CAA de NANTES, 3ème chambre, 07/02/2020, 18NT00775, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision07 février 2020
Num18NT00775
JuridictionNantes
Formation3ème chambre
PresidentMme PERROT
RapporteurM. Arnaud MONY
CommissaireM. GAUTHIER
AvocatsSELARL HOUDART & ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier universitaire de Nantes à lui verser la somme totale de 887 491,19 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident de service dont elle a été victime le 8 avril 2004.

Par un jugement n° 1402787 du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a partiellement fait droit à sa demande en lui accordant une indemnisation d'un montant de 302 800 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 février 2018 et 30 août 2019 le centre hospitalier universitaire de Nantes, représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 décembre 2017 ou, subsidiairement, de le réformer en ramenant à de plus justes proportions l'indemnisation accordée à Mme G... au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux, au besoin après avoir ordonné une nouvelle expertise médicale ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme G... devant le tribunal administratif de Nantes ;

3°) de mettre à la charge de Mme G... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'expertise judiciaire sur laquelle s'est basé le tribunal administratif est irrégulière car elle a été menée de manière non contradictoire ; en effet il n'a pas été mis en situation de pouvoir présenter ses propres observations au sujet des différents documents médicaux communiqués à l'expert par Mme G... ; cette irrégularité entraîne celle du jugement attaqué dès lors que le tribunal a utilisé les conclusions de cette expertise ;
- les demandes formulées le 13 novembre 2013 par Mme G... étaient prescrites, le point de départ du délai de prescription étant le 1er janvier de l'année suivant la consolidation soit le 1er janvier 2009 ; à cet égard la date de consolidation retenue par l'expert judiciaire est erronée ; l'avis de la CNRACL du 24 octobre 2011 et la décision du 25 octobre 2011 du directeur du CHU relatifs à la rente d'invalidité accordée à Mme G... n'ont pas interrompu le délai de prescription, qui a expiré le 1er janvier 2013 ;
- les demandes indemnitaires présentées par Mme G... sont excessives et le montant d'indemnisation accordé par le tribunal administratif doit être ramené à de plus justes proportions ; le taux d'incapacité retenu par l'expert judicaire est erroné et non conforme au barème national d'évaluation médico-légale ; l'évaluation des souffrances endurées est également erronée et le montant accordé à ce titre est excessif ; il en va de même en ce qui concerne le préjudice esthétique ; aucune preuve sérieuse n'est apportée de ce que Mme G... pratiquait régulièrement des activités sportives et de loisirs spécifiques ; les prétentions indemnitaires de la requérante relatives au besoin d'assistance par tierce personne ne sont pas fondées dans leur étendue ;
- en outre les différentes expertises menées sont contradictoires en ce qui concerne l'étendue des préjudices et n'ont pas tenu compte de l'état antérieur de l'intéressée ;
- il ne pouvait être accordé par le tribunal au titre des préjudices extra-patrimoniaux davantage que ce réclamait la requérante ;
- les préjudices patrimoniaux dont fait état Mme G... ne peuvent donner lieu à indemnisation en dehors de toute faute de sa part ;
- Mme G... n'a pas invoqué la responsabilité fautive dans le délai de recours contentieux et ses conclusions présentées à ce titre sont irrecevables.

Par un mémoire enregistré le 5 avril 2018 Mme G..., représentée par Me F... puis Me D..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses conclusions ;

3°) à la condamnation du CHU de Nantes à lui verser la somme totale de 677 767,87 euros ;

4°) à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge du CHU au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
- le montant d'indemnisation qui lui a été accordé au titre de son incapacité permanente doit être porté à 179 075 euros en raison de l'importance de son déficit fonctionnel permanent et de son espérance de vie, le montant de l'indemnisation pour les souffrances endurées doit être porté à 8 000 euros, le montant de l'indemnisation de son préjudice esthétique doit être porté à 7 000 euros, elle doit être indemnisée d'un préjudice d'agrément ;
- elle est en droit de prétendre à une assistance par tierce personne jusqu'en 2028 et l'indemnisation qui doit lui être accordée à ce titre doit être portée à 473 842,87 euros ;
- le coût de l'expertise réalisée par le Dr Kalfon doit être mis à la charge du centre hospitalier ;
- les moyens invoqués par le CHU de Nantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de Me C..., représentant le CHU de Nantes, et de Me B..., représentant Mme G....


