CAA de BORDEAUX, , 29/06/2017, 15BX02705, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision29 juin 2017
Num15BX02705
JuridictionBordeaux
AvocatsMADIGNIER

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 23 octobre 2009 du recteur de l'académie de Poitiers rejetant sa demande d'admission à la jouissance immédiate de sa pension, d'enjoindre à cette autorité de réexaminer sa demande et de liquider sa pension de retraite majorée de la bonification pour enfants à compter de sa radiation des cadres, de condamner l'Etat ou le service de pension compétent à lui verser la somme provisionnelle de 20 000 euros, ou à titre subsidiaire et avant dire droit, la somme de 115 850 euros en raison des divers préjudices subis avec intérêt à taux légal et capitalisation à compter de la première demande et, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à la conformité des nouvelles dispositions de droit interne avec l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne et ses directives d'application relatives aux régimes professionnels de sécurité sociale et de renvoyer au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite tel que modifié par l'article 136 de la loi de finances rectificatives du 30 décembre 2004.

Par une ordonnance n° 0902802, 1100641, 1202867 du 12 juin 2015, le vice-président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 juillet 2015, M.A..., représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du vice-président du tribunal administratif de Poitiers du 12 juin 2015 ;

2°) d'annuler la décision du recteur de l'académie de Poitiers du 23 octobre 2009 ;

3°) de condamner " Orange, et ou le service de pension de La Poste ou la CNRACL " à lui verser une les sommes de 55 796 euros au titre des bonifications capitalisées à compter du 1er septembre 2008, et de 45 054 euros au titre du rappel sur pensions et/ou bonifications non-perçues à compter de sa première demande du 24 septembre 2009 augmentée des six mois réglementaires jusqu'au 1er avril 2015, somme à parfaire et à actualiser à raison de 214 euros par mois, ainsi qu' une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de cette décision et une indemnité de 10 000 euros au titre des frais de défense engagés en vain ;

4°) à titre subsidiaire d'ordonner au ministre des finances et/ou à la CNRACL la production des données statistiques exploitées et des méthodes utilisées pour affirmer que les écarts de pension entre hommes et femmes fonctionnaires varient de 9,8 % jusqu'à 23 % en fonction du nombre d'enfants, et de désigner un expert pour vérifier cette statistique ;

5°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la double question préjudicielle relative à l'impartialité de la formation contentieuse du Conseil d'Etat ayant statué dans la décision n° 372426 Quintanel du 27 mars 2015 au regard de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et au point de savoir si cette décision a méconnu les principes de confiance légitime et de primauté du droit communautaire ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme des entiers dépens, dont les frais d'expertise, et la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la décision n° 372426 Quintanel du Conseil d'Etat 27 mars 2015 a été prise par une formation contentieuse dont la composition méconnaît le principe d'impartialité de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et le droit au procès équitable protégé par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, certains membres de cette formation de jugement ayant pris part à des avis rendus antérieurement dans les sections administratives du Conseil sur les dispositions en litige ;
- cette décision du Conseil d'Etat se fonde sur des données statistiques non vérifiables en méconnaissance du principe de l'égalité des armes ; ces données n'apparaissent dans aucune donnée publique accessible et leur utilisation constitue un procédé déloyal ;
- la bonification pour enfant prévue par les dispositions de l'article 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite issues de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 et de l'article R. 37 de ce même code modifié par le décret n° 2005-449 du 10 mai 2005, accordée sous condition d'interruption d'activité n'est pas un critère étranger au sexe des travailleurs ; les juridictions civiles ont estimé que ce droit à jouissance immédiate à la retraite dans le cadre des régimes spéciaux, qui a pour effet d'accorder aux fonctionnaires féminins un avantage en fin de carrière, est indirectement discriminatoire ; la condition d'interruption d'activité est ouverte systématiquement aux femmes dans une proportion telle que les hommes ne peuvent de fait en bénéficier et qu'elle aggrave les inégalités ;
- de nombreuses statistiques tendent, au contraire de ce qu'affirme le ministre, à démontrer que l'interruption d'activité a un faible impact sur le niveau de salaire et de pension dans la fonction publique ; c'est en revanche le caractère partiel ou complet qui a le plus fort impact sur le niveau de pension et ce temps partiel concerne les femmes à 80 % ;
- les dispositions des articles L. 12 et R. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite instituent une discrimination indirecte en violation du droit de l'Union européenne, et notamment des dispositions du paragraphe 4 de l'article 141/154 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt Léone C-173/13 du 17 juillet 2014 ;
- ces dispositions ainsi que la décision du Conseil d'Etat citée plus haut méconnaissent le principe de confiance légitime et de primauté du droit communautaire ; la décision du Conseil d'Etat du 27 mars 2015 est contraire à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de la violation caractérisée par la juridiction administrative des traités européens et des principes des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 14 octobre 2015 le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. A...n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 19 octobre 2015, le ministre de la décentralisation et de la fonction publique a informé la cour qu'il n'entendait pas produire d'observations.

