CAA de LYON, 4ème chambre - formation à 3, 01/02/2018, 15LY01862, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision01 février 2018
Num15LY01862
JuridictionLyon
Formation4ème chambre - formation à 3
PresidentM. d'HERVE
RapporteurMme Genevieve GONDOUIN
CommissaireM. DURSAPT
AvocatsTEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A...D...a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 3 janvier 2014 par laquelle le président de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie déclarée par son père en février 2013, dont il est décédé le 16 août 2013, d'enjoindre à l'INRA de reconnaître l'imputabilité au service de cette pathologie dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'INRA la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par le jugement n° 1400534 du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement les 5 juin 2015 et 20 avril 2016, Mme D..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 9 avril 2015 ;

2°) d'annuler la décision de l'INRA du 3 janvier 2014 refusant d'imputer au service la pathologie de son père ;
3°) d'enjoindre à l'INRA de reconnaître l'imputabilité au service de cette pathologie dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'INRA la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme D... soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas annulé la décision du 3 janvier 2014 alors que la plupart des produits auxquels était exposé son père contenaient du benzène ;
- il y a bien un lien de causalité entre la pathologie dont il est décédé et l'exposition qu'il a subie lorsqu'il travaillait à l'INRA ; le syndrome myélodysplasique est une hémopathie ; le tableau de maladies professionnelles n° 4 du régime général relatif aux hémopathies provoquées par le benzène vise notamment ce syndrome.


Par un mémoire en défense enregistré le 8 janvier 2016, l'Institut national de la recherche agronomique, représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de MmeD... ;

2°) et de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'INRA fait valoir que :
- le tribunal administratif n'a commis aucune erreur d'appréciation sur l'absence de lien de causalité entre la pathologie de M. D...et son activité professionnelle ;
- l'agent doit prouver le lien de causalité entre sa pathologie et les fonctions exercées, que la maladie figure ou non au sein des différents tableaux du code de la sécurité sociale ;
- ni le caractère cancérogène des produits phytosanitaires avec lesquels M. D... a été en contact durant son activité professionnelle ni le lien entre sa pathologie et ces produits ne sont établis ; les études générales produites par Mme D... ne peuvent en tout cas pas le faire.


Un mémoire produit par l'INRA, enregistré le 5 janvier 2018, n'a pas été communiqué.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gondouin,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
- les observations de Me E..., représentant Mme D... et de Me C... représentant l'INRA ;


1. Considérant que M. B...D..., technicien à l'Institut national de la recherche agronomique depuis 1983, est décédé au mois d'août 2013 des suites d'une myélodysplasie diagnostiquée en février 2013 ; que la commission de réforme départementale du Puy-de-Dôme a émis le 10 décembre 2013 un avis défavorable à l'imputabilité au service de cette maladie ; que, par une décision du 3 janvier 2014, le directeur de l'INRA a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de M. D... ; que Mme A...D..., qui a repris la procédure après le décès de son père, a saisi le tribunal administratif d'une demande d'annulation de cette décision ; qu'elle relève appel du jugement du 9 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande ;

2. Considérant que le 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État prévoit que le fonctionnaire en activité a droit : " / (...) / 2° À des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants (...). / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit en outre au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident " ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale : " Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau " ;

3. Considérant que, d'une part, aucune disposition ne rend applicables aux fonctionnaires relevant de la fonction publique de l'État, qui demandent le bénéfice des dispositions combinées du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 et de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale instituant une présomption d'origine professionnelle pour toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans des conditions mentionnées à ce tableau ;

4. Considérant que, d'autre part, en cas d'exposition du fonctionnaire à un environnement ou à des substances toxiques survenue dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions, les droits prévus par les dispositions précitées sont soumis à la condition que la maladie mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'accomplir son service soit en lien direct, mais non nécessairement exclusif avec cette exposition ; que, dans les cas où est en cause une affection à évolution lente, il appartient au juge de prendre en considération les éléments du dossier relatifs à l'exposition du fonctionnaire à cet environnement ou à ces substances, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer ; qu'il revient ensuite au juge de déterminer si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle ; que, lorsque tel est le cas, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'administration n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie ;

