Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre , 31/12/2013, 12PA04864, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 31 décembre 2013 |
Num | 12PA04864 |
Juridiction | Paris |
Formation | 1ère chambre |
President | Mme VETTRAINO |
Rapporteur | M. Yves BERGERET |
Commissaire | Mme BONNEAU-MATHELOT |
Avocats | NEUFFER |
Vu le recours, enregistré le 11 décembre 2012, présenté par le ministre de la défense ; le ministre de la défense demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1200072-1 du 11 septembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française, faisant partiellement droit à la demande de
M. C...B..., l'a condamné à verser à celui-ci une somme de 500 000 F CFP en réparation d'un " préjudice d'anxiété " ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...au Tribunal administratif de la Polynésie française ;
.....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
Vu la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;
Vu la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et notamment son article 41 ;
Vu la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 et notamment son article 53 ;
Vu le décret du 26 février 1897 modifié relatif à la situation du personnel civil d'exploitation des établissements militaires ;
Vu le décret du 1er avril 1920 modifié relatif au statut du personnel ouvrier des arsenaux et établissements de la marine ;
Vu le décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante ;
Vu le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 modifié relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;
Vu le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 relatif au A...d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, notamment son chapitre II relatif à la procédure d'indemnisation des victimes de l'amiante et aux décisions duA... ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 décembre 2013 :
- le rapport de M. Bergeret, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Bonneau-Mathelot, rapporteur public ;
1. Considérant que M.B..., ouvrier de l'Etat depuis l'année 1971, affecté en dernier lieu à l'atelier militaire de la flotte de Papeete et bénéficiant depuis le 3 octobre 2009 de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, a présenté le 5 avril 2011 au Haut-commissaire de la Polynésie française une demande indemnitaire tendant à la réparation des préjudices représentés par les pertes de revenus, les répercussions professionnelles et le préjudice d'anxiété qu'il soutenait avoir subis en conséquence de la carence fautive de l'Etat, qui l'a exposé à l'inhalation de poussières d'amiante tout au long de sa carrière de charpentier-tôlier en construction navale ; qu'en l'absence de réponse, il a saisi le Tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande de condamnation de l'Etat à hauteur de 5 400 000 francs CFP ; que par jugement du 11 septembre 2012, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté, pour défaut de lien causal, la demande en tant qu'elle tendait à la réparation des préjudices économiques et " d'incidence professionnelle " invoqués, et y a fait droit, à hauteur de 500 000 francs CFP, en ce qui concerne le préjudice d'anxiété ; que le ministre de la défense relève appel, dans cette mesure, de ce jugement ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité du recours ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 53 de la loi susvisée n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 : " I -Peuvent obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices : 1° Les personnes qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité ; 2° Les personnes qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire de la République française (...). II - Il est créé, sous le nom de " A...d'indemnisation des victimes de l'amiante ", un établissement public national à caractère administratif [qui] a pour mission de réparer les préjudices définis au I du présent article (...). III - Le demandeur justifie de l'exposition à l'amiante et de l'atteinte à l'état de santé de la victime. Le demandeur informe le A...des autres procédures relatives à l'indemnisation des préjudices définis au I éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, il informe le juge de la saisine duA.... Si la maladie est susceptible d'avoir une origine professionnelle et en l'absence de déclaration préalable par la victime, le A...transmet sans délai le dossier à l'organisme concerné au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité. Cette transmission vaut déclaration de maladie professionnelle. (...) IV - Dans les six mois à compter de la réception d'une demande d'indemnisation, le A...présente au demandeur une offre d'indemnisation (...) Le A...présente une offre d'indemnisation nonobstant l'absence de consolidation (...) L'acceptation de l'offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l'action en justice prévue au V vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice. Il en va de même des décisions juridictionnelles devenues définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l'exposition à l'amiante. V - Le demandeur ne dispose du droit d'action en justice contre le A...d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du IV ou s'il n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur. VI - Le A...est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Le A...intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d'appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices (...). Les dispositions de l'alinéa précèdent ne remettent pas en cause la compétence juridictionnelle pour connaître, en appel ou en cassation, des décisions rendues avant la date de publication du décret mentionné au X du présent article par les commissions instituées par l'article 706-4 du code de procédure