CAA de VERSAILLES, 4ème chambre, 19/06/2024, 22VE01657, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 3 juillet 2019 par laquelle le directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) dénommé " La Résidence Saint Martin " a refusé de reconnaitre l'imputabilité au service de l'accident dont elle a été victime le 26 mars 2016 ainsi que les décisions des 11 mars 2020 et 26 avril 2021 par lesquelles ce même directeur l'a admise à la retraite pour invalidité avec effet au 1er juillet 2020, d'enjoindre à l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " de rétablir son plein traitement avec effet au 26 mars 2016 jusqu'au versement de sa pension de retraite valorisée et subsidiairement, d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale à fin d'évaluer les préjudices résultant de l'accident dont elle a été victime le 26 mars 2016.
Par un jugement n° 1903333 du 19 mai 2022, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision du 3 juillet 2019, a enjoint à l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident dont Mme C... a été victime le 26 mars 2016 dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, a alloué des frais irrépétibles à cette dernière et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 9 juillet 2022, le 16 décembre 2022 et le 13 janvier 2023, l'EHPAD " La Résidence Saint Martin ", représenté par Me Tissier, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement avec toutes conséquences de droit, notamment la condamnation de Mme C... à lui rembourser la somme versée en exécution dudit jugement, soit la somme de 50 834,40 euros ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... C... devant le tribunal administratif d'Orléans ainsi que ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Il soutient que :
- il a exécuté le jugement attaqué ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- la demande de Mme C..., introduite le 13 septembre 2019, était tardive, dès lors que la décision du 3 juillet 2019 lui avait été notifiée le 12 juillet et que les faits se sont déroulés le 26 mars 2016 ;
- Mme C... n'était plus recevable non plus pour contester la décision de la mettre à la retraite d'office en date du 18 mars 2020 ;
- Mme C... n'apporte aucun commencement de preuve des faits accidentels et du harcèlement dont elle se prétend la victime et n'établit pas un lien direct entre sa maladie et le service, alors que la charge de la preuve lui en revient ; l'imputabilité au service de l'accident du 26 mars 2016 n'est pas établie ;
- la demande de Mme C... doit être rejetée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 novembre 2022 et le 9 janvier 2023, Mme A... C..., représentée par Me Bonvillain, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " la somme de 3 000 euros à verser à Me Bonvillain, en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi n° 91-647 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 janvier 2023 du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal judiciaire de Versailles.
Par ordonnance du président de la 4ème chambre du 7 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 23 mai 2024 à 12h00, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham,
- et les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... C... est aide-soignante de classe normale titulaire et exerçait ses fonctions au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées (EHPAD) " la Résidence Saint Martin ". Le 26 mars 2016, elle a été victime d'un malaise sur son lieu de travail aux environs de 19 heures 30 minutes et a été arrêtée. Le 27 avril 2016, le directeur de l'EPHAD l'a placée en congé de maladie ordinaire pour la période du 28 mars 2016 au 31 mai 2016. Mme C... a prolongé ses arrêts maladie. Le 17 novembre 2016, la commission de réforme a rendu un avis favorable à la reconnaissance d'un accident de service. Par décision du 22 novembre 2016, le directeur de l'EHPAD a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident du 26 mars 2016. Parallèlement, Mme C... a sollicité le 30 mai 2016 son placement en congé pour longue maladie. Après avis défavorable à cette dernière demande rendu le 16 février 2017 par le comité médical départemental, le directeur de l'EHPAD l'a rejetée par décision du 1er mars 2017. Mme C... a alors été mise en disponibilité d'office pour raison de santé le 28 mars 2017. Par jugement n° 1701040 du 22 janvier 2019, le tribunal administratif d'Orléans a annulé les décisions du 22 novembre 2016 et du 1er mars 2017 et a enjoint à l'EHPAD de réexaminer la demande de Mme C.... Le 13 juin 2019, la commission de réforme a rendu un nouvel avis favorable à la reconnaissance d'un accident de service. Le 3 juillet 2019, le directeur de l'EHPAD " La Résidence Saint-Martin " a de nouveau refusé de reconnaitre l'imputabilité au service de l'accident survenu le 26 mars 2016. Par décision du 11 mars 2020, le directeur de l'EHPAD a placé la requérante à la retraite d'office pour invalidité à compter du 1er juillet 2020. Le comité de réforme a émis le 25 mars 2021 un avis favorable à la mise à la retraite de Mme C... pour invalidité imputable au service. Par une nouvelle décision du 26 avril 2021, le directeur de l'EHPAD a prononcé la mise à la retraite d'office de Mme C... pour invalidité avec effet au 1er juillet 2020. Mme C... a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 3 juillet 2019 refusant de reconnaitre l'imputabilité au service de l'accident dont elle a été victime le 26 mars 2016 ainsi que l'annulation des décisions des 11 mars 2020 et 26 avril 2021 prononçant sa mise à la retraite d'office pour invalidité. Par un jugement n° 1903333 du 19 mai 2022, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision du 3 juillet 2019, a enjoint à l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident dont Mme C... a été victime le 26 mars 2016 dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, lui a alloué des frais irrépétibles et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. L'EHPAD " La Résidence Saint Martin " relève appel de ce jugement.
