CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 06/11/2018, 16BX02420, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision06 novembre 2018
Num16BX02420
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre - formation à 3
PresidentM. REY-BETHBEDER
RapporteurM. Manuel BOURGEOIS
CommissaireM. NORMAND
AvocatsMARTHELI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de la Martinique, d'une part, de condamner solidairement l'État et la collectivité territoriale de Martinique (CTM) à lui verser une somme de 373 180, 08 euros au titre du préjudice de carrière résultant de sa chute survenue le 4 mai 2001, de condamner l'État à lui verser une somme de 22 500 euros au titre du préjudice moral qu'il a subi en raison du blocage de son avancement et de condamner la CTM à lui verser la somme de 1 280 119,88 euros en réparation des autres préjudices qui lui a causés cette chute, d'autre part, de dire et juger qu'il a droit au bénéfice d'une allocation pour incapacité permanente partielle et non d'une allocation temporaire d'invalidité.

Par un jugement n° 1300727 du 12 mai 2016, le tribunal administratif de la Martinique a condamné solidairement l'État et la CTM à lui verser une somme totale de 236 620 euros.

Procédure devant la cour :

Par un recours, enregistré le 20 juillet 2016 et un mémoire enregistré le 13 juillet 2017, le ministre de l'éducation nationale demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 12 mai 2016 et de rejeter les demandes présentées par M. A... devant le tribunal administratif de la Martinique.

Il soutient que
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit en s'abstenant de soulever d'office l'irrecevabilité de la demande présentée devant le tribunal administratif ;
- le contentieux n'a pas été lié par une demande préalable ;
- le préjudice subi par M. A...au titre de l'assistance par une tierce personne doit être ramené, avant indexation, à une somme annuelle fixée à 2 394 euros ; que M. A...ne justifie pas de la nécessité de procéder à l'aménagement de son domicile et que les préjudices extrapatrimoniaux de ce dernier doivent être ramenés à de plus justes proportions.

Par des mémoires, enregistrés les 5 octobre 2016 et 8 août 2017, M.A..., représenté par MeD..., conclut à ce que le jugement attaqué soit réformé en tant qu'il n'a pas condamné l'État et la CTM à lui verser solidairement la somme totale de 922 310,22 euros en réparation de ses préjudices, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge solidaire de l'État et la CTM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que, s'agissant d'un dommage de travaux publics, il n'était pas tenu de former une demande indemnitaire préalable, et qu'il justifie de la réalité et du quantum de ses préjudices.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-924 du 30 août 1985 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.E...,
- les conclusions de M. Normand, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., substituant MeD..., représentant M.A....


Considérant ce qui suit :

1. M.A..., professeur certifié, né en 1954, a été victime, le 4 mai 2001, d'une chute dans un escalier du lycée Acajou I au Lamentin au sein duquel il était affecté. L'imputabilité au service de cet accident a été reconnue par une décision du recteur de l'académie de la Martinique du 17 juillet 2008. Le ministre de l'éducation nationale demande à la cour d'annuler le jugement du 12 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a condamné solidairement l'État et la collectivité territoriale de Martinique (CTM) à verser à M. A...une somme totale de 236 620 euros en réparation de ses préjudices. Par la voie du recours incident, M. A...demande à la cour, à titre principal, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas condamné l'État et la CTM à lui verser solidairement la somme totale de 922 310,22 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa version alors en vigueur : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ".

3. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que la chute dont a été victime M. A... est imputable à un ouvrage public immobilier et caractérise ainsi un dommage de travaux publics. Par suite, le ministre de l'éducation nationale n'est pas fondé à soutenir que la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif était irrecevable, faute pour celui-ci d'avoir lié le contentieux à son égard en lui adressant une demande indemnitaire. Par voie de conséquence, le ministre n'est pas non plus fondé à soutenir que le tribunal administratif a méconnu son office en s'abstenant de soulever d'office l'irrecevabilité de la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif.


