CAA de PARIS, 4ème chambre, 13/12/2016, 15PA03324, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C...B...a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Nangis à lui verser une somme de 250 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la maladie professionnelle dont elle est atteinte.
Par un jugement n° 1402685 du 19 juin 2015, le Tribunal administratif de Melun a condamné la commune de Nangis à lui verser une somme de 4 000 euros et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 août 2015 et 2 mai 2016, MmeB..., représentée par MeE..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1402685 du 19 juin 2015 ;
2°) de condamner la commune de Nangis à lui verser une somme de 250 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les dispositions du code du travail relatives à la santé et la sécurité au travail sont applicables aux fonctionnaires territoriaux, par l'effet de l'article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984, et sont complétées par les dispositions du décret du 10 juin 1985 ;
- la responsabilité de la commune est engagée pour faute, compte tenu de l'absence d'information sur la dangerosité des produits employés dans le cadre de ses attributions et de l'absence de reclassement dans des fonctions adaptées à son état de santé, après l'avis émis par la commission départementale de réforme du 8 novembre 1984 faisant état de ces risques ;
- la formation reçue en 1999 sur ces risques et le concours passé en 2006, qui ne comportait pas d'épreuves relatives à ces risques, ne suffisent pas à écarter la responsabilité de la commune ;
- le renouvellement, à sa demande, de sa mise à disposition est sans incidence sur la faute commise par la commune ;
- la proposition de reclassement qui lui a été faite dans des conditions dégradantes, sans consultation préalable du médecin du travail, lui a causé un préjudice moral ;
- la faute inexcusable de la commune lui ouvre droit à une indemnisation complémentaire à la pension qui lui est servie ;
- la faute de la commune a engendré un état dépressif et des douleurs.
Par des mémoires en défense enregistrés les 11 février 2016 et 15 novembre 2016, la commune de Nangis, représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de Mme B...;
2°) de réformer le jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser une somme de 4 000 euros à l'intéressée et de rejeter sa demande ;
3°) de mettre à la charge de Mme B...le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il est nécessaire de distinguer entre la pathologie dermatologique de 1984 et la pathologie respiratoire de 2012 ;
- aucune faute de sa part n'est établie ;
- les préjudices dont la requérante demande réparation ne sont pas établis ;
- Mme B...a participé à la dégradation de son état de santé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ;
- le décret n°85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail, ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- et les observations de Me D...pour la commune de Nangis.
1. Considérant que MmeB..., agent technique principal de 2ème classe de la commune de Nangis, a exercé la fonction d'agent d'entretien au sein de la piscine municipale de 1975 à 1982, et de septembre 1982 au 30 septembre 2012 au sein des écoles primaires, en ayant également pour tâche le nettoyage des salles de cantine et des bureaux des ateliers municipaux ; qu'elle a été placée en congé pour maladie professionnelle du 1er octobre 2012 au 4 septembre 2014 ; qu'elle relève appel du jugement du 19 juin 2015 par lequel le Tribunal administratif de Melun a condamné la commune à réparer ses préjudices imputables à sa maladie professionnelle reconnue par arrêté du
17 décembre 2012, en limitant à 4 000 euros le montant de l'indemnité, et a rejeté le surplus de ses conclusions ; que la commune de Nangis demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande de MmeB... ;
Sur la responsabilité de la commune de Nangis :
2. Considérant qu'en vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l'Etat qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services ; que les articles 36 et 37 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales prévoient, conformément aux prescriptions du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, des règles comparables au profit des agents relevant de cet organisme ;
3. Considérant que les dispositions qui déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions, ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien incombait à celle-ci ;
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
4. Considérant, en premier lieu, que pour soutenir que la commune de Nangis a manqué à son obligation de sécurité en l'exposant à l'utilisation quotidienne de produits d'entretien nocifs pour sa santé, tant lors de son affectation à la piscine municipale que dans les locaux scolaires,