Considérant ce qui suit :

1. Mme G..., aide-soignante au CHU de Nantes, a été victime le 8 avril 2004 d'un accident dont l'imputabilité au servie a été reconnue. Elle a été admise, à sa demande, à la retraite pour invalidité à compter du 1er janvier 2012. Elle a adressé le 13 novembre 2013 une demande préalable à son employeur en vue de l'indemnisation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'accident dont elle a été victime. Elle a formé, après le rejet implicite de cette demande, un recours indemnitaire devant le tribunal administratif de Nantes. Cette juridiction, par un jugement avant dire droit du 9 novembre 2016, a ordonné une expertise judicaire. L'expert a remis son rapport le 23 juin 2017. Par un jugement du 20 décembre 2017, le tribunal administratif a condamné le CHU de Nantes à indemniser Mme G... à hauteur de 302 800 euros. Le CHU de Nantes relève appel de ce jugement. Mme G..., par la voie de l'appel incident, demande la réformation de ce jugement en ce que les montants qui lui ont été accordés sont insuffisamment élevés.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 modifiée : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence ou au paiement de la créance alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (...) ".
3. Le fait générateur de la créance dont se prévaut Mme G... est constitué par l'accident de service dont elle a été victime le 8 avril 2004. La date de consolidation de son état de santé a été fixée au 13 février 2008 par l'expert désigné par l'administration dans le cadre de la demande de la requérante tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de ses arrêts de travail du 29 mars 2007 au 13 février 2008, par la commission de réforme dans son avis du 10 avril 2008 et par la Caisse des dépôts et consignations dans une décision du 12 février 2009. Si elle a été ultérieurement fixée au 1er janvier 2012, date à laquelle a pris effet la décision admettant Mme G... à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité, par l'expert auquel elle a demandé d'établir un rapport sur son état de santé puis par l'expert désigné par le tribunal, la détermination de cette seconde date, qui n'est pas assortie de précisions relatives à une évolution de l'état de santé de Mme G... permettant d'estimer que son état n'était pas consolidé à la date du 13 février 2008 initialement retenue, est dépourvue de fondement. Il suit de là que le délai de prescription a commencé à courir le 1er janvier 2009.
4. Toutefois, Mme G... a été admise à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité par une décision du directeur du CHU de Nantes du 25 octobre 2011, sur la base de l'avis favorable émis par la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) le 24 octobre 2011, qui précise que la pension de retraite sera assortie d'une rente d'invalidité au taux de 45 %, sans majoration pour tierce personne. L'attribution de cette rente a une incidence sur la nature des préjudices dont l'agent peut demander l'indemnisation à la personne publique responsable de l'accident dont il a été victime. Par suite, l'avis de la CNRACL du 24 octobre 2011 et la décision du directeur du CHU de Nantes du 25 octobre 2011 ont constitué, au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, des communications écrites d'une administration intéressée, ayant trait au montant de la créance, de nature à interrompre le délai de prescription quadriennale. Ainsi, le nouveau délai de quatre ans, qui avait commencé à courir le 1er janvier 2012, n'était pas venu à expiration lorsque Mme G... a adressé au CHU de Nantes, le 13 novembre 2013, une réclamation préalable tendant à l'indemnisation du préjudice causé par l'accident du travail dont elle avait été victime en 2004. L'exception de prescription opposée en défense doit, dès lors, être écartée.
Sur la régularité de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif :

5. Le CHU de Nantes soutient que les opérations d'expertise n'ont pas été contradictoires, en ce que les pièces médicales communiquées à l'expert par Mme G... ne lui auraient pas été transmises, et qu'il a ainsi été privé de la possibilité de présenter à l'expert des observations.
6. Il résulte toutefois de l'instruction, d'une part, que le centre hospitalier dument convoqué n'a pas envoyé de représentant aux opérations d'expertise, d'autre part, que les documents apportés le jour de l'expertise par Mme G... étaient déjà connus de lui ou auraient pu l'être par le recours à un médecin conseil susceptible de les consulter sans que lui soit opposé le secret médical. Par ailleurs le centre hospitalier, qui au demeurant a disposé de tous les éléments en discussion dans le cadre du débat contradictoire devant les premiers juges, ne fournit aucun élément permettant d'établir qu'il n'aurait pas été en mesure de faire valoir auprès de l'expert, avant que ce dernier ne remette son rapport, d'éventuelles observations relatives à l'état de santé de Mme G.... Il suit de là que l'irrégularité des opérations d'expertise invoquée par le CHU de Nantes n'est pas établie.

