Cour Administrative d'Appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 13/12/2011, 11MA00738, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 13 décembre 2011 |
Num | 11MA00738 |
Juridiction | Marseille |
Formation | 8ème chambre - formation à 3 |
President | M. GONZALES |
Rapporteur | M. Jean-Baptiste BROSSIER |
Commissaire | Mme VINCENT-DOMINGUEZ |
Avocats | SCP TEISSONNIERE & ASSOCIES |
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour par télécopie le 16 février 2011 sous le n° 11MA00738, régularisée le 17 février 2011, présentée par Me Teissonnière, avocat, pour M. Jean-Louis A, demeurant ... ;
M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0900730 du 17 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes, présentées par requête introductive de première instance et rectifiées par mémoire du 1er décembre 2010 tendant à la condamnation de l'Etat (ministère de la défense) à lui verser à titre indemnitaire les sommes de 39 020,69 euros, 30 000 euros et 15 000 euros en réparation respectivement d'un préjudice économique, d'une incidence professionnelle et du préjudice d'anxiété, ensemble la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de condamner l'Etat (ministère de la défense) à lui verser, avec les intérêts au taux légal et le produit de leur capitalisation, une indemnité de 39 020,69 euros en réparation d'un préjudice économique et une indemnité de 45 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat (ministère de la défense) la somme de 2 000 euros titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et notamment son article 41 ;
Vu la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 et notamment son article 53 ;
Vu le décret du 26 février 1897 modifié relatif à la situation du personnel civil d'exploitation des établissements militaires ;
Vu le décret du 1er avril 1920 modifié relatif au statut du personnel ouvrier des arsenaux et établissements de la marine ;
Vu le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 modifié relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;
Vu le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, notamment son chapitre II relatif à la procédure d'indemnisation des victimes de l'amiante et aux décisions du fonds ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;
Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre exceptionnel, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 novembre 2011 :
- le rapport de M. Brossier, rapporteur,
- les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public,
- et les observations de Me Lafforgue, de la SCP Teissonnière et associés, pour M. A ;
Considérant que M. A, ouvrier de l'Etat relevant du ministère de la défense, a été affecté, au sein des services de la direction des constructions navales (DCN), à l'arsenal de Toulon ; qu'ayant exercé ses fonctions sur des bâtiments dans des conditions de travail affectées par des poussières d'amiante, il a bénéficié à compter du 1er janvier 2004 du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante instauré par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et son décret d'application susvisé n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ; qu'il a réclamé, par sa requête introductive de première instance, la condamnation de l'Etat (ministère de la défense) à lui verser les indemnités de 39 020,69 euros en réparation d'un préjudice économique et de 10 000 euros en réparation d'un préjudice d'anxiété, auxquelles il rajouté, par mémoire enregistré au greffe du tribunal le 1er décembre 2010, une indemnité de 30 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle, en portant alors également à 15 000 euros le montant de 10 000 euros réclamé initialement au titre d'un préjudice d'anxiété ; que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ces demandes ; que devant la Cour, il réclame la condamnation de l'Etat (ministère de la défense) à lui verser les indemnités de 39 020,69 euros en réparation de son préjudice économique et de 45000 euros en réparation d'une incidence professionnelle ;
Considérant qu'aux termes de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 :
- I-Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes :1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués des matériaux contenant de l'amiante ; 2° Avoir atteint un âge déterminé, qui pourra varier en fonction de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1° sans pouvoir être inférieur à cinquante ans. Ont également droit, dès l'âge de cinquante ans, à l'allocation de cessation anticipée d'activité les salariés ou anciens salariés reconnus atteints au titre du régime général d'une maladie professionnelle provoquée par l'amiante et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail et de la sécurité sociale. Le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité ne peut se cumuler ni avec l'un des revenus ou l'une des allocations mentionnées à l'article L. 131-2 du code de la sécurité sociale ni avec un avantage de vieillesse ou d'invalidité.
