Conseil d'Etat, 3 SS, du 10 juillet 1992, 110977, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision10 juillet 1992
Num110977
Juridiction
Formation3 SS
RapporteurLabarre
CommissairePochard

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 16 octobre 1989 et 14 février 1990, présentés pour M. André X..., demeurant chez Mme Georgette Y... ... à Pont L'Evèque (14130) ; M. André X... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 28 juin 1989 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 7 mars 1986 par laquelle le secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants et des victimes de guerre lui a refusé l'attribution du titre d'interné-résistant ;
2°) annule ladite décision du secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants et des victimes de guerre, en date du 7 mars 1986 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953, la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 et la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Labarre, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. André X...,
- les conclusions de M. Pochard, Commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que les premiers juges ont pu, sans commettre d'irrégularité, accorder à plusieurs reprises de nouveaux délais à l'administration pour lui permettre de présenter ses observations, puis, après avoir écarté par jugement avant-dire droit la fin de non-recevoir opposée par l'administration, ordonner par le même jugement un supplément d'instruction afin que le secrétaire d'Etat aux anciens combattants présente des observations sur le fond ; qu'il ressort des pièces du dossier que le requérant, à qui les observations de l'administration ont été communiquées, a produit un mémoire en réplique le 9 mai 1989 ; que le tribunal administratif a pu, sans méconnaître le principe du contradictoire et alors même qu'il avait fixé au requérant un délai qui expirait le 30 juin 1989, décidé d'inscrire l'affaire à une séance de jugement sans attendre cette date, dès lors que le requérant avait disposé d'un délai suffisant et avait été averti en temps utile, par l'envoi de l'avis d'audience, de la fixation au 14 juin 1989 de la séance de jugement ; que le tribunal administratif n'était pas tenu en l'espèce d'accéder à la demande du requérant de report de la date de l'audience ; que, chaque partie ayant été en mesure de présenter ses moyens et de répondre à l'autre, le requérant ne saurait utilement soutenir que le jugement est intervenu en violation des dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales selon lesquelles "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement" ; que les moyens selon lesquels le jugement serait intervenu irrégulirement doivent donc être écartés ;
Sur la légalité de la décision de rejet opposée à la demande de M. André X... :

Considérant qu'aux termes de l'article L.273 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : "Le titre d'interné-résistant est attribué à toute personne qui a subi, quelqu'en soit le lieu, sauf le cas prévu à l'article L.272, une détention minimum de trois mois pour acte qualifié de résistance à l'ennemi. Aucune condition de durée n'est exigée de ceux qui se sont évadés et qui ont contracté, pendant leur internement une maladie ou une infirmité provenant notamment de tortures, susceptibles d'ouvrir droit à pension à la charge de l'Etat" ;
Considérant que, si aucune disposition du code susmentionné ne prévoit l'attribution du titre d'interné-résistant aux prisonniers de guerre, cette circonstance ne fait pas, en principe, obstacle à l'application auxdits prisonniers de guerre des dispositions de portée générale de l'article L.273 susvisé et de celles des articles R.286 et suivants prises pour leur exécution, à condition, toutefois, que les intéressés aient subi, pour des actes qualifiés de résistance à l'ennemi, définis à l'article R.287 dudit code, un transfert entraînant dans leur situation une aggravation suffisante pour, qu'eu égard aux conditions nouvelles de leur détention, celle-ci puisse être regardée comme constituant une détention différente de celles dont ils faisaient l'objet en qualité de prisonnier de guerre ;
Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des attestations produites, qu'au cours de sa détention comme prisonnier de guerre en Allemagne, M. X... a participé à l'organisation d'évasions et commis des sabotages qui constituent des actes de résistance à l'ennemi ;

Considérant, d'autre part, que c'est en raison de l'accomplissement de ces actes de résistance et notamment de ses nombreuses tentatives d'évasion pour retrouver les forces de la Résistance, qu'il a été transféré d'un camp à l'autre et qu'il ressort des témoignages qu'il a produits que sa situation s'en est trouvée suffisamment aggravée pour qu'eu égard aux conditions nouvelles de son internement ou détention dans les camps où il a été successivement transféré constitue une détention différente de celle dont il faisait l'objet précédemment ; que le nombre de jours qu'il a passés dans ces conditions aggravées a excédé la durée de trois mois exigée par l'article L. 273 ; que M. X... est, par suite, fondé à soutenir qu'il remplit les conditions fixées par le premier alinéa de l'article L. 273 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ci-dessus rappelé ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le secrétaire d'Etat aux anciens combattants a rejeté sa demande d'attribution du titre d'interné résistant ;
Sur les conclusions tendant à la suppression de passages réputés injurieux dans le mémoire présenté par le secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants et victimes de guerre :
Considérant que ce mémoire ne renferme pas d'imputations injurieuses ou diffamatoires de nature à faire prononcer la suppression des passages incriminés ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser les sommes exposées par lui et non compris dans les dépens :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à M. X... la somme qu'il demande au titre des sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 28 juin 1989, ensemble la décision du 7 mars 1986 refusant à M. X... l'attribution du titre d'interné résistant, sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par M. X... est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. X... et au secrétaire d'Etat aux anciens combattants et victimes de guerre.