CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 23/04/2024, 23MA01521, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 avril 2024
Num23MA01521
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. MARCOVICI
RapporteurM. Michaël REVERT
CommissaireMme BALARESQUE
AvocatsMATTLER

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... veuve A... a demandé au Conseil d'Etat, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Nantes, lequel l'a transmise au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, qui l'a à son tour transmise au tribunal administratif de Marseille, d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension présentée le 25 octobre 2017 et de lui attribuer une pension militaire d'invalidité de réversion à l'indice 1 681,66.

Par une ordonnance n° 2004231 du 1er mars 2023, le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 juin 2023 et le 5 mars 2024, Mme B... veuve A..., représentée par Me Mattler, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 1er mars 2023 ;

2°) à titre principal, de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Marseille ;





3°) subsidiairement, de faire droit à sa demande de majoration de sa pension de réversion à hauteur de 500 points d'indice en application de l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, avec un supplément social de pension portant le montant de sa pension aux 4/3 de la pension au taux normal correspondant à
l'indice 500, en application de l'article L. 141-19 du même code, cet indice étant ainsi, au 25 octobre 2017, celui de 1 681,66 ;

4°) de la renvoyer devant l'administration des pensions pour mise en œuvre des dispositions applicables en matière de pension de réversion, de majoration comme de supplément social et de régularisation financière afférente ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- son appel est recevable, compte tenu du délai de distance dont elle doit bénéficier en raison de son domicile à l'étranger ;
- elle justifie de la réception par la sous-direction des pensions de La Rochelle de sa demande de révision de pension de réversion et maintient qu'elle entend faire usage de la pièce n° 31 authentique, et jointe à sa requête, de sorte que sa demande de première instance était dirigée contre une décision tacite de rejet née du silence gardé sur cette demande de révision, et que l'ordonnance attaquée doit être annulée ;
- elle a droit à une majoration spéciale de sa pension, proportionnelle à la durée de son mariage et des soins apportés de manière constante à son défunt époux, correspondant à 500 points d'indice, en application de l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- elle a droit également à un supplément social de pension qui porte le montant de sa pension aux quatre tiers de sa pension au taux normal, en application de l'article L. 141-19 du même code, en l'absence de toute cristallisation des droits ou des indices ;
- la décision implicite de rejet est donc entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et par inscription de faux en application de l'article R. 633-1 du code de justice administrative, à ce que soit écartée des débats la pièce n° 31 produite par l'appelante, en faisant valoir que les pièces produites ne sont pas de nature à démontrer la réception de sa demande de révision de pension et que la pièce n° 31 est un faux.

Par une ordonnance du 29 janvier 2024 la clôture d'instruction a été fixée au 16 février 2024, à 12 heures, puis par une ordonnance du 14 février 2024, a été reportée du 16 février 2024 au 6 mars 2024, à 12 heures.

Par une lettre du 22 mars 2024, la Cour a demandé au ministre des armées, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, s'il confirme que la pratique du poinçon horodaté par la sous-direction des pensions avait cours, en 2016 et en 2017, pour justifier de la réception par ses services des plis, notamment des plis recommandés avec avis de réception, et, dans le cas contraire, de communiquer les modalités de prise de connaissance des plis ainsi reçus.
Par une lettre du 22 mars 2024, la Cour a demandé à Mme B... veuve A..., sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, d'une part, d'indiquer les modalités suivant lesquelles elle a pu se procurer les éléments de justification de La Poste algérienne qu'elle a produits pour la première fois en appel, et si, avec les références du courrier recommandé figurant sur ces pièces, elle a cherché à obtenir une preuve de la réception de son pli par la sous-direction des pensions à La Rochelle, et d'autre part, de confirmer qu'elle entend se prévaloir de ces pièces à l'appui de son appel.

Le ministre des armées a répondu le 5 avril 2024 à la demande de précisions formulée par la Cour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Mattler, représentant Mme B... veuve A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... veuve A... est titulaire d'une pension militaire d'invalidité de réversion, dont elle affirme avoir demandé la révision, le 25 octobre 2017, pour bénéficier de la majoration prévue par l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par une ordonnance du 1er mars 2023, dont Mme B... veuve A... relève appel, le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision tacite de rejet qu'elle estime être née du silence gardé par la ministre des armées sur cette demande de révision de pension.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

2. Pour rejeter comme irrecevable la demande de Mme B... veuve A... en application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le premier juge a considéré qu'elle ne justifiait ni de l'envoi de sa demande de révision de pension du 25 octobre 2017, ni de sa réception par le service des pensions et que, par suite, son recours était dirigé contre une décision inexistante.

