COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON, 3ème chambre - formation à 3, 09/12/2010, 09LY00753, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 09 décembre 2010 |
Num | 09LY00753 |
Juridiction | Lyon |
Formation | 3ème chambre - formation à 3 |
President | M. FONTANELLE |
Rapporteur | M. Pierre Yves GIVORD |
Commissaire | Mme SCHMERBER |
Avocats | LAVOCAT |
Vu la requête, enregistrée le 2 avril 2009, présentée pour M. Yves A, demeurant ...
M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0700055 du 10 février 2009 du Tribunal administratif de Lyon en tant que par ce jugement, le tribunal a limité à la somme de 55 000 euros la réparation de ses préjudices résultant de l'accident de service dont il a été victime le 4 novembre 1999 ;
2°) de condamner, après une nouvelle expertise, la commune de Châtillon-sur-Chalaronne à lui verser la somme de 1 051 650,73 euros au titre de son préjudice patrimonial avant imputation de la créance des organismes sociaux et la somme de 254 400 euros au titre de son préjudice extrapatrimonial, soit un total de 1 306 050,73 euros ;
Il soutient qu'une nouvelle expertise est nécessaire et présente un caractère utile, le rapport d'expertise du Docteur ROUGEMONT ne reflétant pas la réalité de son préjudice corporel et ne correspondant pas aux conclusions contradictoirement discutées lors de la réunion d'expertise du 6 septembre 2007 ; que la responsabilité pour faute de la commune de Châtillon-sur-Chalaronne ne pouvait être écartée dès lors que celle-ci a commis une faute en chargeant ses agents de la fixation de sapins de Noël en hauteur sans s'assurer de leur sécurité ; que le lien de causalité est établi ; qu'aucune faute ne peut être reprochée à M. A compte tenu des consignes qu'il avait reçues quant à la fixation de sapins de Noël au moyen d'une échelle inadaptée ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2009, présenté pour la commune de Châtillon-sur-Chalaronne, représentée par son maire en exercice, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. A à lui verser une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que les conclusions indemnitaires présentées en appel par le requérant doivent être regardées comme des demandes nouvelles et sont par conséquent irrecevables ; que la nouvelle expertise sollicitée par le requérant serait dépourvue de caractère utile ; que la commune de Châtillon-sur-Chalaronne a clairement défini la mission incombant à ses agents et a pris les dispositions nécessaires pour assurer leur sécurité, que de ce fait, elle n'a pas commis de faute ; qu'une faute d'imprudence peut être reprochée à M. A ; que le jugement n° 0700055 du 10 février 2009 du Tribunal administratif de Lyon doit être confirmé en ce qu'il apprécie justement la part de responsabilité sans faute incombant à la commune en l'évaluant à 50 pour-cent ;
Vu l'ordonnance en date du 12 mai 2010 fixant la clôture d'instruction au 15 juin 2010, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée, relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
Vu le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 modifié, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales ;
Vu le code des pensions civiles et militaires ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 novembre 2010 :
- le rapport de M. Givord ;
- les observations de Me Gay, représentant la commune de Châtillon-sur-Chalaronne ;
- et les conclusions de Mme Schmerber, rapporteur public ;
La parole ayant été, de nouveau, donnée à la partie présente ;
Considérant que, par la présente requête, M. A, agent de maîtrise affecté au service des espaces verts de la commune de Châtillon-sur-Chalaronne, demande à la Cour d'annuler le jugement du 10 février 2009 du Tribunal administratif de Lyon en tant que par ce jugement, le Tribunal a limité à la somme de 55 000 euros l'indemnité due par la commune en réparation des préjudices résultant de l'accident de service dont il a été victime, le 24 novembre 1999, et de condamner ladite commune à lui verser la somme totale de 1 306 050,73 euros ;
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête par la commune de Châtillon sur Chalaronne :
Considérant que M. A a demandé aux premiers juges de condamner la commune de Châtillon-sur-Chalaronne à lui verser la somme d'un million d'euros tous préjudices confondus ; que le montant total de l'indemnité demandée en appel est de 1 306 050,73 euros, est supérieur à celui sollicité en première instance ; que M. A ne verse devant la Cour aucune pièce de nature à justifier l'aggravation de son préjudice du fait d'éléments nouveaux apparus postérieurement au 19 janvier 2009, date de clôture de l'instruction en première instance ; que, par suite, M. A n'est pas fondé à accroître en appel ses prétentions indemnitaires ;
Considérant que le surplus des conclusions indemnitaires présentées par le requérant, soit 306 050,73 euros, constitue une demande nouvelle, irrecevable en appel ; que dès lors il sera statué sur la seule demande d'indemnité d'un montant d'un million d'euros, tous préjudices confondus ;
Sur la responsabilité :
Considérant que les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d'agrément ou des troubles dans les conditions d'existence, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité, ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait ;
Considérant que le 24 novembre 1999, M. A et deux autres agents de la commune de Châtillon-sur-Chalaronne ont reçu pour instruction de mettre en place les sapins de Noël ; que pour ce faire, un camion grue avait été mis à leur disposition ; qu'au rond-point de Montpensier, les agents ont cherché à attacher un sapin à un lampadaire ; que l'un d'entre eux, monté sur une échelle pour lier le haut de l'arbre au lampadaire, est tombé d'une hauteur d'environ six mètres sur M. A qui maintenait le pied de l'échelle, lequel a été blessé au poignet et au dos ;
