CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 13/06/2024, 22BX01575, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau de lui accorder une pension militaire d'invalidité pour trois infirmités, " lombosciatalgies droites ", " talonnades droite et gauche " et " gonalgies droites " ou, à défaut, d'ordonner une expertise afin de déterminer si ces infirmités sont dues à un accident ou à une maladie, ainsi que le taux global d'infirmité imputable au service.
Par un jugement n° 1902522 du 30 mars 2022, le tribunal administratif de Pau a, d'une part, annulé la décision ministérielle du 22 octobre 2018 en tant qu'elle a considéré que les infirmités " lombosciatalgies droites " et " gonalgies droites " n'atteignaient pas le taux d'invalidité minimal indemnisable, d'autre part, reconnu à l'intéressé un droit à pension au titre des deux infirmités aux taux, respectivement, de 20 % et de 10 % à compter du 3 août 2015 et, enfin, fixé le taux d'invalidité global à 35 %. Il a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 juin et 6 septembre 2022, le ministre des armées demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Pau du 30 mars 2022 en tant qu'il a accordé à M. B... un droit à pension au titre de l'infirmité " lombosciatalgies droites " au taux d'invalidité de 20 % à compter du 3 août 2015 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... pour cette infirmité.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas motivé l'évaluation de l'invalidité par des raisons médicales en décrivant de façon complète la gêne fonctionnelle justifiant le pourcentage attribué, comme l'exige l'article L. 26 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- l'infirmité " lombosciatalgies droites " ne peut être regardée comme une lésion soudaine, consécutive au fait de service du 27 juin 2012, et être qualifiée de blessure ; il s'agit d'une maladie décelée le 25 septembre 2003 ; les pièces du dossier ne permettent pas d'établir un lien entre cette infirmité et l'évènement invoqué ; le compte-rendu opératoire du 23 octobre 2015 ne mentionne pas cet élément, les attestations émanant de collègues ne sont corroborées par aucune pièce médicale et le rapport d'expertise ne fait que reprendre les déclarations de l'intéressé ; ni le registre de constatation des accidents, ni le rapport circonstancié établi un mois après, ni le certificat médical de consolidation ne mentionnent de traumatisme au niveau du rachis ; l'imputabilité ne saurait être admise au bénéfice du doute, ni résulter d'une probabilité, même forte, ou d'une vraisemblance ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que les parties étaient d'accord sur un taux d'invalidité de 20 % alors que l'administration a constamment soutenu que ce taux devait être fixé à 10 %, compte tenu d'un indice de Schöber de 10 + 4 et de réflexes présents et symétriques ; ce taux est inférieur au minimum indemnisable de 30 % s'agissant d'une maladie contractée en temps de paix.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 août 2022, M. B..., représenté par la SELARL MDMH, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre des armées de verser une pension militaire d'invalidité au taux de 20 % avec effet rétroactif au 3 août 2015 et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la lésion du rachis lombaire s'est faite dans le cadre du service, à la suite de l'accident du 27 juin 2022 ; l'importance des douleurs aux membres inférieurs l'a conduit à négliger les douleurs du dos ; le fait qu'il a eu des douleurs au dos en 2003 ne fait pas obstacle à l'existence d'une nouvelle lombalgie dix ans plus tard, et un certificat médical du service de santé des armées du 23 mai 2018 reconnaît que les lombalgies peuvent être liées à l'accident ; la blessure au dos est attestée par ses collègues et par l'ostéosynthèse qu'il a subie le 23 octobre 2015, et le lien avec l'accident est reconnu par le certificat médical du 30 juin 2017 ;
- l'infirmité ne peut être qualifiée de maladie puisqu'elle résulte d'une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service, à savoir l'exercice de saut en parachute et la rafale de vent qui l'a déséquilibré ; l'imputabilité au service est présumée dès lors que la blessure a eu lieu dans le temps et le lieu de service ;
- le taux de 20 % retenu par l'expert est plus étayé que celui de 10 % avancé dans l'avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., caporal-chef de 1e classe au sein de l'infanterie de marine, alors âgé de 33 ans, a sollicité, le 3 août 2015, l'attribution d'une pension militaire d'invalidité pour plusieurs infirmités, dont des " lombosciatalgies droites ", " talonnades droite et gauche " et des " gonalgies droites " qu'il estime consécutives à un accident de parachute dont il a été victime le 27 juin 2012. Par une décision du 22 octobre 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande. Saisi d'une contestation de cette décision, le tribunal des pensions de Pau a transmis la demande, en application du décret du 28 décembre 2018, au tribunal administratif de cette même ville. Par un jugement du 30 mars 2022, le tribunal a, d'une part, annulé la décision ministérielle du 22 octobre 2018 en tant qu'elle a considéré que les infirmités " lombosciatalgies droites " et " gonalgies droites " n'atteignaient pas le taux d'invalidité minimal indemnisable, d'autre part, reconnu à l'intéressé un droit à pension au titre des deux infirmités aux taux, respectivement, de 20 % et de 10 % et, enfin, fixé le taux d'invalidité global à 35 %. Par la présente requête, le ministre des armées demande la réformation de ce jugement en tant qu'il a accordé à M. B... un droit à pension au titre de l'infirmité " lombosciatalgies droites " au taux d'invalidité de 20 %.