II - Le montant de l'allocation est calculé en fonction de la moyenne actualisée des salaires mensuels bruts de la dernière année d'activité salariée du bénéficiaire. Il est revalorisé comme les avantages alloués en application du deuxième alinéa de l'article L. 322-4 du code du travail. L'allocation est attribuée et servie par les caisses régionales d'assurance maladie. L'allocation cesse d'être versée lorsque le bénéficiaire remplit les conditions requises pour bénéficier d'une pension de vieillesse au taux plein, telle qu'elle est définie aux articles L. 351-1 et L. 351-8 du code de la sécurité sociale.
III - Il est institué un fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. Ce fonds finance l'allocation créée au I. (...).
IV - L'allocation de cessation anticipée d'activité est assujettie aux mêmes cotisations et contributions sociales que les revenus et allocations mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 131-2 du code de la sécurité sociale. Les personnes percevant cette allocation et leurs ayants droit bénéficient des prestations en nature des assurances maladie et maternité du régime général. Le fonds des travailleurs de l'amiante assure, pendant la durée du versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité, le financement des cotisations à l'assurance volontaire mentionnée à l'article L. 742-1 du code de la sécurité sociale ainsi que le versement de l'ensemble des cotisations aux régimes de retraite complémentaire mentionnés à l'article L. 921-1 du même code.
V - Le salarié qui est admis au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité présente sa démission à son employeur. Le contrat de travail cesse de s'exécuter dans les conditions prévues à l'article L. 122-6 du code du travail. Cette rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié ouvre droit, au bénéfice du salarié, au versement par l'employeur d'une indemnité de cessation d'activité d'un montant égal à celui de l'indemnité de départ en retraite prévue par le premier alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail et calculée sur la base de l'ancienneté acquise au moment de la rupture du contrat de travail, sans préjudice de l'application de dispositions plus favorables prévues en matière d'indemnité de départ à la retraite par une convention ou un accord collectif de travail ou par le contrat de travail.
VI - Les différends auxquels peut donner lieu l'application du présent article et qui ne relèvent pas d'un autre contentieux sont réglés suivant les dispositions régissant le contentieux général de la sécurité sociale.
VII - Un décret fixe les conditions d'application du présent article. ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale invoqué par le ministre intimé, issu du livre 4 intitulé accidents du travail et maladies professionnelles (dispositions propres et dispositions communes avec d'autres branches) : Sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L. 455-2 aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit. ; qu'aux termes de l'article L. 452-1 du livre 4 du même code: Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants. ; et qu'aux termes de l'article L. 413-12 du livre 4 du même code, également invoqué par le ministre intimé : Il n'est pas dérogé aux dispositions législatives et réglementaires concernant les pensions : 1°) des ouvriers, apprentis et journaliers appartenant aux ateliers de la marine ; 2°) des personnes mentionnées à l'article 2 du décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l'unification du régime d'assurance des marins ; 3°) des ouvriers immatriculés de manufactures d'armes dépendant du ministère chargé de la défense (...) ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 53 de la loi susvisée n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 :
I - Peuvent obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices : 1° Les personnes qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité ; 2° Les personnes qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire de la République française (...).
II - Il est créé, sous le nom de Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante , un établissement public national à caractère administratif (...qui...) a pour mission de réparer les préjudices définis au I du présent article (...).
III - Le demandeur justifie de l'exposition à l'amiante et de l'atteinte à l'état de santé de la victime. Le demandeur informe le fonds des autres procédures relatives à l'indemnisation des préjudices définis au I éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, il informe le juge de la saisine du fonds. Si la maladie est susceptible d'avoir une origine professionnelle et en l'absence de déclaration préalable par la victime, le fonds transmet sans délai le dossier à l'organisme concerné au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité. Cette transmission vaut déclaration de maladie professionnelle. (...).
IV - Dans les six mois à compter de la réception d'une demande d'indemnisation, le fonds présente au demandeur une offre d'indemnisation (...) Le fonds présente une offre d'indemnisation nonobstant l'absence de consolidation (...) L'acceptation de l'offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l'action en justice prévue au V vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable tout autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice. Il en va de même des décisions juridictionnelles devenues définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l'exposition à l'amiante.