Par ordonnance du 5 octobre 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 8 novembre 2016 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte) ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;
- la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 ;
- la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;
- le décret n° 2010-1741 du 30 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de l'article 3 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : (...)5° Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 ou la charge des dépens. (...) Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution d'une décision juridictionnelle frappée d'appel, les requêtes dirigées contre des ordonnances prises en application des 1° à 5° du présent article ainsi que, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement. " Ces dernières dispositions sont applicables, en vertu de l'article 35 du décret n° 2016-1480, à compter du 1er janvier 2017, y compris pour les requêtes enregistrées avant cette date.
2. M.A..., né le 14 novembre 1951, ancien fonctionnaire du ministère de l'éducation nationale, a saisi, le 24 septembre 2009, son administration d'une demande de départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate du droit de pension après avoir accompli quinze années de services effectifs, sur le fondement des dispositions du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ainsi que du bénéfice de la bonification pour enfants prévue par les dispositions de l'article L. 12 du même code. Cette demande a été rejetée par une décision du 23 octobre 2009 du recteur de l'académie de Poitiers au motif que l'intéressé ne remplissait pas les conditions posées par ces dispositions. M. A...relève appel de l'ordonnance du 12 juin 2015 par laquelle le vice-président tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ainsi que ses conclusions indemnitaires.

3. Pour rejeter, par l'ordonnance attaquée, les demandes de M.A..., le vice-président du tribunal administratif de Poitiers s'est fondé sur les motifs énoncés aux points suivants :

En ce qui concerne la bonification pour enfant :

4. Aux termes de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction, applicable au litige, issue du I de l'article 48 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites : " Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'Etat, les bonifications ci-après : (...) b) Pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés antérieurement au 1er janvier 2004, pour chacun de leurs enfants dont l'adoption est antérieure au 1er janvier 2004 et, sous réserve qu'ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt-et-unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au II de l'article L. 18 dont la prise en charge a débuté antérieurement au 1er janvier 2004, les fonctionnaires et militaires bénéficient d'une bonification fixée à un an, qui s'ajoute aux services effectifs, à condition qu'ils aient interrompu leur activité dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (...) ". Ce même article, dans sa rédaction issue de l'article 52 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 dispose que : " Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'Etat, les bonifications ci-après :(...)b) Pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés antérieurement au 1er janvier 2004, pour chacun de leurs enfants dont l'adoption est antérieure au 1er janvier 2004 et, sous réserve qu'ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt-et-unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au II de l'article L. 18 dont la prise en charge a débuté antérieurement au 1er janvier 2004, les fonctionnaires et militaires bénéficient d'une bonification fixée à un an, qui s'ajoute aux services effectifs, à condition qu'ils aient interrompu ou réduit leur activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". En vertu des dispositions du 1° de l'article R. 13 du même code, dans sa version applicable au litige, le bénéfice des dispositions précitées du b de l'article L. 12 du même code est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale, ou d'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans.

5. Aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Chaque État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail (...). 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le principe d'égalité des rémunérations s'oppose non seulement à l'application de dispositions qui établissent des discriminations directement fondées sur le sexe mais également à l'application de dispositions qui maintiennent des différences de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins sur la base de critères non fondés sur le sexe dès lors que ces différences de traitement ne peuvent s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe et qu'il y a discrimination indirecte en raison du sexe lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d'un sexe par rapport à l'autre. Par un arrêt du 17 juillet 2014, la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur renvoi préjudiciel de la cour administrative d'appel de Lyon, a estimé que l'article 141 doit être interprété en ce sens que, sauf à pouvoir être justifié par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu'un objectif légitime de politique sociale, et à être propre à garantir l'objectif invoqué et nécessaire à cet effet, un régime de bonification de pension tel que celui résultant des dispositions des articles L. 12 et R. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant qu'elles prévoient la prise en compte du congé de maternité dans les conditions ouvrant droit à l'octroi de la bonification en cause, introduirait une différence de traitement entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins contraire à cet article. Elle a cependant rappelé que, s'il lui revenait de donner des " indications " " de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer ", il revient exclusivement au juge national, seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure les dispositions concernées sont justifiées par de tels facteurs objectifs.

6. Si, pendant son congé de maternité, la femme fonctionnaire ou militaire conserve légalement ses droits à avancement et à promotion et qu'ainsi la maternité est normalement neutre sur sa carrière, il ressort néanmoins de l'ensemble des pièces produites devant le juge du fond et des données disponibles qu'une femme ayant eu un ou plusieurs enfants connaît, de fait, une moindre progression de carrière que ses collègues masculins et perçoit en conséquence une pension plus faible en fin de carrière. Les arrêts de travail liés à la maternité contribuent à empêcher une femme de bénéficier des mêmes possibilités de carrière que les hommes. De plus, les mères de famille ont dans les faits plus systématiquement interrompu leur carrière que les hommes, ponctuellement ou non, en raison des contraintes résultant de la présence d'un ou plusieurs enfants au foyer. Ainsi, selon les données d'une étude statistique du service des retraites de l'Etat produite par le ministre des finances et des comptes publics, si une femme fonctionnaire sans enfant perçoit à la fin de sa carrière une pension moyenne supérieure de 2,6 % à celle des hommes également sans enfant, les femmes avec enfants perçoivent en moyenne des pensions inférieures à celles des hommes ayant le même nombre d'enfants. Ces écarts entre les pensions perçues par les femmes et les hommes s'accroissent avec le nombre d'enfants. Les pensions des femmes fonctionnaires, rapportées à celles des hommes, sont ainsi inférieures de 9,8 % pour un enfant, de 11,5 % pour deux enfants, de 13,3 % pour trois enfants et de 23 % pour quatre enfants. Si la bonification par enfant était supprimée, les écarts passeraient à 12,7 % pour un enfant, 17,3 % pour deux enfants, 19,3 % pour trois enfants et à près de 30 % pour quatre enfants. Le niveau de la pension ainsi constaté des femmes ayant eu des enfants résulte d'une situation passée, consécutive à leur déroulement de carrière, qui ne peut être modifiée au moment de la liquidation. Cette bonification n'a pas pour objet et ne pouvait avoir pour effet de prévenir les inégalités sociales dont ont été l'objet les femmes mais de leur apporter, dans une mesure jugée possible, par un avantage de retraite assimilé à une rémunération différée au sens de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une compensation partielle et forfaitaire des retards et préjudices de carrière manifestes qui les ont pénalisées.

7. Par la loi du 21 août 2003, le législateur a modifié les dispositions sur le fondement desquelles ont été prises les dispositions litigieuses, en ne maintenant le bénéfice automatique de la bonification que pour les femmes fonctionnaires et militaires mères d'enfants nés avant le 1er janvier 2004. Ce faisant, le législateur a entendu maintenir à titre provisoire, en raison de l'intérêt général qui s'attache à la prise en compte de cette situation et à la prévention des conséquences qu'aurait la suppression des dispositions du b de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite sur le niveau des pensions servies aux assurées dans les années à venir, ces dispositions destinées à compenser des inégalités normalement appelées à disparaître.

