CAA de NANTES, 4ème chambre, 07/12/2016, 14NT03403, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... a demandé au tribunal administratif de Nantes :
- d'annuler la décision du 23 avril 2010 par laquelle le directeur de l'institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) des Pays de la Loire a rejeté sa demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie qui a entraîné le décès de son époux, le 10 décembre 2009 ;
- d'annuler la décision du 3 juin 2010 par laquelle le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a rejeté sa demande tendant à ce que sa pension de réversion soit assortie d'une rente viagère d'invalidité, ensemble la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique formé le 21 juin 2010 ;
- d'annuler la décision du 10 décembre 2010 par laquelle le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a confirmé sa décision du 3 juin 2010 ;
- à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;
- d'enjoindre au ministre de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie, cause du décès de son époux, et de faire droit à sa demande de versement de la rente viagère d'invalidité en résultant.
Par un jugement n° 1310037 du 4 novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a constaté un non lieu à statuer sur la demande d'annulation de la décision du 3 juin 2010 et a annulé la décision du directeur de l'IUFM des Pays de la Loire du 23 avril 2010 ainsi que celle du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche du 10 décembre 2010.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 décembre 2014 et 17 mars 2016, MmeD..., représentée par la société d'avocats Altajuris, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler les articles 3 et 4 du jugement n° 1310037 du tribunal administratif de Nantes du 4 novembre 2014 rejetant ses conclusions à fin d'injonction et mettant à la charge de l'Etat le versement à son profit de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de la maladie qui a entraîné le décès de son époux et de faire droit à sa demande de versement de la rente viagère d'invalidité conformément aux articles L. 28 et L. 38 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué viole le principe du contradictoire dès lors que le tribunal s'est fondé sur une note en délibéré envoyée par le ministre de l'éducation nationale, laquelle ne lui a pas été communiquée ;
- le tribunal n'a pas fait usage de son pouvoir inquisitorial en ordonnant une mesure d'instruction pour obtenir de l'administration les pièces permettant de confirmer les causes des arrêts de travail des personnels et stagiaires de l'IUFM ou le nombre d'absents dans les classes ; elle justifie des refus qui lui ont été opposés et de l'échec de ses démarches auprès de la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) pour obtenir des pièces médicales ; dans de telles hypothèses, le juge doit tenir pour établies les affirmations du requérant lorsque l'administration ne prouve pas leur inexactitude ;
- ce jugement repose sur une interprétation erronée de l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 décembre 2013 ; il n'a pas été tenu compte des éléments complémentaires qu'elle a produits dans son mémoire du 29 septembre 2014 ; le tribunal a repris sans y rien changer les termes de l'arrêt du Conseil d'Etat comme si le sens de cette décision était d'exclure toute possibilité d'imputabilité au service en cas de contamination virale ; elle prouve la présence du virus H1N1 au sein de l'établissement dans lequel travaillait son époux ;
- il convient de noter que la commission de réforme de la Sarthe, dans sa séance du 1er octobre 2015, a préconisé à la demande de l'administration, une expertise épidémiologique afin de savoir si la contamination de son époux a eu lieu ou non de façon certaine au cours de son activité professionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2015, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2015, le président de l'Université de Nantes a fait savoir qu'il n'avait pas d'observation à formuler sur la présente requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2015, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Une ordonnance du 1er mars 2016 a porté clôture de l'instruction au 1er avril 2016 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle 15% par une décision du 20 janvier 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;
- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bouchardon ;
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public ;
- les observations de Me Boidin, avocate de MmeD..., et de MmeB..., représentant le président de l'Université de Nantes.