V - Le demandeur ne dispose du droit d'action en justice contre le fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du IV ou s'il n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur.
VI - Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Le fonds intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d'appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices (...).
VIII - Le début du deuxième alinéa (1°) de l'article 706-3 du code de procédure pénale est ainsi rédigé : 1° Ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l'article L. 126-1... (le reste sans changement). Les dispositions de l'alinéa précédent ne remettent pas en cause la compétence juridictionnelle pour connaître, en appel ou en cassation, des décisions rendues avant la date de publication du décret mentionné au X du présent article par les commissions instituées par l'article 706-4 du code de procédure pénale.
IX - Les demandes d'indemnisation des préjudices causés par l'exposition à l'amiante en cours d'instruction devant les commissions instituées par l'article 706-4 du code de procédure pénale à la date de publication du décret mentionné au X sont transmises au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Les provisions allouées en application du dernier alinéa de l'article 706-6 du code de procédure pénale sont remboursées par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
X - Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. ;
Considérant que M. A réclame la réparation d'un préjudice, qu'il qualifie d'anxiété, pour avoir été exposé pendant de nombreuses années sur son lieu de travail à des poussières d'amiante, du fait de la carence fautive selon lui de son employeur, l'Etat (ministère de la défense), dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre ces particules pathogènes ; qu'il réclame également la réparation d'un préjudice économique, correspondant à la perte de 35 % de son salaire, et d'un préjudice qualifié d'incidence professionnelle, correspondant aux sentiments de dévalorisation et de perte d'estime de soi qu'il a ressentis du fait de la cessation de toute activité professionnelle, en invoquant cette carence fautive et en soutenant à ce titre qu'il a été contraint de cesser de façon anticipée son activité professionnelle exposée aux poussières d'amiante, en bénéficiant certes d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, mais qui ne saurait réparer intégralement ses préjudices nés de son départ en préretraite ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, bien qu'invoquant un préjudice spécifique d'anxiété résultant de l'éventualité de la survenance des pathologies graves liées à l'exposition à l'amiante, n'est atteint d'aucune pathologie médicale, notamment anxio-dépressive, et n'a développé aucune pathologie imputable aux poussières d'amiante ; qu'il s'ensuit qu'en l'absence d'état pathologique avéré, la présente demande indemnitaire de M. A n'est pas susceptible de relever du dispositif d'indemnisation mis en place par l'article 53 précité, dans le cadre de la procédure dérogatoire d'indemnisation voulue par le législateur au titre de la solidarité nationale, qui met en cause le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, et ne concerne que les demandeurs justifiant d'une d'atteinte portée à l'état de santé et dont le contentieux relève de la compétence du juge judiciaire ; que les présentes demandes indemnitaires de M. A ne peuvent pas non plus être prises en charge dans le cadre du régime plus général fixé par le livre 4 du code de la sécurité sociale, auquel fait référence le ministre intimé qui invoque à cet égard de façon inopérante l'article L. 413-12 précité relatif aux pensions, dès lors que lesdites conclusions indemnitaires sont étrangères à l'application de tout régime d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles ; que les conditions relatives à ces demandes étant fondées sur la carence fautive susmentionnée de l'Etat (ministère de la défense) en sa qualité d'employeur de
M. A et que ce dernier étant agent contractuel de droit public participant à l'exécution d'un service public, la juridiction administrative est compétente pour en connaître ;
Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires de M. A :
Considérant, d'une part, que la personne qui a demandé, dans sa réclamation préalable qui lie le contentieux indemnitaire, la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état dans ladite réclamation, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur invoqué, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle ;
Considérant, d'autre part, que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle ;
S'agissant du préjudice d'anxiété :
