Cour administrative d'appel de Paris, 5ème Chambre, 05/06/2014, 12PA00579, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision05 juin 2014
Num12PA00579
JuridictionParis
Formation5ème Chambre
PresidentMme COIFFET
RapporteurMme Valerie COIFFET
CommissaireMme DHIVER
AvocatsS.E.L.A.F.A. CABINET CASSEL

Vu la requête, enregistrée par télécopie le 31 janvier 2012, régularisée le 1er février 2012 par la production de l'original, présentée pour M. A... B..., demeurant..., par Me Calais, avocat ; M. B... demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°0920959/5-2 du 1er décembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné France Télécom à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'illégalité de la décision de France Télécom de le placer à la retraite d'office pour invalidité à compter du 31 décembre 2008 ;

2°) de condamner France Télécom à lui verser la somme de 90 000 euros assortie des intérêts de droit à compter de la demande préalable ;

3°) de mettre à la charge de France Télécom le versement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

...............................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu le décret n°84-1051 du 30 novembre 1984 pris en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'état en vue de faciliter le reclassement des fonctionnaires de l'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 mai 2014 :

- le rapport de Mme Coiffet, président,

- et les conclusions de Mme Dhiver, rapporteur public ;

1. Considérant qu'à la suite de l'accident vasculaire cérébral dont il a été victime en 2004, M. B..., fonctionnaire de France Télécom, a été placé en congé de longue maladie durant une période de trois ans ; qu'il a bénéficié lors de sa réintégration d'un emploi à mi-temps thérapeutique du 11 juillet 2007 au 10 octobre 2007, puis a de nouveau été placé en congé de maladie du 1er septembre 2007 au 31 août 2008 ; que le comité médical appelé à examiner son dossier a, par un avis du 6 décembre 2007, constaté son inaptitude définitive et fixé un taux d'invalidité de 70% ; que, par un avis du 25 septembre 2008, le comité médical a confirmé l'inaptitude totale et définitive de M. B... à l'exercice de ses fonctions ; que, placé en disponibilité d'office pour maladie du 1er septembre 2008 au 30 décembre 2008, l'intéressé a, par une décision du 27 novembre 2008, été admis à faire valoir ses droits à la retraite en raison de son invalidité à compter du 31 décembre suivant ; qu'il a, le 20 octobre 2009, adressé à son employeur une demande préalable en vue d'obtenir l'indemnisation, à concurrence de la somme de 90 000 euros, des préjudices matériel et moral qu'il estimait avoir subis du fait de la décision le plaçant irrégulièrement, selon lui, à la retraite ; que France Télécom n'a pas donné suite à cette demande ; que M. B... fait appel du jugement susvisé du 1er décembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris, après avoir considéré que la décision en cause était entachée d'illégalité et que cette illégalité était de nature à engager la responsabilité de France Télécom, a condamné cette dernière à lui verser une somme de 15 000 euros à titre d'indemnisation ; que la requête de M. B... doit être regardée comme tendant à la réformation de ce jugement en tant qu'il a limité à la somme de 15 000 euros le montant de l'indemnité mise à la charge de France Télécom ;

2. Considérant que, pour juger que la décision de mise à la retraite pour invalidité de M. B... était entachée d'illégalité, le tribunal a relevé d'une part, qu'elle n'avait pas été précédée de la consultation de la commission de réforme, en méconnaissance des dispositions des articles L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 13 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 et d'autre part, que l'administration avait méconnu son obligation de reclassement telle que définie par les articles 63 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 et 1 et 2 du décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984 ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office (...). L'intéressé a droit à la pension rémunérant les services, sous réserve que ses blessures ou maladies aient été contractées ou aggravées au cours d'une période durant laquelle il acquérait des droits à pension. " ; qu'aux termes de l'article L. 24 du même code : " La liquidation de la pension intervient : (...) 2° Lorsque le fonctionnaire est mis à la retraite pour invalidité et qu'il n'a pas pu être reclassé dans un emploi compatible avec son état de santé " ; et qu'aux termes de l'article L. 31 du même code : " La réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions sont appréciés par une commission de réforme selon des modalités qui sont fixées par un décret en Conseil d'Etat (..)" ;

4. Considérant que M. B...a été radié des cadres et admis à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité à compter du 31 décembre 2008 sur le fondement de l'article L. 29 et du 2° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; qu'il résulte de l'instruction que France Télécom n'a pas saisi la commission de réforme avant de prononcer la mise à la retraite d'office pour invalidité de M. B..., qui avait pourtant été déclaré à deux reprises inapte totalement et définitivement à l'exercice de ses fonctions par le comité médical saisi de son dossier ; que, par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que la décision en litige avait été prise au terme d'une procédure irrégulière ;