Mme B...se borne, en appel comme en première instance, à mentionner l'emploi d'insecticides, de produits anticalcaires et d'eau de javel, sans plus de précisions sur les caractéristiques de ces produits, dont elle ne conteste pas que l'usage professionnel est autorisé, ni sur les conditions de leur utilisation pendant son service ; qu'il n'est par ailleurs pas contesté que la commune a toujours mis à sa disposition le matériel de protection adapté à ses fonctions ; que, dans ces conditions, la commune n'a pas méconnu l'obligation de sécurité mise à sa charge par le décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail, ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale susvisé ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à la commune de communiquer à MmeB..., qui n'en a d'ailleurs pas fait la demande, l'avis émis par la commission de réforme le 8 novembre 1984 à la suite de son congé de maladie accordé pour un eczéma aux mains survenu entre novembre et décembre 1982 ; que si cet avis préconisait une affectation sur un poste exempt de manipulation de produits allergisants, sans toutefois déclarer l'intéressée inapte aux fonctions d'agent d'entretien, il est constant qu'à compter de septembre 1982 Mme B...n'était plus affectée à l'entretien de la piscine municipale mais à celui des locaux scolaires, ladite affectation impliquant moins de manipulation de produits allergisants, que Mme B...n'a jamais contestée ; qu'il est par ailleurs constant que le médecin du travail l'a régulièrement déclarée médicalement apte à de telles fonctions jusqu'en 2012, date d'apparition de la pathologie respiratoire reconnue comme maladie professionnelle ; que, dans ces conditions, ni la teneur de l'avis de la commission de réforme de 1984, ni aucun autre élément ultérieur ne permettant à la commune de considérer que les fonctions de Mme B...étaient incompatibles avec son état de santé, la commune n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité en n'informant pas Mme B...de la dangerosité des produits employés pour sa santé, et en ne lui proposant pas une affectation ne comportant aucun contact avec des produits d'entretien à compter du 8 novembre 1984 ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que lors de l'entretien accordé à Mme B...le 10 janvier 2013, afin de lui proposer un reclassement sur un poste d'entretien des espaces verts, les agents de la commune, qui se sont bornés à relever l'absence de produits d'entretien et la formation technique dont bénéficierait MmeB..., auraient tenu à son égard des propos vexatoires ; que, par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à la commune de consulter le médecin du travail avant d'évoquer ce reclassement avec l'intéressée ; que si le médecin du travail ultérieurement consulté a émis un avis défavorable à ce reclassement, qui de ce fait n'a pas été mis en oeuvre, cette seule circonstance ne suffit pas à caractériser une faute de la commune de nature à engager sa responsabilité à l'égard de MmeB... ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la maladie professionnelle de Mme B...ne peut être reconnue comme imputable à une faute de la commune de Nangis ;
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
8. Considérant que la pathologie respiratoire dont est atteinte Mme B...depuis 2012 a été qualifiée de maladie professionnelle par arrêté du 17 décembre 2012 ; que, de ce seul fait,
Mme B...peut prétendre à une indemnité complémentaire réparant les chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique, dont il est établi qu'ils ont été causés par cette pathologie ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du
5 décembre 2012, que MmeB..., qui en a présenté les premiers symptômes en 2009, est atteinte de rhinite et d'asthme professionnels qui entrainent une incapacité permanente partielle de 10 % ; que de ce seul fait l'intéressée établit l'existence de troubles dans ses conditions d'existence et d'un préjudice moral ; que Mme B...ne contestant pas présenter un terrain allergique et une tabagie, qui ont concouru à l'aggravation de sa pathologie, le Tribunal administratif de Melun a fait une juste appréciation de ses préjudices en les évaluant globalement à la somme de 4 000 euros ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à solliciter la réformation du jugement attaqué ; que, pour les mêmes motifs, les conclusions incidentes de la commune de Nangis tendant au rejet de la demande de Mme B...doivent également être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de la commune de Nangis, ainsi que celles formées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié Mme C...B...et à la commune de Nangis.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- M. Dellevedove, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 décembre 2016.
Le rapporteur,
P. HAMONLe président,
B. EVEN
Le greffier,
I. BEDRLa République mande et ordonne au préfet de la Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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