Cour Administrative d'Appel de Paris, 6ème Chambre, 23/10/2007, 06PA01689, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 octobre 2007
Num06PA01689
JuridictionParis
Formation6ème Chambre
PresidentM. PIOT
RapporteurM. André-Guy BERNARDIN
CommissaireM. COIFFET
AvocatsCOLIN

Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés respectivement les
9 mai et 16 novembre 2006, présentés pour M. Larbi X, demeurant ..., élisant domicile chez Me Usang, avocat, au 483 boulevard Pomare à Papeete, Polynésie Française, par la SCP Alain Monod et Bertrand Colin; M. X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 04-13267, en date du 8 mars 2006, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite du ministre de la défense rejetant sa demande de révision de sa retraite de combattant, et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de
500 000 euros avec intérêts au taux légal en réparation de son préjudice ;

2°) d'ordonner au ministre de la défense de revaloriser sa pension de retraite de combattant ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2004 et capitalisation ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n°59-1454 du 26 décembre 1959, portant loi de finances pour 1960 modifiée ;

Vu la loi n°2002-1576 du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002 ;

Vu le décret n°2003-1044 du 3 novembre 2003 et l'arrêté du 3 novembre 2003, pris pour son application ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 octobre 2007 :

- le rapport de M. Bernardin, rapporteur,
- les observations de Me Colin de la SCP Alain Monod et Bertrand Colin, pour
M. X,
- et les conclusions de M. Coiffet, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X, ressortissant marocain, titulaire de la carte du combattant, bénéficie de la retraite du combattant au taux fixé pour les ressortissants marocains en application des dispositions du I de l'article 71 de la loi de finances susvisée du 26 décembre 1959 ; qu'il relève appel du jugement en date du 8 mars 2006 du Tribunal administratif de Paris rejetant sa demande aux fins d'annulation de la décision par laquelle le ministre de la défense a rejeté implicitement sa réclamation préalable en date du
17 mars 2004 qu'il lui avait adressée aux fins de revalorisation de la retraite du combattant ainsi perçue, à un taux identique à celui des ressortissants français, et d'indemnisation des préjudices subis, du fait de l'absence de revalorisation ;

Sur les conclusions en annulation :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. » ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 255 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : « Il est institué pour tout titulaire de la carte du combattant remplissant les conditions de l'article L. 256 ou de l'article L. 256 bis, une retraite cumulable, sans aucune restriction, avec la retraite qu'il aura pu s'assurer par ses versements personnels, en application notamment de la loi du 4 août 1923 sur les mutuelles de retraites et avec la ou les pensions qu'il pourrait toucher à un titre quelconque. / Cette retraite annuelle, qui n'est pas réversible, est accordée en témoignage de la reconnaissance nationale. » ; que l'article L. 256 du même code dispose, dans son dernier alinéa, que :
« … Les titulaires de la carte âgés de 65 ans, autres que ceux visés aux alinéas précédents, bénéficient de la retraite au taux déterminé par application de l'indice de pension 33 » ;

Considérant que les pensions de retraite accordées aux anciens combattants et victimes de la guerre sur le fondement des dispositions précitées des articles L. 255 et L. 256 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, qui sont des allocations pécuniaires personnelles et viagères, constituent pour leurs bénéficiaires des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er, précité, du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, la retraite du combattant dont est titulaire M. X relève du champ d'application de ladite convention et de son premier protocole ; que, dès lors, le requérant est fondé à demander pour erreur de droit l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande de révision de sa retraite de combattant qu'il lui avait présenté le 17 mars 2004 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002, susvisée : « I - Les prestations servies en application des articles (…) 71 de la loi de finances pour 1960 (n° 59-1454 du 26 décembre 1959) (…) sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants./ II - Lorsque, lors de la liquidation initiale des droits directs ou à réversion, le titulaire n'a pas sa résidence effective en France, la valeur du point de base de sa prestation, telle qu'elle serait servie en France, est affectée d'un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d'achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d'achat de la France. Les parités de pouvoir d'achat du pays de résidence sont réputées être au plus égales à celles de la France. (…)/ IV Sous les réserves mentionnées au deuxième alinéa du présent IV (…), les dispositions des II et III sont applicables à compter du 1er janvier 1999./ Ce dispositif spécifique s'applique sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée et des contentieux contestant le caractère discriminatoire des textes visés au I, présentés devant les tribunaux avant le
1er novembre 2002. » ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, éclairées par leurs travaux préparatoires, qu'elles ont notamment pour objet d'assurer aux titulaires des prestations mentionnées au I dudit article, versées en remplacement de la pension qu'ils percevaient antérieurement, des conditions de vie dans l'Etat où ils résident en rapport avec la dignité qui leur est reconnue en raison des services qu'ils ont rendus à la France ; que ces dispositions instaurent à cette fin un critère de résidence, apprécié à la date de liquidation de la prestation, permettant de fixer le montant de celle-ci à un niveau, différent dans chaque Etat, tel qu'il garantisse aux intéressés résidant à l'étranger un pouvoir d'achat équivalent à celui dont ils bénéficieraient s'ils avaient leur résidence en France, sans pouvoir lui être supérieur ; que les dispositions du III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, reprises à l'article 3 du décret du 3 novembre 2003, prévoyant que « le montant des prestations qui résulterait de l'application des coefficients (de calcul desdites prestations) ne peut être inférieur à celui que le titulaire d'une prestation a perçu en vertu des dispositions mentionnées au I, majoré de 20 % », visent à assurer aux bénéficiaires résidant dans des Etats dont le revenu national brut par habitant est particulièrement faible des conditions de vie correspondant à celles évoquées ci-dessus, ce que ne permettrait pas la stricte application des coefficients définis par l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ; que les dispositions des I, II et III de cet article poursuivent un objectif d'utilité publique en étant fondées sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi ; que, par suite, le ministre de la défense a pu, sans méconnaître les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales se fonder sur les dispositions des I, II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, pour rejeter la réclamation que lui a adressée le requérant après la date normale d'entrée en vigueur de cette loi, en tant qu'elle portait demande de revalorisation de sa pension à concurrence des montants applicables dans le cadre du régime de droit commun pour les ressortissants de nationalité française ; qu'ainsi M. X n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions sur ce point ;

Sur les conclusions en indemnisation :

Considérant qu'une demande d'indemnisation, à hauteur de 500 000 euros, fondée sur la responsabilité de l'Etat du fait de la loi du 26 décembre 1959 jugée contraire au principe de non discrimination posé par l'article 14 de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par le Conseil d'Etat dans son arrêt
n° 212129 du 30 novembre 2001, a été présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Paris ; que les premiers juges ont omis de statuer sur ce point ; qu'ainsi l'appelant est fondé à soutenir que, le jugement attaqué est dans cette limite irrégulier et a en demander en conséquence l'annulation dans cette mesure ;

Considérant qu'il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions aux fins d'indemnisation présentées par M. X devant le Tribunal administratif de Paris ;

Considérant que si le requérant qui n'était pas fondé à demander la revalorisation de la retraite du combattant qui lui était versée à concurrence des montants versés aux nationaux français, demande l'allocation d'une somme de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts, il ne justifie d'aucun préjudice financier ou moral résultant de l'absence de revalorisation par l'Etat, dans les conditions qu'il exige, de ladite retraite du combattant ; que, dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité, les conclusions susmentionnées ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné sur leur fondement à verser à M. X la somme qu'il demande au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens ;






D E C I D E :


Article 1er : Le jugement susvisé en date du 8 mars 2006 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Paris
est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. X tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.


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N° 06PA01689