, d'une culpabilité du survivant, d'un désinvestissement familial, d'un sentiment d'être incompris de sa hiérarchie et d'un état dépressif, associant tristesse, anhédonie, auto-dévalorisation et troubles de la concentration, la nouvelle expertise ajoute une absence de projection dans l'avenir, des difficultés à contrôler son impulsivité, une diminution de l'élan vital, un apragmatisme avec diminution de la vie relationnelle et de loisir, et une augmentation de la consommation d'alcool. Ces pièces médicales, ainsi que l'avis de la commission consultative médicale, permettent de tenir pour acquise l'aggravation de l'état de stress post-traumatique dont est victime M. B.... Si la commission consultative médicale a proposé d'augmenter de 10 % le taux retenu initialement pour cette infirmité pour le fixer à 50 %, l'expert a, quant à lui, avancé un taux de 70 % en qualifiant les troubles d'importants. Au vu de ces éléments et des mentions du guide-barème, et alors même que M. B... n'avait pas contesté le taux de 40 % qui lui a été reconnu pour cette infirmité pour la liquidation de sa pension à compter du 19 janvier 2016, il peut être fait une juste appréciation de l'aggravation de l'état de stress post-traumatique en portant le taux d'invalidité de 40 % à 60 %.

Sur l'infirmité résultant des acouphènes bilatéraux permanents :

5. Aux termes de l'article R. 121-3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension temporaire est concédée pour trois années à compter du point de départ défini à l'article L. 151-2. (...) ". Aux termes de l'article R. 121-4 de ce code : " A l'issue du délai de trois ans, pour la ou les infirmités résultant uniquement de blessures, la situation du pensionné doit être définitivement fixée : / 1° (...) par la conversion de la pension temporaire en pension définitive à un taux supérieur, égal ou inférieur au taux primitif ; (...) ".

6. Il résulte du rapport d'expertise établi par un oto-rhino-laryngologue le 8 octobre 2018 que s'il propose de retenir un taux d'invalidité de 15 % pour des acouphènes permanents, continus et bilatéraux, il relève dans le même temps que l'examen ORL est identique au précédent qu'il avait réalisé le 24 mars 2017, faisant ressortir une minime et discrète hypoacousie de perception bilatérale avec une perte moyenne de 15 dB de chaque côté et une impédancemétrie normale. En l'absence de modification des constats cliniques entre les deux expertises, M. B... n'est pas fondé à contester le taux de 10 % + 5 qui lui avait été reconnu pour cette infirmité auditive.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise dont le caractère utile n'est pas démontré, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande relative au rehaussement du taux d'invalidité à 60 % pour son infirmité liée à l'état de stress post-traumatique.

Sur les frais liés au litige :

8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


DECIDE :
Article 1er : Le taux d'invalidité pour l'infirmité relative à l'état de stress post-traumatique dont souffre M. B... est porté de 50 % à 60 %.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 15 décembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.

Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX00487