1. Considérant que M. C...D..., professeur certifié de technologie qui exerçait ses fonctions à l'établissement du Mans de l'institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) des Pays de la Loire, a été placé en congé de maladie le 1er décembre 2009 et est décédé le 10 décembre 2009 des suites d'un syndrome de détresse respiratoire aiguë consécutif aux symptômes d'une grippe A H1N1 ; que Mme D...a contesté la décision du directeur de l'IUFM des Pays de la Loire du 23 avril 2010 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de ce décès, la décision du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche (service des pensions) du 3 juin 2010 refusant d'inclure dans sa pension de réversion une rente viagère d'invalidité et la décision du même ministre du 10 décembre 2010 confirmant sa précédente décision à la suite de la nouvelle consultation de la commission départementale de réforme de la Sarthe intervenue le 4 novembre 2010 ; que par un jugement n°1007605 du 13 juin 2012, le tribunal administratif de Nantes a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande d'annulation de la décision du 3 juin 2010 et a annulé les décisions des 23 avril et 10 décembre 2010, au motif que la maladie de l'intéressé devait être regardée comme imputable au service ; que par une décision n°361625 du 16 décembre 2013, le Conseil d'Etat a annulé ce jugement en tant qu'il avait annulé les décisions des 23 avril 2010 du directeur de l'IUFM des Pays de la Loire et 10 décembre 2010 du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et a renvoyé l'affaire au tribunal, au motif que celui-ci avait " retenu des éléments insuffisants pour caractériser l'imputabilité directe au service de la maladie contractée par M. D... " ; que, par son nouveau jugement n°1310037 du 4 novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes, d'une part, a annulé la décision du ministre du 10 décembre 2010, d'autre part, a annulé la décision du directeur de l'IUFM des Pays de la Loire du 23 avril 2010, enfin, a condamné l'Etat à verser à la requérante une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions ; que Mme D...relève appel de ce dernier jugement en tant qu'il rejette sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de son époux, et de faire droit à sa demande de versement de la rente viagère d'invalidité en résultant, et en tant qu'il limite à 1 000 euros la somme mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " l'instruction des affaires est contradictoire (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. " ; qu'aux termes de l'article R. 731-3 dudit code : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré. " ;
3. Considérant que lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ; que, s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ; qu'en ne communiquant pas aux parties à l'instance la note en délibéré déposée par la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nantes le 8 octobre 2014, qui ne comportait l'exposé d'aucune circonstance de fait que l'administration n'aurait pu invoquer avant la clôture de l'instruction, ni d'aucune circonstance de droit nouvelle, les premiers juges n'ont pas méconnu le principe du contradictoire ; qu'en conséquence, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'irrégularité pour ce motif manque en fait et doit être écarté ;
Sur la demande d'injonction :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ;
5. Considérant que Mme D...conteste le rejet de sa demande d'injonction par le tribunal administratif et demande à la cour d'enjoindre au ministre de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de la maladie qui a causé le décès de son mari et de faire droit à sa demande de versement d'une rente viagère d'invalidité ;
6. Considérant, toutefois, que, par son jugement du 4 novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes, d'une part, a annulé la décision du ministre du 10 décembre 2010 pour un vice de procédure tiré de ce que les représentants du personnel ayant siégé à la commission départementale de réforme du 4 novembre 2010 avaient été désignés et non " élus par les représentants du personnel, titulaires et suppléants, de la commission administrative paritaire locale dont relève le fonctionnaire " comme le prévoit le 3 de l'article 12 du décret n°86-442 du 14 mars 1986, d'autre part, a annulé la décision du directeur de l'IUFM des Pays de la Loire du 23 avril 2010 pour un vice de procédure tiré de ce que Mme D...n'avait pas bénéficié d'un délai suffisant entre la date où elle a été informée de la réunion de la commission de réforme, le 2 avril, ou la date où elle a pu consulter le dossier de son mari, le 6 avril, et la séance de ladite commission le 8 avril 2010 ; qu'ainsi, les motifs constituant le soutien nécessaire des annulations prononcées par les articles 1er et 2 du jugement, s'ils impliquaient que les autorités administratives en cause prennent respectivement, sur les demandes de l'intéressée, une nouvelle décision après avoir régularisé le vice de procédure ayant justifié l'annulation de leur décision initiale, ne peuvent être regardés, eu égard à la seule illégalité constatée, comme impliquant nécessairement que soit reconnue l'imputabilité au service de la maladie et du décès de M. D...et que soit en conséquence attribuée à Mme D...une rente viagère d'invalidité ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 4 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'injonction ;
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que, si elle demande l'annulation de l'article 3 du jugement mettant à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, Mme D...n'établit pas que cette somme serait insuffisante ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 8 que doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions présentées par Mme D...au titre de l'application par la cour de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D..., au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, au ministre de l'économie et des finances et au président de l'Université de Nantes.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Loirat, président assesseur,
- M. Bouchardon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2016.
Le rapporteur,
L. BOUCHARDONLe président,
L. LAINÉ
Le greffier,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et au ministre de l'économie et des finances, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14NT03403