Considérant, en premier lieu, que le directeur des services techniques certifie que les agents avaient reçu l'ordre de positionner les arbres dans des fourreaux à l'aide du camion grue et de les fixer avec des cales ; que si la directrice générale des services, qui ne déclare pas avoir donné des ordres quant à la réalisation de ces travaux ou être au courant des ordres donnés, atteste qu'à la suite de l'accident, elle avait donné l'ordre que tous les travaux en hauteur soient réalisés à l'aide d'une nacelle, cette attestation est sans portée dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'une nacelle avait été réservée dès le 20 octobre 1999 pour la pose en hauteur des illuminations pour les fêtes de la fin de l'année 1999 ; que M. A n'allègue pas que les autres sapins n'auraient pas été installés selon les consignes mentionnées par le directeur des services techniques ; qu'ainsi, il n'est pas établi que les agents auraient reçu l'ordre d'installer un sapin au rond-point de Montpensier en le liant au lampadaire à l'aide d'une échelle ; que dès lors, M. A n'est pas fondé à soutenir que la commune aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; que, par suite, ses conclusions à fin d'indemnisation des frais d'assistance d'une tierce personne, des frais matériels liés à son handicap et de son préjudice professionnel doivent être rejetées ;
Considérant en deuxième lieu, alors qu'il est constant que l'accident est directement lié à l'exercice de ses fonctions par M. A, que celui-ci a droit en vertu des principes susmentionnés, même en l'absence de faute de la commune de Châtillon-sur-Chalaronne, à la réparation des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que ses souffrances physiques ou morales, son préjudice esthétique et ses troubles dans les conditions d'existence ;
Considérant en troisième lieu, qu'en décidant de fixer un sapin à un lampadaire au lieu de rendre compte au supérieur hiérarchique de l'absence alléguée d'un fourreau, qu'en appuyant une échelle contre un mat ou le haut d'un sapin, qu'en maintenant sans précaution le pied de l'échelle, M. A a commis une faute de nature à exonérer à hauteur de 50 pour-cent la commune de son obligation de le garantir contre les risques encourus dans l'exercice de ses fonctions ;
Sur les préjudices de M. A :
Sur l'exception de prescription :
Considérant que par les motifs retenus par le Tribunal et que la Cour fait siens, il y a lieu d'écarter l'exception de prescription présentée par la commune ;
Sur la demande de nouvelle expertise :
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que M. A présente à ce jour des symptômes identiques à ceux retenus dans le rapport d'expertise enregistré au greffe du Tribunal administratif de Lyon le 1er octobre 2007, qu'il est soumis au même traitement médical qu'à l'époque, que le compte rendu de la réunion d'expertise du 6 septembre 2007 ne saurait justifier une aggravation de l'état de M. A à compter du rapport d'expertise, ce dernier lui étant postérieur ;
Considérant qu'il s'ensuit que l'expertise sollicitée a le même objet que la précédente, que M. A ne fait état d'aucune circonstance nouvelle et n'allègue pas que l'expert aurait omis de conclure sur certains points de sa mission ; qu'une telle expertise ne présente pas de caractère utile ; que, par suite, il n'y a pas lieu pour la Cour d'ordonner une nouvelle expertise ;
Sur l'évaluation des préjudices :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le Tribunal, qu'à la suite de son accident, M. A souffre d'un blocage lombaire douloureux permanent avec irradiations douloureuses dans les membres inférieurs nécessitant le port permanent d'un corset et l'usage de deux cannes canadiennes pour les courts trajets à pied et d'un fauteuil roulant pour les trajets plus longs ; qu'il a subi une incapacité temporaire totale du 26 novembre 1999 au 31 mai 2006 ; que son état est consolidé au 1er juin 2006 ; qu'il est définitivement et totalement inapte à toute activité professionnelle et ne peut pratiquer aucune des activités sportives ou ludiques qui étaient les siennes avant son accident ; qu'il a subi deux interventions chirurgicales ainsi que de longues périodes de rééducation et que son immobilisation a eu des répercussions psychologiques ; qu'il a besoin d'une aide pour certains actes de la vie quotidienne ; que les souffrances endurées et son préjudice esthétique sont respectivement évaluées à 5,5 et 4,5 sur une échelle de 7 ; que dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des préjudices non patrimoniaux dont M. A demande la réparation en lui allouant une somme totale de 130 000 euros ; qu'eu égard au partage des responsabilités ci-dessus mentionné, la commune de Châtillon-sur-Chalaronne doit être condamnée à lui verser la somme de 65 000 euros ;
Sur les conclusions de la caisse des dépôts et consignations :
Considérant que si les articles 1er et 7 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques ainsi que l'article 26 du décret du 9 septembre 1965 ouvrent à la caisse des dépôts et consignations agissant comme gérante de la caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales, à l'encontre du tiers responsable d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle, une action en remboursement des prestations versées à la victime, la collectivité publique employeur de l'agent n'a pas, pour l'application de ces dispositions, la qualité de tiers vis à vis de l'agent et de la caisse débitrice des prestations ; que, par suite, les conclusions de la caisse des dépôts et consignations tendant au remboursement des sommes qu'elle verse à M. A du fait de son invalidité doivent, en tout état de cause, être rejetées ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Châtillon-sur-Chalaronne demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge la commune de Châtillon-sur-Chalaronne une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er: La somme que la commune de Châtillon-sur-Chalaronne a été condamnée à verser à M. A est portée à un montant de soixante cinq mille euros (65 000 euros).
Article 2 : L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Lyon en date du 10 février 2009 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune de Châtillon-sur-Chalaronne versera à M. A une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Yves A, à la commune de Châtillon-sur-Chalaronne et à la caisse des dépôts et consignation.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2010, à laquelle siégeaient :
- M. Fontanelle, président de chambre,
- M. Givord, président assesseur,
- Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 décembre 2010.
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N° 09LY00753