CAA de MARSEILLE, 9ème chambre - formation à 3, 26/09/2017, 16MA01383, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision26 septembre 2017
Num16MA01383
JuridictionMarseille
Formation9ème chambre - formation à 3
PresidentMme BUCCAFURRI
RapporteurMme Hélène BUSIDAN
CommissaireM. ROUX
AvocatsSELARL CABINET ANTOINE SOLANS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E...D...a demandé au tribunal administratif de Montpellier :
- d'annuler la décision du 7 avril 2014 par laquelle la directrice des ressources humaines de la direction opérationnelle de la paye et du personnel de La Poste a rejeté sa demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle ;
- d'enjoindre à La Poste, d'une part, de requalifier les congés pour maladie dont il avait bénéficié en régularisant les traitements, primes et frais engagés en raison de cette maladie et, d'autre part, de déterminer le montant de l'allocation temporaire d'invalidité due.

Par un jugement n° 1402770 du 5 février 2016, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés le 7 avril 2016 et le 12 mai 2017, M. D..., représenté par la SELARL Cabinet Antoine Solans, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 février 2016 ;
2°) d'annuler la décision du 7 avril 2014 portant refus de reconnaissance d'une maladie professionnelle ;
3°) d'enjoindre à La Poste de le faire bénéficier de son plein traitement et du remboursement des frais et honoraires médicaux directement liés à sa pathologie ;
4°) de condamner La Poste à la réparation forfaitaire des dommages corporels subis et la réparation du préjudice moral ;
5°) de condamner La Poste à réparer le non-respect par cet établissement de ses obligations en matière de protection et sécurité de ses employés, en désignant un expert afin de fixer les préjudices subis notamment au titre de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
6°) de lui accorder une provision de 5 000 euros à valoir sur le montant à lui accorder en réparation des préjudices subis.

Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la signataire de la décision en litige n'était pas régulièrement habilitée ;
- le médecin agréé n'a pu émettre un avis pertinent dès lors qu'il n'avait en sa possession aucune description des activités qu'il exerçait ;
- l'avis rendu par le médecin du travail est contestable dès lors que ce médecin n'a jamais procédé à une analyse des risques professionnels encourus dans le service où il travaillait ;
- l'avis de la commission de réforme n'a pas été communiqué en même temps que la décision en litige ;
- cet avis est nul dès lors que Mme B... n'avait aucun mandat pour représenter La Poste ;
- il est irrégulier dès lors qu'un médecin spécialiste a pris part à la délibération en méconnaissance de l'article 19 du décret du 14 mars 1986 ;
- l'absence d'un médecin, spécialiste de son affection, l'a privé d'une garantie ;
- le courrier qui lui a été adressé ne l'informait pas qu'il pouvait se faire entendre par la commission de réforme et ce vice l'a privé d'une garantie ;
- la décision du 7 avril 2014 est intervenue au terme d'une procédure irrégulière, qui n'a pas respecté, en outre, l'instruction de La Poste du 23 septembre 1999 ;
- comme il remplit les critères exigés par le tableau 57 des maladies professionnelles, sa maladie est présumée d'origine professionnelle ;
- le principe du contradictoire n'a pas été respecté, La Poste ne l'ayant pas informé qu'il devait prouver le lien de causalité entre son affection et l'exercice de ses fonctions ;
- il est victime d'une inversion de la charge de la preuve ;
- La Poste a manqué à l'obligation de prévention et de sécurité qui lui incombe en tant qu'employeur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2016, La Poste, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'appelant la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