8. Dans ces conditions, la différence de traitement dont bénéficient indirectement les femmes mères d'enfants nés avant le 1er janvier 2004 par le bénéfice systématique de la bonification pour enfant tel qu'il découle de la prise en compte du congé maternité, en application des dispositions combinées du b de l'article L. 12 et de l'article R. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite, est objectivement justifiée par un objectif légitime de politique sociale. Elle est propre à garantir cet objectif et nécessaire à cet effet ; que par suite, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le principe d'égalité tel que défini à l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il en va de même, pour les mêmes motifs, du moyen tiré de ce que lesdites dispositions auraient contrevenu à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 1er du premier protocole additionnel de cette convention, eu égard à l'intérêt général qui résulte de l'objectif légitime de politique sociale.

En ce qui concerne le départ anticipé à la retraite :

9. Aux termes du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de l'article 136 de loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004, applicable au litige, et aux termes des dispositions transitoires prévues à l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 : " I. - La liquidation de la pension intervient : (....) 3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, ou d'un enfant vivant, âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 %, à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / Sont assimilées à l'interruption d'activité mentionnée à l'alinéa précédent les périodes n'ayant pas donné lieu à cotisation obligatoire dans un régime de retraite de base, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Sont assimilés aux enfants mentionnés au premier alinéa les enfants énumérés au II de l'article L. 18 que l'intéressé a élevés dans les conditions prévues au III dudit article. (...) ". En vertu des I et II de l'article R. 37 du même code, applicable au litige, le bénéfice des dispositions précitées du 3° du I de l'article L. 24 est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé de paternité, d'un congé pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale, ou d'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans. Par l'arrêt déjà cité du 17 juillet 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a estimé, conformément à sa jurisprudence, que l'article 141 doit être interprété en ce sens que, sauf à pouvoir être justifié par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu'un objectif légitime de politique sociale, et à être propre à garantir l'objectif invoqué et nécessaire à cet effet, un régime de départ anticipé à la retraite tel que celui résultant des dispositions des articles L. 24 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant qu'elles prévoient la prise en compte du congé maternité dans les conditions ouvrant droit au bénéfice en cause introduirait également une différence de traitement entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins contraire à cet article.

10. Cependant, ainsi qu'il a été dit au point 10 de la présente décision, que la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé que, s'il lui revenait de donner des " indications " " de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer ", il revient exclusivement au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure les dispositions concernées sont justifiées par de tels facteurs objectifs. Par la loi du 9 novembre 2010, le législateur a modifié les dispositions sur le fondement desquelles a été prise la décision attaquée, en procédant à une extinction progressive de la mesure pour les parents de trois enfants. Ce faisant, le législateur a entendu non pas prévenir les inégalités de fait entre les hommes et les femmes fonctionnaires et militaires dans le déroulement de leur carrière et leurs incidences en matière de retraite telles qu'exposées au point 11 mais compenser à titre transitoire ces inégalités normalement appelées à disparaître. Dans ces conditions, la disposition litigieuse relative au choix d'un départ anticipé avec jouissance immédiate, prise, pour les mêmes motifs que la bonification pour enfant prévue par les dispositions combinées des articles L. 12 et R. 37, afin d'offrir, dans la mesure du possible, une compensation des conséquences de la naissance et de l'éducation d'enfants sur le déroulement de la carrière d'une femme, en l'état de la société française d'alors, est objectivement justifiée par un objectif légitime de politique sociale. Elle est propre à garantir cet objectif et nécessaire à cet effet. Par suite, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le principe d'égalité des rémunérations tel que défini à l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il en va de même, pour les mêmes motifs, du moyen tiré de ce que lesdites dispositions auraient contrevenu, d'une part, à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, à l'article 1er du premier protocole additionnel de cette convention eu égard à l'intérêt général qui résulte de l'objectif légitime de politique sociale.