Sur le fond :

7. Si la cour dispose déjà de deux rapports d'expertise, l'un établi à titre privé par un médecin pour le compte de Mme G..., l'autre établi par l'expert désigné par le tribunal administratif de Nantes, il résulte de l'instruction qu'aucun de ces rapports ne se prononce explicitement sur l'éventuelle incidence, sur les séquelles dont souffre Mme G..., de son état de santé antérieur à l'accident de service alors même qu'il est établi que l'intéressée a subi une fracture au niveau de l'épiphyse cubitale gauche, zone aujourd'hui atteinte de neuro-algodystrophie. Par ailleurs, il subsiste en l'état actuel de l'instruction des incertitudes sur le taux d'incapacité permanente réel dont reste atteinte l'intéressée tant en ce qui concerne les difficultés de préhension de la main gauche que les difficultés de locomotion. Enfin la détermination du besoin d'assistance par tierce personne avant et après que les enfants de Mme G... auront atteint leur majorité est en l'état actuel dépourvue de précisions suffisantes. Dans ces conditions, la cour n'étant pas en mesure de se prononcer de manière éclairée sur l'étendue des préjudices de l'intéressée, il y a lieu d'ordonner une nouvelle expertise sur les points précisés ci-dessous.
D E C I D E :


Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête, procédé à une nouvelle expertise médicale de l'état de Mme G..., avec mission pour l'expert :
1°) se faire communiquer l'ensemble des documents médicaux utiles à sa mission, notamment tous ceux relatifs aux examens et soins réalisés sur l'intéressée, examiner Mme G..., en présence du CHU de Nantes, et décrire son état de santé actuel ;
2°) indiquer précisément les séquelles dont souffre aujourd'hui l'intéressée qui sont en relation directe et certaine avec l'accident survenu le 8 avril 2004 et dire en particulier si les antécédents caractérisant l'état de santé de Mme G... antérieur au 8 avril 2004 ont pu concourir à l'apparition de ces séquelles ;
3°) fixer le taux du déficit fonctionnel permanent résultant de l'accident de service du 8 avril 2004 subsistant après consolidation, en détaillant précisément chacune des incapacités dont souffre l'intéressée, et en indiquant le ou les référentiels utilisés pour déterminer ce taux ;
4°) indiquer si l'état de santé nécessite des aménagements particuliers de son véhicule automobile et, si oui, lesquels ;
5°) indiquer si l'état de santé nécessite de recourir à l'assistance d'une tierce personne, en précisant, le cas échéant, la qualification requise, la quotité de temps nécessaire (nombre d'heures hebdomadaires) et la durée prévisible dans le temps de ce besoin d'assistance (nombre d'années), en la détaillant en fonction de la composition familiale ;
6°) se prononcer sur l'intensité des souffrances physiques et morales endurées par Mme G... et de son préjudice esthétique, en les évaluant chacun sur une échelle de 1 à 7 ;
7°) se prononcer sur l'existence ou pas d'un préjudice d'agrément et, le cas échéant, d'en évaluer, après l'avoir décrit, l'importance, sur une échelle de 1 à 7 ;
8°) donner son avis sur les incidences de la pathologie consécutive à l'accident de service de Mme G... sur la vie personnelle, familiale et sociale de l'intéressée (à cet égard l'expert pourra procéder à la description d'une journée-type de l'intéressée).
Article 2 : L'expert, qui pourra, selon les modalités requises par l'article R. 621-2, s'adjoindre des sapiteurs, accomplira sa mission dans les conditions prévues par les
articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai de trois mois.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Nantes et à Mme I....


Délibéré après l'audience du 23 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président,
- Mme H..., présidente assesseure,
- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 février 2020.


Le rapporteur
A. A...Le président
I. Perrot
Le greffier
M. C...


La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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