CAA de PARIS, 5ème chambre, 05/04/2024, 22PA02378, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision05 avril 2024
Num22PA02378
JuridictionParis
Formation5ème chambre
PresidentM. MARJANOVIC
RapporteurM. Vladan MARJANOVIC
CommissaireM. PERROY
AvocatsS.E.L.A.F.A. CABINET CASSEL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui rembourser la somme de 14 807 euros versée à Mme B... A..., militaire, en indemnisation des préjudices résultant d'agressions subies par elle en service.

Par un jugement n° 1918691 du 23 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a intégralement fait droit à sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 23 mai 2022, la ministre des armées demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1918691 du 23 mars 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

Elle soutient que :
- le tribunal, en jugeant que la victime d'une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, ou une personne subrogée dans ses droits, peut demander au juge administratif de condamner l'Etat, en qualité d'employeur de l'agresseur, à assumer l'entière réparation des préjudices subis, a méconnu les règles spécifiquement applicables aux accidents de service et entaché ainsi sa décision d'erreur de droit ;
- le tribunal, en se fondant également sur un manquement de l'Etat à son obligation de surveillance de son personnel, laquelle ne résulte d'aucun texte ni de la jurisprudence, a entaché sa décision d'une seconde erreur de droit ; en tout état de cause, aucune faute ne peut être reprochée à l'Etat à ce titre, compte tenu des mesures prises dès que les faits litigieux ont été portés à sa connaissance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2023, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la ministre des armées sont infondés et que les agressions subies par Mme A... à l'occasion de l'exercice de ses fonctions sont en tout état de cause intégralement indemnisables sur le fondement des dispositions de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de la défense ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marjanovic ;
- et les conclusions de M. Perroy, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. A la suite du jugement du tribunal correctionnel de Paris du 14 novembre 2017 condamnant son supérieur hiérarchique pour des faits de violences et d'agressions sexuelles commis entre janvier et octobre 2015 lors de missions effectuées à Paris, Mülheim (Allemagne) et Saint-Pierre de la Réunion, Mme A..., militaire du rang, a saisi, le 3 janvier 2018, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI), sur le fondement des dispositions de l'article 706-3 du code de procédure pénale, afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis à raison de ces agissements. Par décision du 27 septembre 2018, ladite commission a accordée à ce titre à l'intéressée une somme globale de 14 807 euros, intégrant celles de 2 907 euros au titre des pertes de gains professionnels actuelles, 3 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, 8 000 euros en réparation des souffrances endurées et 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, qui a versé ces sommes à Mme A... le 24 octobre 2018, en a demandé le remboursement à la ministre des armées. Par la présente requête, celle-ci relève appel du jugement du 23 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser la somme précitée de 14 807 euros au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis dans le cas où les juges de première instance ont méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à eux et ont ainsi entaché leur jugement d'irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la ministre des armées ne peut, en tout état de cause, utilement soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs de droit.

Sur les droits indemnitaires du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions :

3. D'une part, en vertu des articles 706-3 et 706-4 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut, lorsque certaines conditions sont réunies, obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne auprès d'une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, juridiction civile instituée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance qui peut prendre sa décision avant qu'il soit statué sur l'action publique ou sur les intérêts civils. L'indemnité correspondante est alors versée par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Selon le premier alinéa de l'article 706-11 du code de procédure pénale, le Fonds " est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / (...) La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d'une action directe qu'elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. ". Aux termes de l'article 15 de la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires, aujourd'hui repris à l'article L. 4123 - 10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. / L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Il est subrogé aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées aux victimes. ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la collectivité publique dont dépend un agent victime de violences à l'occasion de ses fonctions, dès lors qu'elle est tenue, au titre de la protection instituée par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, de réparer le préjudice résultant de ces violences, est au nombre des personnes à qui le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions peut réclamer le remboursement de l'indemnité ou de la provision qu'il a versée à cet agent à raison des mêmes violences, dans la limite du montant à la charge de cette collectivité. Si la collectivité publique ne se substitue pas, pour le paiement des dommages et intérêts accordés par une décision de justice, à l'auteur des faits à l'origine du dommage, il lui incombe toutefois d'assurer la juste réparation du préjudice subi par l'agent.

6. En l'espèce, et en premier lieu, il résulte de l'instruction que les violences et agressions infligées à Mme A... par son supérieur hiérarchique l'ont été à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Dès lors, l'intéressée remplissait les conditions pour bénéficier de la protection instituée par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983. Par suite, et sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de service, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions pouvait agir à l'encontre de l'Etat par subrogation à l'intéressée.

7. En deuxième lieu, il n'est ni établi, ni même allégué que Mme A... aurait reçu de l'Etat, en raison des conséquences matérielles des agressions subies et de leurs effets sur son intégrité physique, une allocation temporaire, pension ou rente d'invalidité. Dès lors, la ministre des armées ne peut valablement opposer aux prétentions du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la règle du forfait de pension applicable aux fonctionnaires victimes d'un accident de service ou atteints d'une maladie professionnelle.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Son appel doit dès lors être rejeté.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la ministre des armées est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Marjanovic, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 avril 2024.
Le président rapporteur,
V. MARJANOVIC L'assesseur le plus ancien,
J.F. GOBEILL
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA02378 2