En ce qui concerne la rétroactivité de la loi du 30 décembre 2004 et du décret du 10 mai 2005 :
11. En premier lieu, les droits du fonctionnaire relatifs au point de départ de la jouissance de sa pension de retraite doivent être légalement appréciés à la date à compter de laquelle le fonctionnaire demande à bénéficier de cette pension. Il en résulte que les droits à pension de M. A...doivent s'apprécier au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables à la date du 24 septembre 2009. Cette date est postérieure à celle de l'entrée en vigueur des dispositions du I, alinéa 3° de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite précitées issu de la loi du 30 décembre 2004, intervenue le 12 mai 2005, date d'entrée en vigueur du décret d'application du 10 mai 2005. Ainsi, alors qu'il n'est pas fait application à la demande de M. A...du II du même article 136 prévoyant que les dispositions du I sont applicables aux demandes présentées avant l'entrée en vigueur de cette loi, le requérant ne peut utilement soutenir que la décision attaquée serait fondée sur des dispositions législatives et réglementaires contraires, en raison d'un effet rétroactif, aux stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées à celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention. Pour les mêmes motifs, le requérant ne peut utilement soutenir que les dispositions litigieuses méconnaîtraient le principe de non-rétroactivité des lois.

12. En second lieu, l'incompatibilité de l'application rétroactive des dispositions de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004 et du décret du 10 mai 2005 avec les stipulations du §1 de l'article 6 et de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui garantissent le droit à un procès équitable et à un recours effectif ne peut être utilement invoquée que par les fonctionnaires qui, à la date d'entrée en vigueur des dispositions litigieuses, avaient, à la suite d'une décision leur refusant le bénéfice du régime antérieurement applicable, engagé une action contentieuse en vue de contester la légalité de cette décision. M. A...s'est vu refuser l'admission à la retraite anticipée le 23 octobre 2009. Ainsi, un tel moyen est inopérant.

13. Il y a lieu, par adoption des motifs précités de l'ordonnance attaquée, d'écarter les mêmes moyens exposés par M. A...dans sa requête.
Sur les autres moyens :

14. Il résulte de ce qui précède que M.A..., pour contester le régime des pensions résultant des dispositions de la loi du 21 août 2003 et du décret du 26 décembre 2003, ne peut se prévaloir d'aucune méconnaissance, ni a fortiori d'aucune violation manifeste par le législateur ou même le pouvoir réglementaire des stipulations européennes qu'il a invoquées et notamment de celles interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt " Leone " du 17 juillet 2014. Par conséquent, M. A...n'est pas non plus fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat devrait être engagée du fait de l'application de ces dispositions par les juridictions administratives.

15. Il résulte encore des motifs exposés aux points 5 à 8 ci-dessus, et notamment au point 5 du présent arrêt qui se réfère aux points 56 et 89 de l'arrêt " Leone " de la Cour de justice, que l'office du juge national, seul compétent pour apprécier les faits et interpréter la législation nationale, ne nécessite pas, en l'espèce, le renvoi à la Cour de justice d'une nouvelle question préjudicielle, compte tenu de l'interprétation du droit européen fournie par cette dernière.

16. Enfin, le présent arrêt ne saurait être regardé comme étant pris pour l'application de la décision n° 372426 rendue par le Conseil d'Etat le 27 mars 2015. Le moyen selon lequel le Conseil d'Etat aurait alors statué au contentieux dans une formation de jugement irrégulièrement composée est en tout état de cause inopérant.
17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée ni de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de nouvelles questions préjudicielles, que la requête de M. A...est manifestement dépourvue de fondement et peut dès lors être rejetée selon la procédure prévue par les dispositions précitées du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Par voie de conséquence, les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice présentées par M. A... doivent également être rejetées.



ORDONNE :



Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...A..., au ministre de l'éducation nationale, et au ministre de l'action et des comptes publics.
Fait à Bordeaux, le 29 juin 2017.
Le président de la 4ème chambre


Philippe Pouzoulet
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N° 15BX02705