Conseil d'État, 5ème / 4ème SSR, 01/10/2014, 362482

Information de la jurisprudence
Date de décision01 octobre 2014
Num362482
Juridiction
Formation5ème / 4ème SSR
RapporteurM. Jean-Dominique Langlais
CommissaireMme Fabienne Lambolez
AvocatsSCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS


Vu le pourvoi, enregistré le 5 septembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement n° 1100083 du 11 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, à la demande de Mme D...B...et de Mme A...B..., a, d'une part, annulé la décision du 24 décembre 2010 du préfet délégué de la zone de défense et de sécurité du sud-ouest refusant de reconnaître l'imputabilité au service du décès de M. C...B...et, d'autre part, enjoint à l'administration de réexaminer la demande des consorts B...dans un délai de deux mois ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 92-604 du 1er juillet 1992 ;

Vu le décret n° 95-1197 du 6 novembre 1995 ;

Vu l'arrêté du 30 décembre 2005 portant déconcentration en matière de gestion des fonctionnaires actifs de la police nationale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de Mme D...B...et de Mme A...B... ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... B..., fonctionnaire de police, a mis fin à ses jours le 15 juillet 2004 ; que Mme D...B..., son épouse, et Mme A...B..., sa fille, ont demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de son décès au titre de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, afin de bénéficier, conformément à l'article L. 38 de ce code, de la réversion partielle de la rente viagère d'invalidité prévue à l'article L. 28 ; que la commission de réforme réunie le 17 avril 2007 a émis un avis négatif au vu duquel le préfet délégué de la zone de défense et de sécurité du sud-ouest a pris, le 1er juin 2007, un arrêté refusant de reconnaître l'imputabilité au service du décès de M.B..., arrêté qu'il a toutefois retiré le 4 novembre 2010 ; que la commission de réforme, à nouveau réunie le 14 décembre 2010, a émis un second avis négatif au vu duquel le préfet délégué de la zone de défense et de sécurité a opposé à Mme D...B...et à Mme A...B...un nouveau refus le 24 décembre 2010 ; que le tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision par un jugement du 11 juillet 2012 contre lequel le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation ;

2. Considérant que, saisi d'un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle se fondant, pour prononcer l'annulation d'un acte administratif, sur plusieurs motifs dont l'un est erroné, le juge de cassation doit, si l'un des moyens reconnus comme fondés par cette décision en justifie légalement le dispositif, rejeter le pourvoi, sous réserve du cas où la décision qui lui est déférée aurait été rendue dans des conditions irrégulières ; que, toutefois, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, le juge de cassation ne saurait, sauf à méconnaître son office, prononcer ce rejet sans avoir, au préalable, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " La réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions sont appréciés par une commission de réforme selon des modalités qui sont fixées par décret en Conseil d'Etat. / Le pouvoir de décision appartient, dans tous les cas, au ministre dont relève l'agent et au ministre des finances " ; que, d'une part, si ces dispositions impliquent que la reconnaissance de l'imputabilité au service ne peut résulter que d'une décision émanant des deux ministres qu'elles désignent, elles ne font pas obstacle à ce que le ministre dont relève l'agent rejette seul une demande de reconnaissance de l'imputabilité au service, un tel refus ne se traduisant pas par une charge pour l'Etat et n'appelant pas une décision prise conjointement avec le ministre des finances ; que, d'autre part, il est loisible au pouvoir réglementaire d'autoriser le ministre intéressé à déléguer à une autorité déconcentrée sa compétence pour se prononcer sur l'imputabilité au service ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 6 novembre 1995 portant déconcentration en matière de gestion des personnels de la police nationale : " Le recrutement et la gestion des personnels actifs (...) de la police nationale peuvent, dans les conditions prévues au présent décret, être délégués, par arrêté du ministre de l'intérieur, aux préfets sous l'autorité desquels sont placés les secrétariats généraux pour l'administration de la police (...) " ; qu'en vertu de l'article 1er de l'arrêté du 30 décembre 2005 portant déconcentration en matière de gestion des fonctionnaires actifs de la police nationale, le ministre de l'intérieur a délégué, pour l'ensemble des corps des fonctionnaires actifs de la police nationale, aux préfets sous l'autorité desquels sont placés les secrétariats généraux pour l'administration de la police le pouvoir de prendre les décisions concernant, notamment, " l'imputation au service des maladies ou accidents " ; que, dès lors, en jugeant que le préfet de la zone de défense et de sécurité du sud-ouest n'était pas compétent pour rejeter la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service du suicide de M. B..., le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que l'administration avait produit devant le tribunal administratif l'arrêté du 14 décembre 2010 par lequel le préfet de la zone de sécurité et de défense du sud-ouest a délégué sa signature au secrétaire général adjoint du secrétariat général pour l'administration de la police du sud-ouest, signataire de la décision attaquée, pour prendre tous actes et décisions, notamment, " en matière de recrutement et de gestion des personnels actifs du ministère de l'intérieur " ; que le tribunal administratif s'est mépris sur la portée de cet arrêté en jugeant que la délégation de signature ne concernait que les actes relatifs au patrimoine immobilier domanial de la gendarmerie et en accueillant, en conséquence, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision litigieuse ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du sixième alinéa de l'article R. 49 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le fonctionnaire sur la demande duquel la commission de réforme se prononce " est invité à prendre connaissance personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant de la partie administrative de son dossier et, éventuellement, des conclusions des rapports établis par les médecins agréés.... " ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la convocation à la réunion du 14 décembre 2010 adressée par l'administration à Mme D...B...et Mme A...B...ne comportait pas une telle invitation ; que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est toutefois de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie ; qu'en omettant de rechercher si, en l'espèce, la méconnaissance de la formalité en cause avait été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise ou avait privé les intéressées d'une garantie, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

7. Mais considérant que c'est par une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, que le tribunal administratif a estimé que la décision du 24 décembre 2010 était insuffisamment motivée, faute d'énoncer les considérations de droit sur lesquelles elle se fondait ; qu'il n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que cette insuffisance de motivation entachait la décision d'illégalité, la circonstance que Mme D...B...avait pu assister à la réunion de la commission de réforme du 14 décembre 2010 et avait eu communication des procès-verbaux des réunions de cette commission - lesquels, en tout état de cause, ne visaient eux-mêmes aucun des textes applicables - étant dépourvue d'incidence à cet égard ; que ce seul motif justifiait l'annulation de la décision litigieuse ; qu'il suit de là que le pourvoi du ministre de l'intérieur doit être rejeté ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux consorts B...d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'intérieur est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à Mme D...B...et à Mme A...B...la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur, à Mme D...B...et à Mme A...B....


ECLI:FR:CESSR:2014:362482.20141001