Conseil d'État, 10ème - 9ème SSR, 30/12/2015, 373400, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et cinq autres mémoires, enregistrés le 21 novembre 2013, les 21 février, 4 août, 26 novembre et 2 décembre 2014 et les 19 mai et 14 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité Harkis et Vérité demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-834 du 17 septembre 2013 instituant des mesures en faveur des membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie et de leurs familles ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 28 mai 2009 du président de la Mission interministérielle aux rapatriés ;
3°) d'annuler pour excès de pouvoir les instructions adressées à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre et aux préfets concernant l'examen des demandes de droit à l'allocation de reconnaissance après l'intervention de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-93 QPC du 4 février 2011 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 ;
- le décret n° 2002-1479 du 20 décembre 2002 ;
- la décision n° 373400 du 6 mars 2015 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Comité Harkis et Vérité ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jacques Reiller, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
Sur les conclusions relatives au décret du 17 septembre 2013 :
1. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ;
2. Considérant que le décret attaqué crée plusieurs aides à la formation professionnelle, en en réservant le bénéfice aux enfants des membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie ; que la différence de traitement ainsi prévue en faveur de ces derniers ne peut être regardée comme en rapport direct avec l'objet d'une réglementation destinée à compenser des difficultés particulières d'accès au marché du travail ; que cette dérogation au principe d'égalité n'est par ailleurs justifiée par aucune raison d'intérêt général ; que, dès lors, ainsi que le soutient l'association requérante, le décret attaqué méconnaît le principe d'égalité ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête sur ce point, ses articles 1er et 2 doivent être annulés ;
3. Considérant, en revanche, que les articles 3, 4 et 5 du décret attaqué ont pour seul objet d'instituer des concours financiers en faveur des associations de membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie et d'en fixer les critères d'attribution ; qu'ils ne portent atteinte, par eux-mêmes, ni à la liberté d'association ni à la liberté d'expression ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le Comité Harkis et Vérité est seulement fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du décret qu'il attaque ;
Sur les conclusions relatives à la circulaire du 28 mai 2009 du président de la Mission interministérielle aux rapatriés :
5. Considérant que le Comité Harkis et Vérité soutient notamment que la circulaire du 28 mai 2009 du président de la Mission interministérielle aux rapatriés relative aux modalités d'application de la décision n° 282390 du 6 avril 2007 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé les dispositions du décret du 17 mai 2005 prises pour application des articles 6 et 9 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés, précise illégalement que l'attribution de l'allocation de reconnaissance est subordonnée à l'appartenance au statut civil de droit local ; que, par sa décision du 6 mars 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, qui n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Comité Harkis et Vérité, a jugé que les dispositions attaquées de cette circulaire, qui rappellent les dispositions de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 abrogées par la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-93 QPC du 4 février 2011, sont devenues caduques à la suite de cette abrogation ; qu'ainsi, les conclusions du Comité Harkis et Vérité tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette circulaire sont irrecevables ;
Sur les conclusions relatives aux instructions adressées à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre et aux préfets pour l'examen des demandes de droit à l'allocation de reconnaissance après la décision n° 2010-93 QPC du Conseil constitutionnel :
6. Considérant que, malgré l'invitation à régulariser sa requête, qui lui a été adressée le 14 janvier 2014 par le secrétariat de la 10ème sous-section du contentieux, le Comité Harkis et Vérité n'a pas produit les décisions attaquées ; qu'il n'a pas assorti ses conclusions des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ; que, par suite, ces conclusions sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande à ce titre le Comité Harkis et Vérité ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 du décret n° 2013-834 du 17 septembre 2013 sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3: La présente décision sera notifiée au Comité Harkis et Vérité, au Premier ministre, au ministre de la défense et au président de la Mission interministérielle aux rapatriés.