pénale. IX - Les demandes d'indemnisation des préjudices causés par l'exposition à l'amiante en cours d'instruction devant les commissions instituées par l'article 706-4 du code de procédure pénale à la date de publication du décret mentionné au X sont transmises au A...d'indemnisation des victimes de l'amiante. Les provisions allouées en application du dernier alinéa de l'article 706-6 du code de procédure pénale sont remboursées par le A...d'indemnisation des victimes de l'amiante au A...de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions. X - Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 41 de la loi n° 98-1194 susvisée du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 : " I. - Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif ; / 2° Avoir atteint un âge déterminé, qui pourra varier en fonction de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1° sans pouvoir être inférieur à cinquante ans ; / 3° S'agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat : " Une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements ou parties d'établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale, pendant des périodes fixées dans les mêmes conditions, au cours desquelles étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; / 2° Avoir exercé, pendant les périodes mentionnées au 1°, une profession figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale ; / 3° Avoir atteint l'âge prévu à l'article 3. / Les ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui travaillent ou ont travaillé dans des établissements ou parties d'établissements mentionnés au premier alinéa situés à Mayotte, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ou dans certaines bases françaises en territoire étranger peuvent également bénéficier des dispositions du présent décret dans les conditions prévues aux alinéas précédents " ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il est constant que M.B..., qui n'a pas déclaré de maladie professionnelle pouvant résulter de son exposition à l'amiante, n'a présenté aucune demande auprès du A...d'indemnisation des victimes de l'amiante en application des dispositions précitées de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000, qui instituent un régime global d'indemnisation faisant obstacle, dès lors qu'il est mis en oeuvre, à toute autre demande de réparation des préjudices résultant de l'exposition à l'amiante ; que la circonstance qu'il a en revanche, sur sa demande, bénéficié à compter du 3 octobre 2009 de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, en application des dispositions précitées de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et de l'article 1er du décret du 21 décembre 2001, ne saurait faire obstacle, en elle-même, à l'indemnisation du préjudice d'anxiété actuel dont il se prévaut en conséquence de la carence fautive de l'Etat, non contestée, représentée par la circonstance qu'il a été, au cours de sa carrière, exposé aux poussières d'amiante et qu'il peut de ce fait entretenir des craintes légitimes de déclarer une grave maladie pulmonaire en conséquence de cette exposition ; qu'il résulte en effet des dispositions précitées de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, éclairées par les débats parlementaires, que le dispositif de l'allocation spécifique anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante a été mis en place, non dans le but d'indemniser intégralement ces travailleurs des conséquences dommageables de leur période passée d'exposition aux poussières d'amiante, mais aux fins, essentiellement, de compenser la baisse statistiquement significative de l'espérance de vie résultant de cette exposition ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui est dit ci-dessus que le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que la demande de M.B..., en tant qu'elle concerne la réparation du préjudice d'anxiété actuellement subi, tendrait à l'obtention de l'indemnisation d'un préjudice par ailleurs déjà pris en compte dans le cadre d'un régime général d'indemnisation des préjudices subis par les travailleurs ayant été exposés à l'amiante ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'est établi de façon statistiquement significative le lien entre une exposition suffisamment longue d'un travailleur aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie, et que la reconnaissance de ce lien statistique par le législateur a justifié la mise en place des deux dispositifs d'indemnisation précités, fondés sur la solidarité nationale, résultant de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 et de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ; que dans ces conditions, alors même que M. B... n'allègue pas que le " préjudice d'anxiété " objet du présent litige donne lieu, dans son cas, à un état anxio-dépressif majeur ou à des manifestations pathologiques d'angoisse, la réalité du préjudice ainsi invoqué doit être admise dès lors qu'il n'est pas sérieusement contesté que l'intéressé, qui a travaillé de 1971 à 2009 dans des conditions l'exposant fréquemment aux poussières d'amiante, peut s'attendre à développer l'une des pathologies graves dont sont atteints, selon ses dires non démentis, ses collègues de promotion qui n'en sont pas décédés ;
7. Considérant que dans ces conditions et compte tenu de l'importance du risque ainsi encouru de manière certaine, les premiers juges ont fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en fixant à 500 000 francs CFP le montant de la réparation due par l'Etat pour le préjudice d'anxiété subi par M.B... ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du ministre de la défense est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. B...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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