Sur la recevabilité de la demande de Mme C... :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ". En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la décision contestée du 3 juillet 2019 a été notifiée le 12 juillet 2019. Par suite, la demande de Mme C..., introduite le 13 septembre 2019 dans le délai de deux mois, qui est un délai franc, n'est pas tardive. Est par ailleurs sans incidence la circonstance que la décision attaquée se rapporte à un incident survenu en mars 2016.
3. En deuxième lieu, le moyen tiré de la tardiveté de la demande en ce qui concerne la décision de mise à la retraite pour invalidité du 18 mars 2020 est inopérant, dès lors que le jugement attaqué a rejeté les conclusions de Mme C... tendant à l'annulation de cette décision et que celle-ci n'a pas formé d'appel incident.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Si l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " soutient que le jugement est insuffisamment motivé en relevant que les premiers juges n'ont pas tenu compte des pièces produites par lui, un tel moyen relève du bien-fondé du jugement, et ne concerne pas sa régularité. Il en est de même des moyens tirés de l'erreur d'appréciation et l'erreur de droit dont serait entaché le jugement attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa version applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...). ". Il résulte de ces dispositions qu'un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service.
6. Mme C... soutient que, le 26 mars 2016, elle a été victime d'un malaise après avoir découvert dans la porte de son vestiaire un message insultant indiquant " dégage connasse ". Ces faits sont établis par la production, par Mme C..., d'une copie de ce message, par le dépôt par elle d'une fiche d'événement indésirable le même jour et par le courrier du 19 mars 2019 du directeur de l'EHPAD, dans lequel il reconnaît lui-même que, suite à une enquête administrative menée par l'établissement, il a été établi que Mme C... était bien présente dans les vestiaires durant ses heures de travail et qu'un collègue a témoigné de la présence d'un papier tombé à terre. Par ailleurs, le syndrome anxio-dépressif de Mme C... est attesté par les arrêts de travail la concernant qui ont été prolongés continûment à partir du 26 mars 2017 et par les différents certificats médicaux établis après examen de l'intéressée, qui ont tous reconnu la réalité de ses troubles. Par suite, l'accident du 26 mars 2016, survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par Mme C... de ses fonctions, doit être présumé comme revêtant le caractère d'un accident de service.
7. L'EHPAD " La Résidence Saint Martin " cite le rapport du 17 avril 2019 du docteur D..., médecin de l'assureur de l'EHPAD, qui a conclu sans motivation à la non imputabilité des symptômes de Mme C... à son activité professionnelle, et celui du docteur B... du 26 janvier 2017, indiquant que le mot injurieux retrouvé dans le vestiaire de Mme C... ne peut être qualifié " d'évènement particulièrement stressant " permettant de classer les troubles dont a souffert la requérante comme maladie professionnelle et justifiant un congé pour maladie imputable au service. Toutefois, ces certificats ne sont pas susceptibles de constituer une circonstance particulière détachant du service l'accident survenu le 26 mars 2016, dès lors qu'ils ne remettent en cause ni les circonstances de l'accident, ni la réalité du syndrome anxio-dépressif dont souffre Mme C.... Par ailleurs, il n'est pas démontré que les symptômes que présente Mme C... constitueraient l'évolution d'un état antérieur.
8. Il résulte de tout ce qui précède que l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision du 3 juillet 2019.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que demande l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
10. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Bonvillain, avocate de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " le versement à Me Bonvillain de la somme de 1 500 euros.
Sur les dépens :
11. L'EHPAD " La Résidence Saint Martin " ne justifiant pas avoir, au cours de l'instance, exposé de dépens, au sens et pour l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, ses conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'EHPAD " La Résidence Saint Martin " est rejetée.
Article 2 : L'EHPAD " La Résidence Saint Martin " versera à Me Bonvillain, avocate de Mme A... C..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Bonvillain renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EHPAD " La Résidence Saint Martin ", à Mme A... C... et à Me Bonvillain.
Délibéré après l'audience du 18 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président,
M. Ablard, premier conseiller,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2024.
La rapporteure,
C. PHAM Le président,
S. BROTONS
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE01657 2