Conseil d'État, 7ème sous-section jugeant seule, 16/10/2013, 352785, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision16 octobre 2013
Num352785
Juridiction
Formation 7ème sous-section jugeant seule
RapporteurM. Arno Klarsfeld
CommissaireM. Bertrand Dacosta
AvocatsSCP FABIANI, LUC-THALER

Vu le pourvoi et les mémoires complémentaires, enregistrés les 5 janvier 2009, 20 septembre 2011 et 6 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme C...D..., néeB..., demeurant... ; Mme D...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0700211 du 19 septembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 octobre 2006 du ministre de la défense rejetant sa demande tendant au bénéfice d'une pension de réversion du chef de son époux décédé le 19 mars 1999 ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler la décision du 12 octobre 2006 du ministre de la défense et de condamner l'Etat à lui verser une pension de réversion ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 800 euros à verser à la SCP Fabiani-Luc-Thaler, son avocat, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 62 ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;

Vu la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 du Conseil constitutionnel ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arno Klarsfeld, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de Mme D...;



Sur le pourvoi de MmeD... :

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeD..., néeB..., a demandé le 13 octobre 2005 à l'administration le bénéfice d'une pension de réversion à la suite du décès, le 19 mars 1999, de son époux M. A...D..., ressortissant marocain, ancien militaire de l'armée française, titulaire d'une pension militaire de retraite après sa radiation des cadres le 17 juillet 1942 ; que le bénéfice de cette pension lui a été refusé par la décision du 12 octobre 2006 du ministre de la défense au motif que la condition d'antériorité posée à l'article L. 64 du code des pensions civiles et militaires de retraite issu de la loi du 20 septembre 1948 et alors applicable à son cas, n'était pas satisfaite ; que le tribunal administratif de Poitiers, saisi par MmeD..., a, par jugement du 19 septembre 2008, rejeté sa demande d'annulation de cette décision ; que Mme D...se pourvoit à l'encontre de ce jugement ;

2. Considérant que par sa décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002, à l'exception de celles de son paragraphe VII ; qu'à la suite de cette décision, l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a défini de nouvelles dispositions pour le calcul des pensions militaires d'invalidité, des pensions civiles et militaires de retraite et des retraites du combattant servies aux ressortissants des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, et abrogé plusieurs dispositions législatives, notamment celles de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960 ; que, par ailleurs, son paragraphe VI prévoit que ces nouvelles dispositions sont applicables " aux instances en cours à la date du 28 mai 2010, la révision des pensions prenant effet à compter de la date de réception par l'administration de la demande qui est à l'origine de ces instances " ; qu'enfin, aux termes du XI du même article : " Le présent article entre en vigueur au 1er janvier 2011 " ;

3. Considérant que le Conseil constitutionnel a jugé qu'il appartenait au législateur de prévoir une application aux instances en cours à la date de sa décision des dispositions qu'il adopterait en vue de remédier à l'inconstitutionnalité constatée ; que l'article 211 de la loi de finances pour 2011 ne se borne pas à déterminer les règles de calcul des pensions servies aux personnes qu'il mentionne, mais abroge aussi des dispositions qui définissent, notamment, les conditions dans lesquelles est ouvert le droit à une pension de réversion ; qu'ainsi, alors même qu'il mentionne seulement la " révision des pensions ", le paragraphe VI de l'article 211 précité doit être regardé comme s'appliquant aussi aux demandes de pension de réversion ;

4. Considérant que, pour statuer sur la demande de pension de réversion présentée par Mme D...par le jugement attaqué du 19 septembre 2008, le tribunal administratif de Poitiers s'est exclusivement fondé sur les dispositions de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 ; qu'afin de préserver l'effet utile de la décision du Conseil constitutionnel à la solution de l'instance ouverte par la demande de Mme D..., en permettant au juge du fond de remettre en cause, dans les conditions et limites définies par le paragraphe VI de l'article 211 de la loi de finances pour 2011, les effets produits par les dispositions mentionnées ci-dessus, il incombe au juge de cassation d'annuler, sans qu'il soit besoin pour lui d'examiner les moyens du pourvoi dont il est saisi, le jugement attaqué en tant qu'il a statué sur la pension de réversion de Mme D...;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 et celles de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, qui définissaient, à la date de la décision attaquée, les conditions dans lesquelles un droit à pension de réversion était ouvert à la veuve d'un ayant droit étranger, ont été abrogées à compter du 1er janvier 2011, les premières par l'article 211 de la loi de finances pour 2011, les secondes par la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010 ; qu'en application du VI de l'article 211 de la loi de finances pour 2011, dont la portée a été précisée ci-dessus, il y a lieu d'écarter ces dispositions législatives pour statuer sur le droit à pension de réversion de Mme D... à compter de la date de réception de sa demande par l'administration, soit à compter du 13 octobre 2005 ;

7. Considérant d'une part, que l'article 211 de la loi de finances pour 2011 n'ayant substitué aucune disposition nouvelle à celles qui doivent ainsi être écartées pour définir les conditions dans lesquelles un droit à pension de réversion est ouvert à la veuve d'un ayant droit étranger, il y a lieu de faire application des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite relatives aux pensions des ayants cause applicables à la date du décès de l'ayant droit ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 39 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction en vigueur le 19 mars 1999 : " Le droit à pension de veuve est subordonné à la condition : / a) Si le mari a obtenu ou pouvait obtenir une pension accordée dans le cas prévu à l'article L. 4 (1°), que depuis la date du mariage jusqu'à celle de la cessation de l'activité du mari, celui-ci ait accompli deux années au moins de services valables pour la retraite, sauf si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage antérieur à ladite cessation ; (...) / Nonobstant les conditions d'antériorité prévues ci-dessus, le droit à pension de veuve est reconnu : / 1° Si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage ; / 2° Ou si le mariage, antérieur ou postérieur à la cessation de l'activité, a duré au moins quatre années " ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté que six enfants sont issus du mariage des épouxD... ; que MmeD..., qui remplit les conditions prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite pour l'obtention d'une pension de veuve est ainsi fondée à demander l'annulation de la décision prise par le ministre de la défense le 12 mars 2006 et à bénéficier d'une telle pension à compter du 13 octobre 2005, date de réception de sa demande par l'administration ;

10. Considérant, d'autre part, que l'article 211 de la loi de finances pour 2011 prévoit de nouvelles règles pour le calcul du montant des pensions des personnes qu'il mentionne ; que ces règles sont applicables pour le calcul de la pension de Mme D... à compter du 13 octobre 2005 ; qu'il appartient en conséquence au ministre de la défense de liquider la pension de Mme D...selon les modalités de la présente décision à compter de cette date ;

11. Considérant que Mme D...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 800 euros que la SCI Fabiani-Luc-Thaler demande à ce titre, sous réserve que cette SCP renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ;




D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 19 septembre 2008 est annulé.
Article 2 : La décision du ministre de la défense du 12 octobre 2006 est annulée.
Article 3 : L'Etat versera à Mme D...une pension de réversion du chef de son époux à compter du 13 octobre 2005 dans les conditions fixées par la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à la SCP Fabiani-Luc-Thaler, avocat de MmeD..., une somme de 2 800 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette SCP renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme C...D..., néeB..., au ministre de l'économie et des finances et au ministre de la défense.

ECLI:FR:CESJS:2013:352785.20131016