Considérant que les premiers juges ont rejeté comme irrecevable la demande indemnitaire de 10 000 euros présentée devant eux en réparation du préjudice qualifié d'anxiété, au motif que ce chef de préjudice n'avait pas été formulé dans la réclamation préalable indemnitaire du 29 décembre 2008 et qu'il y avait lieu de faire droit, dans ces conditions, à la fin de non-recevoir opposée en première instance à titre principal par le ministère de la défense, tirée de l'absence de liaison du contentieux en ce qui concerne cette somme de 10 000 euros ; que cette fin de non-recevoir a été retenue de façon erronée par le tribunal, dès lors en effet que le fait générateur de ce chef de préjudice de 10 000 euros est le même que le fait générateur invoqué dans la réclamation préalable de l'intéressé, à savoir la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense), en sa qualité d'employeur, dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre les poussières d'amiante, carence fautive que la réclamation préalable qualifie d'inexcusable ; que toutefois, l'irrecevabilité retenue par les premiers juges n'est pas contestée par M. A devant la Cour ; qu'il n'y a pas lieu, dans ces conditions, pour la Cour de réformer d'office le jugement attaqué sur ce point ;
S'agissant du préjudice d'incidence professionnelle :
Considérant, en premier lieu, que le préjudice qualifié d'incidence professionnelle a été invoqué par M. A à hauteur de 30 000 euros en première instance, correspondant à la réparation des sentiments de dévalorisation et de perte d'estime de soi qu'il a ressentis du fait de la cessation de toute activité professionnelle ; que par suite, la fin de
non-recevoir opposée par le ministre intimé tirée de ce que ce chef de préjudice serait invoqué pour la première fois en appel manque en fait ;
Considérant, en deuxième lieu, que ce chef de préjudice qualifié d'incidence professionnelle n'a pas été invoqué dans la réclamation préalable indemnitaire du 29 décembre 2008 ; qu'il se rattache toutefois au même fait générateur et à la même cause juridique que le préjudice économique que cette réclamation préalable invoquait, à savoir la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) en sa qualité d'employeur dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre les poussières d'amiante, carence fautive que la réclamation préalable qualifie d'inexcusable ; qu'il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par le ministre intimé, tirée de l'absence de liaison du contentieux s'agissant du préjudice dit d'incidence professionnelle, doit être rejetée ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il est exact qu'en l'absence d'éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement attaqué, les prétentions indemnitaires de M. A devant la Cour doivent rester dans la limite du montant total de la demande indemnisation chiffrée en première instance ; qu'en l'espèce, elles sont restées au même montant ;
Sur le bien-fondé des conclusions indemnitaires tendant à la réparation des préjudices économique et d'incidence professionnelle :
Considérant, d'une part, qu'il résulte des termes de l'article 41 précité de la
loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, éclairés par les débats parlementaires, que le dispositif de l'allocation spécifique anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante a été mis en place, non dans le but d'indemniser intégralement lesdits travailleurs des conséquences dommageables de leur période passée d'exposition aux poussières d'amiante, mais aux fins, d'une part, de leur accorder une période de préretraite pour compenser la baisse statistiquement significative de leur espérance de vie en leur donnant la possibilité de pouvoir bénéficier d'une période de réelle retraite d'une durée équivalente à celle dont ils auraient pu bénéficier s'ils n'avaient pas été exposés audites poussières, d'autre part et à titre préventif, de favoriser le départ de leur lieu de travail amianté pour éviter qu'ils n'y travaillent encore avant que des opérations de désamiantage soient entreprises ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que M. A n'invoque pas la responsabilité de l'Etat législateur lors de la mise en place du fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; qu'il n'invoque pas non plus la carence fautive de l'Etat (ministère chargé du travail) dans l'exercice des pouvoirs de contrôle des services de l'inspection du travail, mais fait valoir, ainsi qu'il a été dit, la carence fautive de son employeur, l'Etat (ministère de la défense) qui l'a fait travailler dans des conditions d'hygiène et de sécurité sans protection contre les poussières d'amiante ;