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors en vigueur : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. (...) ". Aux termes de l'article L. 4 de ce code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; / 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : / 30 % en cas d'infirmité unique ; / 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. (...) ".
3. D'une part, il résulte de l'instruction que lors d'un exercice de saut en parachute à La Réunion le 27 juin 2012, M. B... s'est blessé au moment de l'atterrissage, ce qui lui a occasionné des talonnades des deux côtés et une gonalgie du côté droit. Pour soutenir que cet accident lui a également occasionné une blessure au dos, se traduisant par une lombosciatalgie droite, M. B... produit trois attestations de collègues datées de mars 2017, un rapport d'expertise médicale privée du 8 décembre 2017 et un certificat d'un médecin du service de médecine physique et de réadaptation de l'hôpital d'instruction des armées " Robert Picqué " du 23 mars 2018, et indique avoir été opéré d'une hernie discale en octobre 2015. Toutefois, ni le certificat médical de constatation de l'accident, ni le rapport circonstancié établi un mois plus tard, ni le certificat de consolidation de l'état de santé ne font état de problèmes lombaires, et il n'est pas établi que l'intéressé ait consulté un médecin, postérieurement à l'accident, pour des problèmes de dos autres que sa hernie discale qui s'est révélée, trois ans plus tard, après un port de charges en novembre 2014. Le livret médical de l'intéressé mentionne à plusieurs reprises des problèmes de lombosciatalgies avant l'accident, en septembre et octobre 2003, novembre 2006 et juillet et octobre 2007. Dans ces conditions, alors que M. B... ne peut bénéficier de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dès lors que la constatation de l'infirmité n'est pas survenue lors d'une campagne de guerre ou durant la période de service national, le rapport d'expertise privé qui se borne à rapporter les dires de l'intéressé, le certificat médical du 23 mars 2018 qui, s'il n'exclut pas la possibilité d'un lien de causalité entre l'infirmité et l'accident, rappelle que cette infirmité n'a pas été mentionnée dans le rapport d'accident, et les attestations de collègues qui ne sont corroborées par aucune autre pièce ne suffisent pas à établir que la lombosciatalgie serait une blessure consécutive à l'accident du 27 juin 2012.
4. D'autre part, le ministre des armées ne conteste pas le jugement en tant qu'il a reconnu que les gonalgies droites résultant d'une fissure méniscale à la suite de l'accident ouvraient droit à une pension au taux de 10 %, ce qui correspond à la qualification de blessure. Dès lors que les constats médicaux ne permettent pas de fixer l'invalidité de lombalgies avec radiculalgies à un taux supérieur à 10 %, alors que l'indice de Schöber est de 10+4 et que les réflexes sont présents et symétriques, les conditions prévues au 2° de l'article L.4 précité ne sont pas réunies, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre des armées est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a, d'une part, annulé la décision ministérielle du 22 octobre 2018 en tant qu'elle a considéré que l'infirmité " lombosciatalgies droites " n'atteignait pas le taux d'invalidité minimal indemnisable, d'autre part, reconnu à l'intéressé un droit à pension au titre de cette infirmité au taux de 20 % à compter du 3 août 2015 et, enfin, fixé le taux d'invalidité global à 35 %. Les conclusions à fin d'injonction présentées en appel par M. B... ne peuvent, par conséquent, qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 30 mars 2022 est annulé en tant qu'il a, d'une part, annulé la décision ministérielle du 22 octobre 2018 en tant qu'elle a considéré que l'infirmité " lombosciatalgies droites " n'atteignait pas le taux d'invalidité minimal indemnisable, d'autre part, reconnu à l'intéressé un droit à pension au titre de cette infirmité au taux de 20 % à compter du 3 août 2015 et, enfin, fixé le taux d'invalidité global à 35 %.
Article 2 : La demande de M. B... tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité en raison d'une lombosciatalgie droite est rejetée.
Article 3 : Les conclusions d'appel de M. B... sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Catherine Girault, présidente,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX01575