Sur la responsabilité :

4. Ni la CTM ni l'État n'ont entendu critiquer le jugement attaqué en tant qu'il a retenu l'engagement solidaire de leur responsabilité dans l'accident dont à été victime M. A...à raison des défauts de conception et d'entretien qui affectaient l'ouvrage et des manquements du chef d'établissement à l'obligation d'assurer la sécurité des personnes qui, en vertu des dispositions de l'article 8 du décret n°85-924 du 30 août 1985, lui incombait.


Sur les préjudices :

En ce qui concerne le préjudice patrimonial :

5. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert judiciaire, d'une part, que M. A...demeure atteint de troubles sensitifs des membres supérieurs, d'une nette diminution de la force musculaire, d'une mobilité limitée et douloureuse de la colonne vertébrale tant à la flexion qu'à l'extension ainsi qu'aux inflexions latérales et d'une flexion antérieure très limitée, la distance sol-doigts étant de 60 centimètres, d'autre part, qu'il a besoin, à raison de ces handicaps, d'une assistance par une tierce personne à raison de trois heures par semaine. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des coûts correspondants en les évaluant, compte tenu d'une rémunération horaire fixée par les premiers juges à 14 euros augmentée des charges sociales, à la somme de 9 576 euros pour la période antérieure au présent arrêt puis à une somme de 42 881,32 euros après application de l'euro de rente prévu au barème publié à la Gazette du palais le 28 novembre 2017 pour la période postérieure à cet arrêt.

6. En outre, M. A...ne justifie ni de la nécessité d'une assistance par tierce personne plus conséquente, ni de celle d'adapter son logement à son handicap et d'acquérir un véhicule adapté à ce même handicap en se bornant à produire des attestations établies par son médecin traitant pour les besoins de la cause.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

7. L'expert a évalué les souffrances endurées par M. A...à 5 sur 7. En outre, il résulte des pièces du dossier que certaines de ces souffrances présentent un caractère permanent ou quotidien. Dans ces conditions, il y a lieu de fixer ce chef de préjudice à la somme de 23 000 euros.

8. À la suite de la chute dont s'agit, M. A...a subi, en 2001, un déficit fonctionnel temporaire total d'une durée de quatre mois. Il a par ailleurs fait l'objet d'une intervention chirurgicale en novembre 2005, qui n'a malheureusement pas permis une amélioration de son état de santé. Enfin, l'expert judiciaire a évalué à 42 % le déficit fonctionnel permanent dont reste atteint M. A...à compter de la consolidation de son état de santé le 12 octobre 2014 et ce taux n'est plus contesté, en appel, par le ministre. Il sera fait une juste évaluation du préjudice résultant de ces différents déficits fonctionnels en l'évaluant à la somme globale de 85 000 euros.

9. Au vu des pièces produites à l'instance, notamment du rapport d'expertise qui qualifie ces préjudices d' " importants ", la fixation par les premiers juges des préjudices d'agrément et sexuel de M.A..., aux sommes, respectivement de 20 000 et 4 000 euros résulte de justes appréciations qu'il y a lieu de confirmer.

10. Enfin, si M. A...fait valoir que des antidépresseurs lui ont été prescrits à compter de l'année 2007, il n'établit pas que les premiers juges ont fait une inexacte appréciation de son préjudice moral directement lié à la chute susmentionnée en le fixant à la somme de 4 000 euros.

11. Il résulte de ce qui précède que la somme que l'État et la CTM ont été solidairement condamnés à verser à M. A...doit être ramenée à 188 457,32 euros. Cette somme devra être versée à M. A...dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il soit besoin d'assortir cette prescription d'une astreinte.


Sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de l'État et de la CTM la somme que demande M. A...au titre des frais qu'il a exposés pour l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : L'État et la collectivité territoriale de Martinique sont solidairement condamnés à verser à M. A...la somme de 188 457,32 euros en réparation de ses préjudices.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 12 mai 2016 est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., au ministre de l'éducation nationale, à la collectivité territoriale de Martinique, et à la mutuelle générale de l'éducation nationale.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 novembre 2018.

Le rapporteur,
Manuel E...
Le président,
Éric Rey-BèthbéderLe greffier,
Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°16BX02420