Cour administrative d'appel de Nantes, 3e chambre, du 20 décembre 2001, 98NT02243, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision20 décembre 2001
Num98NT02243
JuridictionNantes
Formation3E CHAMBRE
RapporteurMme THOLLIEZ
CommissaireM. MILLET

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 7 septembre 1998, présentée pour M. Jean-Pierre X..., demeurant ..., par Me CASTEL, avocat au barreau de Brest ;
M. X... demande à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 96-1434 du 11 juin 1998 par lequel le Tribunal administratif de Rennes lui a opposé la règle du forfait de pension pour rejeter ses conclusions tendant à ce que la société Larvor et la société Serrurerie Brestoise soient condamnées solidairement à réparer son entier préjudice à la suite de l'accident de service dont il a été victime le 12 mai 1995 à l'arsenal de Brest ;
2 ) de condamner solidairement ces deux sociétés ou l'une à défaut de l'autre à lui verser une somme de 1 213 314 F à titre de dommages et intérêts et de 95 000 F en réparation de son préjudice personnel ;
3 ) de condamner les mêmes ou l'une à défaut de l'autre aux dépens de
première instance et à lui verser une somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n 59-76 du 7 janvier 1959 ;
Vu le décret n 98-255 du 31 mars 1998 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 novembre 2001 :
- le rapport de Mme THOLLIEZ, premier conseiller,
- les observations de Me CASTEL, avocat de M. Jean-Pierre X...,
- et les conclusions de M. MILLET, commissaire du gouvernement ;

Sur l'appel principal de M. X... ;
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant que, le 12 mai 1995, M. X..., premier maître plongeur démineur de la marine, a été blessé par l'effondrement d'une porte métallique à double vantail fermant le local "Charlie 011" de la base protégée de l'arsenal de Brest ; qu'il résulte de l'instruction que cet accident de service est dû à l'absence de butée d'arrêt pour le déplacement latéral du premier vantail par suite d'une mauvaise interprétation du plan d'exécution de cet équipement par les services de la société Serrurerie Brestoise, entreprise qui a exécuté cet équipement en qualité de sous-traitant de la société Larvor, société chargée, dans le cadre d'un marché conclu le 18 juillet 1994 avec la direction des travaux maritimes, de l'aménagement des ateliers et magasins dans la base protégée ; que les dommages ainsi subis engagent la responsabilité solidaire des sociétés Larvor et Serrurerie Brestoise envers M. X..., tiers par rapport à cet ouvrage ;
Considérant, en revanche, que la circonstance que M. X... peut prétendre à une pension d'invalidité réparant les conséquences dommageables de son accident de service ne fait pas obstacle à ce qu'il réclame une indemnité complémentaire aux entreprises en cause destinée à lui procurer la réparation intégrale dans les conditions du droit commun du préjudice corporel subi dans la mesure où le montant dudit préjudice excède celui des prestations versées par l'Etat ;
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X... ayant bénéficié durant son interruption de service de sa solde à taux plein n'a pas subi de ce fait de pertes de revenus ; qu'il n'est pas fondé à soutenir que, par suite de son absence de promotion au grade de maître-principal, il aurait subi un préjudice financier du fait de son départ avancé de l'armée, le refus de promotion ne découlant pas néces-sairement de l'accident ; qu'en revanche, il résulte également de l'instruction qu'il a été privé de ses primes de plongée et pour travaux dangereux jusqu'à la date de son admission à la retraite le 14 novembre 1999 alors qu'il avait été de nouveau déclaré apte à la plongée le 9 mai 1995 et peut ainsi prétendre à ce titre à une somme de 162 000 F ; que M. X... qui demeure atteint d'une incapacité permanente partielle de 18 % a subi des troubles dans ses conditions d'existence ; qu'il a enduré des souffrances physiques évaluées à 4 sur une échelle de 7 par l'expert désigné par les premiers juges et qu'il supporte un préjudice d'agrément ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces chefs de préjudice en les évaluant à 75 000 F au total ;

Considérant que, pour évaluer le préjudice global résultant de l'accident, il y a lieu d'ajouter aux sommes précitées de 162 000 F et de 75 000 F le montant des frais assumés par l'Etat par suite de cet accident soit 64 908,80 F au titre des rémunérations servies à M. X... jusqu'à sa reprise d'activité, y compris les charges patronales et 58 476 F de frais médicaux à l'exception de la somme de 1 894,56 F, s'agissant d'une demande irrecevable comme nouvelle en appel, ainsi que le montant du capital représentatif de la pension d'invalidité qui lui a été concédée, soit 164 060,68 F ; qu'ainsi le préjudice global s'élève à 524 445,48 F, sans préjudice du droit que conserve l'Etat de réclamer ultérieurement à qui de droit ladite somme de 1 894,56 F ;
En ce qui concerne les droits respectifs de l'Etat et de M. X... :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 : "I. - Lorsque le décès, l'infirmité ou la maladie d'un agent de l'Etat est imputable à un tiers, l'Etat dispose de plein droit contre ce tiers, par subrogation aux droits de la victime ou de ses ayants droit, d'une action en remboursement de toutes les presta-tions versées ou maintenues à la victime ou à ses ayants droit à la suite du décès, de l'infirmité ou de la maladie. II. - Cette action concerne notamment : Le traitement ou la solde et les indemnités accessoires pendant la période d'interruption du service ;
- Les frais médicaux et pharmaceutiques ; - Le capital-décès ; - Les arrérages des pensions et rentes viagères d'invalidité ainsi que les allocations et majorations accessoires ; - Les arrérages des pensions de retraite et de réversion prématurées, jusqu'à la date à laquelle la victime aurait pu normalement faire valoir ses droits à pension, ainsi que les allocations et majorations accessoires ; - Les arrérages des pensions d'orphelin. III. - Le remboursement par le tiers responsable des arrérages de pensions ou rentes ayant fait l'objet d'une concession définitive est effectuée par le versement d'une somme liquidée en calculant le capital représentatif de la pension ou de la rente ..." ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'Etat est fondé à deman-der aux sociétés Larvor et Serrurerie Brestoise le remboursement des dépenses qu'il a exposées du fait de l'accident soit la somme de 287 445,48 F ; que les droits de M. X... s'élèvent, après déduction de cette somme, à 237 000 F ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en son article 1er et de le réformer en son article 2 en ce qu'il s'est borné à condamner les sociétés Larvor et Serrurerie Brestoise à verser à l'Etat la somme de 121 788 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que l'Etat a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 164 060,68 F à compter du 22 mars 2000, date de sa demande sur ce point devant la Cour et, sur la somme de 45 173,90 F qu'il demande à compter du 8 octobre 1998, date de son premier mémoire devant la Cour ;
Sur l'action en garantie de la société Larvor contre l'Etat :