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant, en premier lieu, que M. A a été recruté en 1972 en qualité d'ouvrier de productique (tourneur) jusqu'en 1980, puis d'ouvrier de magasinage du 1er janvier 1981 au 31 décembre 2003 ; que l'Etat (ministère de la défense) en sa qualité d'employeur ne pouvait ignorer, pendant la majeure partie de la période d'embauche de l'intéressé, les risques inhérents à l'inhalation de poussières d'amiante, compte tenu notamment de l'édiction dès 1977 du décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante ; qu'il n'est pas contesté qu'aucune mesure de protection particulière contre ces poussières n'a été prise dans les ateliers concernés par le travail d'ouvrier tourneur puis d'ouvrier de magasinage de M. A, l'exposant ainsi à des conditions de travail dangereuses pour son état de santé ; que dans ces conditions, l'Etat (ministère de la défense) a fait preuve d'une carence fautive de nature à engager sa responsabilité ;
En ce qui concerne le préjudice économique :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 21 décembre 2001 : Une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : (...) ; et qu'aux termes de l'article 6 du même décret : Pour bénéficier de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, l'ouvrier de l'Etat formule une demande qui est adressée à l'administration, à la collectivité ou à l'établissement qui l'emploie, accompagnée des pièces justificatives nécessaires pour établir ses droits. ;
Considérant que M. A, qui ne touche, du fait du bénéfice de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, que 65 % de son salaire sur la période courant du 1er janvier 2004 à la date de liquidation de sa pension, réclame au titre du préjudice économique le différentiel de 35 % manquant sur cette période ; qu'il soutient à ce titre qu'ayant été longtemps exposé aux poussières d'amiante lors de sa carrière comme ouvriers du ministère de la défense, il a été en réalité contraint de partir en préretraite ; qu'il fait à cet égard valoir l'alternative, inévitable selon lui, devant laquelle il se serait trouvé au 1er janvier 2004 consistant, soit à continuer à travailler jusqu'à l'âge de la liquidation optimale de sa pension, en perdant alors le bénéfice d'une période de réelle retraite allongée par la période de préretraite mise en place par le dispositif susmentionné, soit de bénéficier de cet allongement mais en perdant alors le solde de 35 % de rémunération du fait de la diminution de la durée de sa période d'activité ;
Considérant toutefois que le salarié qui opte pour le régime de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante se trouve placé dans une situation réglementaire à laquelle il ne peut apporter aucune modification, ni au moment de son adhésion, ni après ; que le bénéfice de ce statut légal est subordonné à la double condition expresse que le salarié ait démissionné de sa propre initiative et qu'il cesse toute activité professionnelle en vue de percevoir l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité ; que dans ces conditions, la carence fautive susmentionnée ne présente aucun lien de causalité suffisamment direct et certain avec le préjudice économique invoqué par M. A, dès lors que celui-ci a exercé librement le choix de solliciter le bénéfice du régime de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, alors qu'il était en mesure de solliciter une mutation sur un poste de travail non amianté ; qu'à cet égard, le ministre intimé soutient, sans être sérieusement contesté sur ce point, qu'il existait au sein de ses services de tels postes susceptibles d'accueillir M. A s'il en avait fait la demande ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande indemnitaire tendant à la réparation de son préjudice économique évalué à 39 020,69 euros ;
En ce qui concerne le préjudice dit d'incidence professionnelle :
Considérant que le préjudice qualifié d'incidence professionnelle par l'intéressé correspond ainsi qu'il a été dit à la réparation des sentiments de dévalorisation et de perte d'estime de soi qu'il a ressentis du fait de la cessation de toute activité professionnelle ; que ce chef de préjudice doit être regardé comme consistant en un préjudice né de troubles dans les conditions d'existence de l'intéressé et un préjudice moral, consécutifs au choix, auquel ce dernier estime avoir été contraint, de bénéficier de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité du fait de la carence fautive susmentionnée de son employeur ; qu'ainsi qu'il a été dit s'agissant du préjudice économique, un tel choix ne peut être regardé comme contraint ; qu'il s'ensuit que le préjudice qualifié d'incidence professionnelle ne présente pas un lien de causalité direct et certain avec la carence fautive invoquée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande indemnitaire tendant à la réparation d'une incidence professionnelle, évaluée à 30 000 euros en première instance et portée à 45 000 euros en appel ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la partie intimée, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à l'appelant la somme qu'il demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête n° 11MA00738 de M. A est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Louis A et au ministre de la défense.
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N° 11MA00738 2