A titre principal, elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable, dès lors qu'elle ne présente aucun moyen contre le jugement et se borne à réitérer les arguments présentés en première instance ;
- les conclusions indemnitaires n'ont été précédées d'aucune demande préalable susceptible d'avoir lié le contentieux.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que :
- il appartient à l'agent de démontrer le lien de causalité certaine entre l'affection dont il souffre et l'exercice de ses fonctions ;
- aucune disposition légale ou réglementaire n'impose la transmission préalable de pièces au médecin expert sollicité pour examiner l'agent ;
- l'illégalité de la présence de Mme B... à la commission de réforme n'est pas caractérisée, de même que la garantie dont le requérant aurait été privé par l'absence d'un médecin spécialiste ;
- le courrier du 31 janvier 2014 respecte les obligations visées dans l'article 19 du décret n° 86-442 ;
- le requérant ne contredit pas plus en appel qu'en première instance les avis médicaux qui ont justifié le rejet de sa demande ;
- il ne remplit pas les conditions figurant dans le tableau n° 57.

A titre infiniment subsidiaire, les conclusions indemnitaires, non chiffrées, ne peuvent qu'être rejetées tout comme la demande d'expertise.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 86- 442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réformes, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;
- l'arrêté du 9 janvier 1992 portant création d'un comité médical et d'une commission de réforme auprès de La Poste et de France Télécom ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Busidan,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant La Poste.

Une note en délibéré, présentée pour La Poste, a été enregistrée le 19 septembre 2017.

1. Considérant M. D..., fonctionnaire titulaire du grade d'agent technique et de gestion supérieur de La Poste, a été mis en congé pour maladie ordinaire du 16 septembre 2013 au 2 février 2014 en raison d'une pathologie à l'épaule droite, dont il a demandé l'imputabilité au service ; qu'il relève appel du jugement rendu le 5 février 2016 par le tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 avril 2014 par laquelle la directrice des ressources humaines de la direction opérationnelle de la paye et du personnel de La Poste a refusé de reconnaître cette imputabilité au service ;

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête par La Poste :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicable à l'introduction de l'instance devant le juge d'appel en vertu de l'article R. 811-13 du même code : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge.//(...) " ;

3. Considérant que la requête dont M. D... a saisi la Cour procède à une critique du jugement dont l'appelant sollicite l'annulation, par une motivation suffisamment précise répondant aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; que, dès lors, la fin de non recevoir opposée à ce titre par La Poste doit être écartée ;

Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires présentées par M. D..., les conclusions à fin de nomination d'un expert et les conclusions à fin de provision :

4. Considérant que, devant les premiers juges, M. D... s'était borné à demander, d'une part, l'annulation de la décision du 7 avril 2014 et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à La Poste de déterminer le montant d'une allocation temporaire d'invalidité ; que, par conséquent, les conclusions indemnitaires présentées par l'intéressé dans la présente instance, tendant, d'une part, à une réparation forfaitaire des dommages corporels subis et d'un préjudice moral résultant de souffrances endurées et, d'autre part, à l'allocation d'une indemnité à raison d'une faute prétendument commise par La Poste pour non-respect de ses obligations en matière de sécurité et de protection de ses employés, sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables, comme le soutient La Poste ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'ordonner la nomination d'un expert afin d'évaluer les chefs de préjudice allégués par l'appelant ; que l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires fait obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande de provision présentée par M. D... ; que, par suite, les conclusions susvisées doivent être rejetées ;

