CAA de MARSEILLE, 8ème chambre - formation à 3, 06/06/2017, 15MA00559, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision06 juin 2017
Num15MA00559
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre - formation à 3
PresidentM. GONZALES
RapporteurM. Marc COUTEL
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsARRIGHI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête, enregistrée le 16 mai 2012, M. A... F...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la société France Télécom à lui verser la somme de 140 000 euros en réparation des préjudices de toutes natures résultant des conséquences dommageables de l'accident de service survenu le 17 juin 2002, assortie des intérêts légaux capitalisés.

Par un jugement n° 1201298 du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Toulon a condamné la société France Télécom à verser à M. F... la somme de 5 000 euros assortie des intérêts légaux à compter du 16 mai 2012, capitalisés au 16 mai 2013.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 12 février 2015, M. F..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) de condamner la société France Télécom à lui verser la somme de 111 200 euros en réparation de l'ensemble des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'accident de service du 17 juin 2002 ;

2°) de mettre à la charge de la société France Télécom le versement de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens en application de l'article R. 761-1 du même code ;

3°) de réformer le jugement en tant qu'il n'a pas été fait droit à l'intégralité de ses conclusions.
Il soutient que :
- la société France Télécom a commis une faute ;
- même en l'absence de faute, il est fondé à demander réparation de préjudices tels que les souffrances physiques et morales endurées, ses préjudices esthétique et d'agrément, au-delà de la réparation forfaitaire déterminée par les articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- les souffrances endurées et le préjudice moral s'élèvent à 20 000 euros ;
- le préjudice financier s'élève à 30 000 euros ;
- le taux de 30% d'I.P.P. qui lui a été attribué implique une indemnisation à hauteur de 61 200 euros.


Par un mémoire en défense enregistré le 25 juin 2015, la société anonyme Orange venant aux droits de la société France Télécom, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutel,
- et les conclusions de M. Argoud, rapporteur public.



1. Considérant que M. F..., fonctionnaire de la société France Télécom, qui exerçait les fonctions de conseiller vendeur à l'agence du centre commercial Mayol à Toulon, a été frappé au visage le 17 juin 2002 par un client, M. E... ; que l'auteur de cette agression été condamné à réparer les préjudices subis par le requérant par décision du tribunal de grande instance de Toulon, confirmée par arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence le 12 décembre 2007 ; que les héritiers de M. E..., décédé le 17 mai 2009, ont renoncé à sa succession ; que M. F... a bénéficié d'arrêts de travail du 18 juin 2002 au 15 avril 2005 qui ont été reconnus comme ayant, à compter du 11 juin 2006, un lien direct avec l'accident de service du 17 juin 2002, et qui se sont prolongés jusqu'à ce qu'il soit déclaré inapte définitif à toute fonction par décision du 29 août 2012 ; que l'intéressé a été admis à la retraite pour inaptitude totale et définitive à compter du 1er mars 2013 et perçoit désormais une rente viagère d'invalidité depuis cette date ;





2. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction et qu'il n'est pas soutenu que M. F... aurait été indemnisé en exécution des décisions du juge judiciaire statuant sur l'action civile ; que, par un courrier du 23 janvier 2012, reçu le 25 janvier 2012, M. F... a sollicité de la société France Télécom la réparation de l'ensemble des préjudices résultant des conséquences de l'accident de service dont il a été victime ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon, écartant toute faute de la part de la personne publique dans la survenance de l'accident en cause, a limité l'indemnisation de M. F... à la somme de 5 000 euros ;


Sur les conclusions à fin de condamnation :

3. Considérant que les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle ; que les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; que ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ;


4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'agression subie par M. F... n'a été que la conséquence du comportement particulièrement violent et inhabituel d'un client ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle agression aurait présenté un caractère prévisible et que, par suite, la personne publique n'aurait pas mis en oeuvre les diligences nécessaires à la protection de ces agents vis-à-vis de tels risques ; qu'il s'ensuit que la faute de la personne publique doit être écartée ;


5. Considérant que la responsabilité de la société France Télécom est cependant susceptible d'être engagée, même en l'absence de faute, pour la réparation des souffrances physiques et morales endurées par M. F... du fait de cet accident de service, ainsi que pour la réparation de préjudices patrimoniaux tels que les dépenses de santé directement liées à cet accident ;


6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'intéressé a présenté à la suite de l'agression dont il a été victime un oedème important au niveau de la lèvre supérieure avec saignement et une plaie de la gencive supérieure avec traumatisme dentaire ; que l'intéressé a souffert également d'une raideur cervicale ayant entraîné au cours de l'année 2004 le port d'une minerve ; que l'agression subie est également à l'origine d'un choc psychologique qui s'est traduit chez l'intéressé par un syndrome anxio-dépressif sévère tout au long des années 2003 et 2004, nécessitant un suivi psychothérapeutique ; que la consolidation de l'état de santé de M. F... résultant de l'accident de service du 17 juin 2002 n'a été constatée que le 9 juillet 2011, l'intéressé conservant un taux d'incapacité permanente partielle à hauteur de 30% ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques et morales endurées par M. F... et des troubles qu'il a subis dans ses conditions d'existence en portant l'indemnité que le tribunal lui a allouée à ce titre à la somme de 7 000 euros ;

7. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des mentions du certificat médical circonstancié, rédigé le jour même de l'agression, que M. F... a souffert de douleurs de la face et présenté un traumatisme dentaire affectant l'intégrité tissulaire et la vitalité des incisives et des canines ; qu'au vu des pièces produites au dossier, il sera fait une juste appréciation des frais dentaires occasionnés par l'accident de service en cause en fixant l'indemnité due à ce titre à la somme de 1 000 euros ;


Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

8. Considérant que M. F... a droit au paiement des intérêts au taux légal sur la somme de 8 000 euros à compter du 25 janvier 2012, date de réception de sa demande d'indemnisation préalable ; que ces intérêts seront capitalisés à compter du 25 janvier 2013, date à laquelle était due pour la première fois une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;


Sur les conclusions tendant à l'application des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant, en premier lieu, que la présente instance n'a occasionné aucun dépens ; que les conclusions présentées à ce titre par M. F... doivent ainsi être rejetées ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du même code : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Orange le versement à M. F... de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D É C I D E :


Article 1er : L'indemnité mise à la charge de la société Orange par le tribunal administratif de Toulon en réparation du préjudice subi par M. F... est portée à la somme de 8 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2012. Lesdits intérêts seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter du 25 janvier 2013, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La société Orange versera à M. F... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F..., à la société Orange et à la caisse primaire d'assurance maladie du Var.


Délibéré après l'audience du 9 mai 2017, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- Mme D..., première conseillère,
- M. Coutel, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 6 juin 2017.
N° 15MA00559 2