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

3. Aux termes de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, qui sont applicables aux demandes de pensions militaires d'invalidité au jour de la demande de Mme B... veuve A..., en l'absence de disposition du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre régissant ce point à cette même date :
" Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : (...) 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;(...) ".

4. En outre, aux termes de l'article L. 114-3 du même code : " Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'administration initialement saisie. ". L'article R. 421-2 du code de justice administrative dispose quant à lui que : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...) / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête ".

En ce qui concerne l'existence d'une décision objet du litige :

5. D'une part, il ressort des pièces produites pour la première fois en cause d'appel, et de leur traduction en langue française, que Mme B... veuve A... a adressé sa demande de révision de pension du 25 octobre 2017 par lettre recommandée avec avis de réception déposée auprès des services postaux algériens le 4 novembre 2017. Si le tampon horodateur de la sous-direction des pensions apposé sur l'avis de réception de ce pli mentionne pour date de réception le mardi 18 décembre 2016, laquelle est erronée quant à l'année et au jour en cause, une telle indication révèle néanmoins la réception de la demande par les services du ministre des armées. Compte tenu des délais moyens d'acheminement du courrier depuis l'Algérie vers la France, la date de réception de la demande de révision de pension de Mme B... veuve A... peut être fixée au plus tard au 4 décembre 2017.

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 633-1 du code de justice administrative ; " Dans le cas d'une demande en inscription de faux contre une pièce produite, la juridiction fixe le délai dans lequel la partie qui l'a produite sera tenue de déclarer si elle entend s'en servir. / Si la partie déclare qu'elle n'entend pas se servir de la pièce, ou ne fait pas de déclaration, la pièce est rejetée. Si la partie déclare qu'elle entend se servir de la pièce, la juridiction peut soit surseoir à statuer sur l'instance principale jusqu'après le jugement du faux rendu par le tribunal compétent, soit statuer au fond, si elle reconnaît que la décision ne dépend pas de la pièce arguée de faux. ". Il appartient néanmoins au juge administratif de connaître des contestations,
y compris celles présentées sous la forme d'inscriptions de faux, portant sur les documents postaux relatifs à l'acheminement du courrier dans le cadre d'une procédure administrative ou d'une procédure qui se déroule devant la juridiction administrative. Il en va de même lorsque ces contestations visent les mentions, portées sur des documents postaux établis par des services relevant d'Etats étrangers, mais attribuées par les parties à des services des administrations de l'Etat français.

7. A l'appui de ses écritures devant la Cour, le ministre des armées demande, par une inscription de faux présentée sur le fondement de l'article R. 633-1 du code de justice administrative, que les justificatifs produits par l'appelante et évoqués au point 5 soient écartés des débats, compte tenu de l'incohérence existant entre la date d'envoi de la demande de révision de pension, le 4 novembre 2017, et la date de réception de cette demande apposée au moyen du tampon horodateur, le 18 décembre 2016. Toutefois, dès lors qu'il ne peut être exclu que cette discordance de dates, qui affecte les seules mentions issues du tampon horodateur, résulte d'une erreur ou d'un dysfonctionnement de cet instrument, dont le ministre admet qu'il était encore employé à cette date pour établir la réception des courriers par ses services, et qu'elle ne peut manifestement pas profiter à la requérante, il ne résulte pas de l'instruction que de telles mentions seraient constitutives d'un faux, et que ces pièces devraient être écartées des débats.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, contrairement à ce qu'a considéré le premier juge, le silence gardé par le ministre des armées pendant un délai de deux mois sur la demande de révision de pension formée par Mme B... veuve A... le 25 octobre 2017 a pu faire naître, en application de l'article L. 114-3 du code des relations entre le public et l'administration, une décision tacite de rejet de cette demande, dont elle était recevable à demander l'annulation. Il y a donc lieu d'annuler l'ordonnance attaquée et au cas d'espèce, ainsi que le demande d'ailleurs Mme B... veuve A..., de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Marseille pour qu'il soit statué sur sa demande.

Sur les frais d'instance :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans cette instance, la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... veuve A... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2004231 rendue le 1er mars 2023 par le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Marseille pour qu'il soit statué sur la demande de Mme B... veuve A....
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... veuve A... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... veuve A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.
N° 23MA015212