5. Considérant qu'il n'est pas contesté que M. B... D...a manipulé, au cours de sa carrière à l'INRA des produits phytosanitaires entre 1983 et 1996, ainsi que le rappelle le professeur Chamoux, consulté par l'INRA en tant qu'expert sur le fondement des dispositions de l'article 19-1 du décret ci-dessus visé du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ; qu'il ressort de ce rapport d'expertise daté du 4 octobre 2013, que de 1983 à 1993, M. D... a effectué des activités de triage, d'ensachage, de conditionnement, et d'expédition de colis ainsi que de traitement par Quinoléate de cuivre à partir d'un produit contenant de la Carbendazine et de l'Anthraquinone ; que, de 1986 à 1996, M. D..., responsable des traitements phytosanitaires, était exposé à une grande variété de pesticides comprenant insecticides, fongicides, herbicides, certains étant connus pour avoir une toxicité spécifique, comme le Paraquat, l'Hexachlorocyclohéxane et l'Atrazine ; que le même rapport relève également l'utilisation de Pyrèthre et Pyréthrinoïdes ;

6. Considérant que, comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier des conclusions du rapport de l'expert consulté, comme il a été dit au point 5, sur le fondement de l'article 19-1 du décret du 14 mars 1986, que M. B... D...a été exposé dans le cadre de ses fonctions de 1983 à 1996, dix-sept ans avant la survenue de la pathologie, au Cyclosphamide, au Chlorambucil et à des rayonnements ionisants, facteurs cités dans l'étiologie des syndromes myélodysplasiques ; que, parmi ces facteurs favorisant ces syndromes, figure également le benzène qui entre, selon des dosages variables, dans la composition de nombreux produits, en particulier les pesticides ; qu'il ne ressort toutefois pas de l'ensemble des pièces du dossier, que M. D... au cours de son activité a été exposé à des doses significatives de benzène ; qu'en particulier le rapport d'expertise toxicologique produit par Mme D..., réalisé en septembre 2005 pour les besoins d'une instance devant un tribunal des affaires de sécurité sociale ne concernant pas M. D... et à partir des échantillons fournis par l'une des parties à cette instance, ne peut permettre d'établir que son père a été exposé au même risque avec les mêmes conséquences ; que les différents jugements de tribunaux des affaires de sécurité sociale ou les déclarations de maladie professionnelle faites par des agriculteurs utilisateurs de produits phytosanitaires dont se prévaut par Mme D... ne permettent pas davantage de l'établir ;

7. Considérant que la requérante produit également de nombreuses études scientifiques faisant état d'un lien entre l'exposition aux pesticides et l'apparition de nombreuses pathologies ou cancers du sang ; qu'il en va ainsi, en particulier, de l'étude de juin 2013 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale intitulée "Pesticides - Effets sur la santé" qui mentionne, d'une part, la présomption d'un lien entre une telle exposition et les lymphomes non-hodgkiniens ainsi que les leucémies et, d'autre part, une augmentation des risques de survenue de lymphomes hodgkiniens et de plasmocytomes sous forme de myélomes multiples chez les professionnels exposés aux pesticides ; que, toutefois, s'agissant de la maladie particulière de M. D..., l'étude évoque simplement la plausibilité d'une relation entre l'exposition à certains produits et des troubles hématopoïétiques ou relève l'insuffisance de recherches ou de résultats probants sur le sujet ; qu'en outre, les résultats de la méta-analyse publiée en langue anglaise en octobre 2014 par huit membres d'un service d'hématologie de la République populaire de Chine, s'ils confirment l'hypothèse " que l'exposition aux pesticides augmente le risque de développement de syndromes myélodysplasiques ", ne permettent pas d'établir qu'existe un lien direct entre la pathologie qui a affecté M. D... et son activité professionnelle à l'INRA entre 1983 et 1996 ;

8. Considérant que le professeur Chamoux a conclu dans son rapport du 4 octobre 2013 à l'absence de lien de causalité directe entre l'activité professionnelle et la maladie de M. D... ; qu'à la suite de ce rapport, la commission de réforme départementale du Puy-de-Dôme a émis un avis défavorable à l'imputabilité au service de cette maladie, en l'absence de lien de causalité ; qu'au vu des données admises de la science, il n'existe pas une probabilité suffisante que la pathologie qui a affecté M. D... et causé son décès soit en lien direct avec son activité professionnelle ; que, dès lors, le président de l'INRA n'a pas fait une application erronée des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 précitée en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie du père de la requérante ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande ; que ses conclusions à fin d'injonction doivent, par suite, être également rejetées ;


Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que Mme D...étant, en l'espèce, partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'INRA quelle que somme que ce soit ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de Mme D... ;


DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Institut national de la recherche agronomique présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... et à l'Institut national de la recherche agronomique.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2018 où siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Gondouin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er février 2018.
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N° 15LY01862