Considérant que, par mémoire du 12 décembre 1997, parvenu le 16 décembre suivant dans les services de l'administration militaire, soit deux jours avant l'audience fixée au 18 décembre et donc postérieurement à la date de clôture de l'instruction, la société Larvor a demandé au Tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à la garantir des éventuelles condamnations qui seraient prononcées à son encontre ; qu'il appartenait, en l'espèce, au Tribunal, eu égard au contenu de ce mémoire, de rouvrir l'instruction pour permettre au ministre de la défense de présenter ses observations à ces conclusions nouvelles ; qu'en l'absence d'une telle régularisation, il y a lieu d'annuler l'article 3 du jugement attaqué par lequel le Tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à garantir à hauteur du tiers la société Larvor des condamnations prononcées à son encontre ;
Considérant que l'affaire est, sur ce point, en état, qu'il y a lieu d'évoquer pour y être statué par le présent arrêt ;
Considérant que si la société Larvor demande à être garantie par l'Etat des condamnations mises à sa charge, il résulte des pièces du dossier que l'accident est exclusivement imputable à un vice de fabrication consistant en l'oubli d'une butée d'arrêt pour le déplacement latéral du premier vantail de la porte, vice dont la société Larvor, titulaire du marché, est responsable et qui n'était pas apparent dans toutes ses conséquences lors de la réception ; que, dès lors, la société Larvor n'est pas fondée à demander que l'Etat soit condamné à la garantir des condamnations prononcées contre elle à la suite de l'accident survenu à M. X... ;
Sur les frais d'expertise exposés en première instance :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de con-damner solidairement les sociétés Larvor et Serrurerie Brestoise à supporter les frais d'expertise qui se sont élevés à 3 259 F ;
Sur les conclusions d'appel provoqué de la société Serrurerie Brestoise :
Considérant que les conclusions que la société Serrurerie Brestoise a présentées devant la Cour et qui tendent à ce que la responsabilité de l'Etat soit retenue pour partie constituent une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel et doivent, dès lors, être rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article 2 du décret du 31 mars 1998 :
Considérant qu'en application des dispositions susmentionnées, il y a lieu de condamner les sociétés Larvor et Serrurerie Brestoise à verser à l'Etat une somme de 5 000 F ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la société Larvor la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, en application des mêmes dispositions, de condamner solidairement la société Larvor et la société Serrurerie Brestoise à verser à M. X... une somme de 6 000 F au titre de ces frais ;
Article 1er : La société Larvor et la société Serrurerie Brestoise sont condamnées solidairement à verser à M. Jean-Pierre X... la somme de deux cent trente sept mille francs (237 000 F).
Article 2 : La société Larvor et la société Serrurerie Brestoise sont condamnées à verser à l'Etat la somme de deux cent quatre vingt sept mille quatre cent quarante cinq francs et quarante huit centimes (287 445,48 F) dont cent soixante quatre mille soixante francs et soixante huit centimes (164 060,68 F) avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2000 et la somme de cent vingt trois mille trois cent quarante huit francs et quatre vingts centimes (123 348,80 F) avec intérêts au taux légal sur celle de quarante cinq mille cent soixante treize francs et quatre vingt dix centimes (45 173,90 F) à compter du 8 octobre 1998.
Article 3 : Les frais d'expertise sont mis solidairement à la charge de la société Larvor et de la société Serrurerie Brestoise.
Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 11 juin 1998 est annulé en ses articles 1er, 3, 5 et réformé en son article 2, en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Jean-Pierre X..., le surplus des conclusions de l'appel provoqué du ministre de la défense sont rejetés.
Article 6 : Les conclusions d'appel en garantie de la société Larvor et les conclu-sions d'appel provoqué de la société Serrurerie Brestoise sont rejetées.
Article 7 : La société Larvor et la société Serrurerie Brestoise sont condamnées à verser à l'Etat une somme de cinq mille francs (5 000 F) au titre de l'article 2 du décret du 31 décembre 1998.
Article 8 : La société Larvor et la société Serrurerie Brestoise verseront solidairement à M. Jean-Pierre X... une somme de six mille francs (6 000 F) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 9 : Les conclusions de la société Larvor tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Pierre X..., à la société Larvor, à la société Serrurerie Brestoise, à la Caisse nationale militaire de sécurité sociale, au ministre de la défense et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.