Conseil d'État, 8ème SSJS, 06/01/2016, 383266, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
M. A...B...a demandé au tribunal des pensions de Bastia de revaloriser sa pension militaire d'invalidité, calculée au taux du grade d'adjudant-chef de l'armée de terre sur la base de l'indice du grade équivalent pratiqué pour les personnels de la Marine nationale, à compter de la date de sa demande, avec la prescription d'arrérages prévue par les dispositions de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par un jugement n° 12-00028 du 6 mai 2013, le tribunal des pensions a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 13/00194 du 26 mai 2014, la cour régionale des pensions de Bastia a rejeté l'appel formé par le ministre de la défense contre ce jugement.
Par un pourvoi, enregistré le 30 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la défense demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 59-327 du 20 février 1959, notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,
- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de M. B...;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a demandé le 2 septembre 2010 au ministre de la défense de recalculer la pension militaire d'invalidité qui lui avait été concédée à titre définitif par un arrêté du 1er octobre 2007 en fonction de l'indice du grade équivalent, plus favorable, pratiqué pour les personnels de la marine nationale ; que, par une lettre du 14 septembre 2010, le ministre lui a indiqué qu'il recherchait les moyens de donner une suite à sa demande et qu'il en serait tenu informé ; qu'en l'absence de réponse, M. B...a saisi le 19 juillet 2012 le tribunal des pensions de Bastia d'une demande tendant à l'annulation de la décision de rejet qui lui avait été implicitement opposée ; que le ministre se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour régionale des pensions de Bastia qui a confirmé le jugement du tribunal des pensions ayant fait droit à la demande de M. B... ;
2. Considérant qu'en se bornant à relever qu'une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 12 mars 2010 a rejeté le pourvoi de l'administration contre un arrêt de la cour régionale des pensions de Poitiers du 13 janvier 2009 pour écarter la fin de non-recevoir opposée par le ministre à la demande présentée par M.B..., sans répondre à l'argumentation du ministre et sans indiquer le texte ou la règle de droit dont elle faisait application et les circonstances de fait qui pouvaient justifier une analogie avec cette décision, la cour régionale des pensions a insuffisamment motivé son arrêt ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, le ministre est fondé à en demander l'annulation ;
3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Les pensions militaires prévues par le présent code sont liquidées et concédées (...) par le ministre des anciens combattants et des victimes de guerre ou par les fonctionnaires qu'il délègue à cet effet. Les décisions de rejet des demandes de pension sont prises dans la même forme " ; qu'en vertu de l'article 5 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, l'intéressé dispose d'un délai de six mois pour contester, devant le tribunal départemental des pensions, la décision prise sur ce fondement ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 78 du même code : " Les pensions définitives ou temporaires attribuées au titre du présent code peuvent être révisées dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'une erreur matérielle de liquidation a été commise. / 2° Lorsque les énonciations des actes ou des pièces sur le vu desquels l'arrêté de concession a été rendu sont reconnues inexactes soit en ce qui concerne le grade, le décès ou le genre du mort, soit en ce qui concerne l'état des services, soit en ce qui concerne l'état civil ou la situation de famille, soit en ce qui concerne le droit au bénéfice d'un statut légal générateur de droits. / Dans tous les cas, la révision a lieu sans condition de délai (...) " ;
5. Considérant que le décalage défavorable entre l'indice de la pension servie à un ancien sous-officier de l'armée de terre, de l'armée de l'air ou de la gendarmerie et l'indice afférent au grade équivalent au sein des personnels de la marine nationale, lequel ne résulte ni d'une erreur matérielle dans la liquidation de sa pension, ni d'une inexactitude entachant les informations relatives à sa personne, ne figure pas au nombre des cas permettant la révision, sans condition de délai, d'une pension militaire d'invalidité ; qu'ainsi, la demande présentée par le titulaire d'une pension militaire d'invalidité, concédée à titre temporaire ou définitif sur la base du grade que l'intéressé détenait dans l'armée de terre, l'armée de l'air ou la gendarmerie, tendant à la revalorisation de cette pension en fonction de l'indice afférent au grade équivalent applicable aux personnels de la marine nationale, doit être formée dans le délai de six mois fixé par l'article 5 du décret du 20 février 1959 ; que passé ce délai de six mois ouvert au pensionné pour contester l'arrêté lui concédant sa pension, l'intéressé ne peut demander sa révision que pour l'un des motifs limitativement énumérés aux 1° et 2° de cet article L. 78 ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 1er octobre 2007 concédant une pension militaire d'invalidité définitive a été régulièrement notifié à M. B... le 11 octobre 2007 ; que la lettre qu'il a adressée à l'administration le 2 septembre 2010 en vue d'obtenir la revalorisation de sa pension en fonction de l'indice afférent au grade équivalent de la marine nationale ne pouvait être regardée comme une demande de révision relevant des dispositions de l'article L. 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, mais comme un recours gracieux contre l'arrêté du 1er octobre 2007 ; que ce recours ayant été formé après l'expiration du délai de six mois fixé par l'article 5 du décret du 20 février 1959, la demande présentée par M. B...le 19 juillet 2012 au tribunal des pensions, en vue de contester le refus qui lui a été opposé, était tardive ; que, par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal des pensions a jugé la demande de M. B... recevable au motif qu'elle était dirigée contre cette décision de rejet ;
7. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...en défense devant le Conseil d'Etat ;
8. Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 25 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " La notification des décisions prises en vertu de l'article L. 24, premier alinéa, du présent code, doit mentionner que le délai de recours contentieux court à partir de cette notification et que les décisions confirmatives à intervenir n'ouvrent pas de nouveau délai de recours " ; qu'ainsi, le délai de recours contentieux court à compter du jour où la décision primitive, prise en application du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, a été notifiée au pensionné dans les formes prévues à l'article L. 25 du même code ou, à défaut, à compter du jour où l'arrêté par lequel cette pension a été concédée à titre définitif, en application du deuxième alinéa du même article L. 24, a été régulièrement notifié à l'intéressé, c'est-à-dire, pour les notifications postérieures à l'entrée en vigueur du décret du 28 novembre 1983 dont est issu le dernier alinéa de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965, avec la mention des voies et délais de recours ;
9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si l'arrêté du 1er octobre 2007 concédant une pension militaire d'invalidité définitive ne mentionnait pas que les décisions confirmatives à intervenir n'ouvraient pas de nouveau délai de recours, cette circonstance n'est pas de nature à rendre irrégulière la notification de l'arrêté, dès lors que celui-ci comportait la mention des voies et délais de recours ; que, par suite, le délai de recours contentieux a régulièrement couru à compter du 11 octobre 2007 ; qu'il était, ainsi qu'il a été dit, expiré à la date du recours gracieux ;
10. Considérant que, par suite, le ministre de la défense est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal des pensions a jugé recevable la demande de M. B...et annulé sa décision de rejet du recours gracieux de celui-ci ; que, par voie de conséquence, les conclusions présentées par l'avocat de M. B...sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Bastia du 26 mai 2014 et le jugement du tribunal des pensions de Bastia du 6 mai 2013 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal des pensions de Bastia et ses conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de la défense et à M. A...B....