5. Considérant en second lieu, qu'aux termes de l'article 63 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 : " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. En vue de permettre ce reclassement, l'accès à des corps d'un niveau supérieur, équivalent ou inférieur est ouvert aux intéressés, quelle que soit la position dans laquelle ils se trouvent, selon les modalités retenues par les statuts particuliers de ces corps, en exécution de l'article 26 ci-dessus et nonobstant les limites d'âge supérieures, s'ils remplissent les conditions d'ancienneté fixées par ces statuts. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles le reclassement, qui est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé, peut intervenir. Il peut être procédé au reclassement des fonctionnaires mentionnés à l'alinéa premier du présent article par la voie du détachement dans un corps de niveau équivalent ou inférieur. Dès qu'il s'est écoulé une période d'un an, les fonctionnaires détachés dans ces conditions peuvent demander leur intégration dans le corps de détachement " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 30 novembre 1984 : " Lorsqu'un fonctionnaire n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions, de façon temporaire ou permanente, et si les nécessités du service ne permettent pas un aménagement des conditions de travail, l'administration, après avis du médecin de prévention, dans l'hypothèse où l'état de ce fonctionnaire n'a pas rendu nécessaire l'octroi d'un congé de maladie, ou du comité médical si un tel congé a été accordé, peut affecter ce fonctionnaire dans un emploi de son grade, dans lequel les conditions de service sont de nature à permettre à l'intéressé d'assurer les fonctions correspondantes " ; qu'aux termes de l'article 2 de ce décret : " Dans le cas où l'état physique d'un fonctionnaire, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas de remplir les fonctions correspondant aux emplois de son grade, l'administration, après avis du comité médical, invite l'intéressé à présenter une demande de reclassement dans un emploi d'un autre corps " ; qu'aux termes de l'article 3 du même décret : " Le fonctionnaire qui a présenté une demande de reclassement dans un autre corps doit se voir proposer par l'administration plusieurs emplois pouvant être pourvus par la voie du détachement. " ;

6. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que, lorsqu'un fonctionnaire est reconnu, par suite de l'altération de son état physique, inapte à l'exercice de ses fonctions, il incombe à l'administration de rechercher si le poste occupé par ce fonctionnaire ne peut être adapté à son état physique ou, à défaut, de lui proposer une affectation dans un autre emploi de son grade compatible avec son état de santé ; que, si le poste ne peut être adapté ou si l'agent ne peut être affecté dans un autre emploi de son grade, il incombe à l'administration de l'inviter à présenter une demande de reclassement dans un emploi d'un autre corps ; qu'il n'en va autrement que si l'état de santé du fonctionnaire le rend totalement inapte à l'exercice de toute fonction administrative ;

7. Considérant que si, dans ses deux avis des 6 décembre 2007 et 25 septembre 2008, le comité médical a déclaré M. B...inapte définitivement à l'exercice de ses fonctions et a fixé le taux d'invalidité à 70%, il ne résulte pas de l'instruction que son état de santé le rendait inapte à l'exercice de toute fonction administrative ; que, dans ces conditions, son employeur était tenu, avant de prononcer, le cas échéant, sa mise à la retraite pour invalidité, et alors qu'il n'est pas allégué que son état physique ne permettait aucun reclassement, de l'inviter à présenter une demande de détachement ou de reclassement dans les conditions fixées par les dispositions précitées ; qu'il résulte de l'instruction que France Télécom n'a pas examiné les possibilités de réintégrer M. B... sur un poste adapté, ni ne l'a invité à présenter une demande de reclassement dans un autre corps ; qu'elle a ainsi méconnu son obligation de reclassement ; que la circonstance que M. B..., induit en erreur par son administration qui, par une lettre du 18 décembre 2007 lui a transmis le second avis du comité médical ainsi qu'un dossier de retraite en lui demandant de le retourner le plus rapidement possible, a rempli et signé un formulaire de demande d'admission à la retraite pour invalidité non imputable au service, n'est pas de nature à justifier le manquement de France Télécom à ses obligations ; que, par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que la décision plaçant M. B...à la retraite pour invalidité était entachée d'illégalité et que cette illégalité constituait une faute de nature à engager la responsabilité de France Télécom ;

8. Considérant que les premiers juges ont accordé à M.B..., qui se prévalait de la perte de chance d'avoir pu bénéficier d'un reclassement dans un emploi adapté à ses capacités et d'être maintenu en activité jusqu'à la date légale de sa retraite, une indemnité de 10 000 euros ; que si le requérant conteste le montant de cette indemnité en faisant valoir qu'il aurait dû être indemnisé de la perte de salaire résultant de sa mise à la retraite prématurée, il ne résulte pas de l'instruction que, compte tenu de son état de santé, de son taux d'invalidité fixé à 70%, de l'étendue de ses capacités et des postes susceptibles de lui être proposés, son reclassement dans un emploi à plein temps était sérieusement envisageable ; qu'en revanche, M.B..., dont le médecin traitant avait au cours de l'année 2008 indiqué qu'il pouvait travailler à mi-temps, a perdu une chance sérieuse d'être reclassé dans un emploi à mi-temps ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier d'appel, que, durant la période d'indemnisation en litige, M. B...a perçu une pension de retraite ainsi que des rémunérations de la ville de Paris et qu'il n'a pas subi de perte de revenus d'un montant supérieur à celui de l'indemnité allouée par les premiers juges ; qu'enfin, c'est par une juste appréciation du préjudice moral subi par M. B..., qui se plaint d'avoir été mis à l'écart par son employeur du fait de son invalidité, que les premiers juges ont fixé à 5 000 euros le montant de l'indemnisation devant lui être allouée à ce titre ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander la réformation du jugement attaqué du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il aurait retenu une indemnisation insuffisante des préjudices qu'il a subis du fait de la décision de France Télécom le mettant à la retraite pour invalidité ;

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de France Télécom, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. B...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par France Télécom sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de France Télécom tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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