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 7 avril 2014 :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 19 du décret du 14 mars 1986, applicable à la commission de réforme créée auprès de La Poste par l'arrêté du 9 janvier 1992 : " La commission de réforme ne peut délibérer valablement que si la majorité absolue des membres en exercice assiste à la séance ; un praticien de médecine générale ou le spécialiste compétent pour l'affection considérée doit participer à la délibération.//Les avis sont émis à la majorité des membres présents.// Lorsqu'un médecin spécialiste participe à la délibération conjointement avec les deux praticiens de médecine générale, l'un de ces deux derniers s'abstient en cas de vote.// La commission de réforme doit être saisie de tous témoignages rapports et constatations propres à éclairer son avis.// Elle peut faire procéder à toutes mesures d'instruction, enquêtes et expertises qu'elle estime nécessaires.// Le fonctionnaire est invité à prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, de la partie administrative de son dossier. Un délai minimum de huit jours doit séparer la date à laquelle cette consultation est possible de la date de la réunion de la commission de réforme ; il peut présenter des observations écrites et fournir des certificats médicaux. / La commission de réforme, si elle le juge utile, peut faire comparaître le fonctionnaire intéressé. Celui-ci peut se faire accompagner d'une personne de son choix ou demander qu'une personne de son choix soit entendue par la commission de réforme. / L'avis formulé en application du premier alinéa de l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite doit être accompagné de ses motifs. / Le secrétariat de la commission de réforme informe le fonctionnaire : - de la date à laquelle la commission de réforme examinera son dossier ; - de ses droits concernant la communication de son dossier et la possibilité de se faire entendre par la commission de réforme, de même que de faire entendre le médecin et la personne de son choix. / L'avis de la commission de réforme est communiqué au fonctionnaire sur sa demande (...) " ;

6. Considérant que la lettre datée du 31 janvier 2014 par laquelle M. D... a été informé de la réunion, le 27 février suivant, de la commission de réforme appelée à émettre un avis sur sa demande, indiquait que, si sa présence n'était pas nécessaire, il avait la possibilité de prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire d'un représentant, de la partie administrative de son dossier et des conclusions des rapports établis par les médecins agréés, ainsi que celle de présenter des observations écrites et des certificats médicaux ; qu'elle mentionnait également que : " la Commission, si elle le juge utile, peut vous faire comparaître. Dans ce cas vous pourriez vous faire accompagner d'une personne de votre choix ou demander qu'une personne de votre choix soit entendue par cet organisme " ; qu'ainsi, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 19 du décret du 14 mars 1986, M. D... n'a pas été informé de la possibilité dont il disposait également en vertu de ce même article de se faire entendre par la commission de réforme, ou de faire entendre le médecin et la personne de son choix ; que, dans les circonstances de l'espèce, ce défaut d'information a été de nature à priver M. D... d'une garantie ; qu'il est par suite fondé à obtenir l'annulation de la décision en litige pour ce motif ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 7 avril 2014 refusant l'imputabilité au service de la pathologie pour laquelle il a été mis en congé de maladie ordinaire du 16 septembre 2013 au 2 février 2014 ; qu'il y a lieu d'annuler le jugement et la décision en litige ;

Sur les conclusions à fin injonction :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. " ;

9. Considérant qu'eu égard au motif d'annulation qui le fonde, le présent arrêt n'implique pas nécessairement que La Poste procède aux rappels de traitement et au remboursement des frais et honoraires médicaux liés à la pathologie de l'appelant, mais seulement qu'après nouvelle séance de la commission de réforme dont M. D... sera informé dans les conditions fixées à l'article 19 du décret précité, elle réexamine la demande de M. D... tendant à ce que sa maladie soit reconnue imputable au service ; qu'il y a donc lieu pour la Cour, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à La Poste de prendre, après réexamen, une nouvelle décision sur la demande de M. D..., et ce, dans le délai de quatre mois suivant la notification du présent arrêt ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que qu'il soit mis à la charge de l'appelant, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que La Poste demande au titre des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ;








D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 5 février 2016 du tribunal administratif de Montpellier et la décision du 7 avril 2014 de la directrice des ressources humaines de la direction opérationnelle de la paye et du personnel de La Poste rejetant la demande de M. D... tendant à l'imputabilité au service de sa pathologie sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à La Poste, après réexamen, de reprendre une nouvelle décision sur la demande de M. D... tendant à ce que sa maladie soit reconnue imputable au service, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par La Poste sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E...D...et à La Poste.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2017, où siégeaient :

- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail président-assesseur,
- Mme Busidan, première conseillère.

Lu en audience publique, le 26 septembre 2017.
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N° 16MA01383