CAA de BORDEAUX, 1ère chambre, 14/05/2020, 18BX02617, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision14 mai 2020
Num18BX02617
JuridictionBordeaux
Formation1ère chambre
PresidentMme PHEMOLANT
RapporteurM. David TERME
CommissaireMme CABANNE
AvocatsDUPEY

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 4 janvier 2016 par laquelle le recteur de l'académie de Toulouse a rejeté sa demande du 2 juillet 2015 tendant à l'annulation de sa mise à la retraite et à sa réintégration, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux à l'encontre de cette décision du 4 janvier 2016, d'annuler sa demande d'admission à la retraite du 26 janvier 2015 et d'enjoindre à l'administration de la réintégrer en reconstituant sa carrière.

Par un jugement n° 1602755 du 6 juin 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juillet 2018, Mme E..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- l'arrêté du 21 avril 2015 est entaché d'erreur de droit dès lors que sa demande de mise à la retraite a été effectuée alors que son consentement était altéré, sur la base d'informations lacunaires ou erronées, et qu'elle est par la suite revenue expressément sur cette demande ;
- l'arrêté du 21 avril 2015 est entaché d'un vice de procédure dès lors que l'administration était tenue de lui proposer un reclassement sur un poste aménagé ;
- l'avis du comité médical départemental du Tarn du 17 septembre 2015 a été rendu selon une procédure irrégulière et est entaché d'un défaut de motivation ;
- l'avis de la commission de réforme du 15 décembre 2015 est entaché d'un vice de procédure dès lors que son représentant n'a pas été convoqué ;
- la décision du 4 janvier 2016 est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que son aptitude à reprendre ses fonctions a été constatée par le médecin expert mandaté par la commission de réforme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 août 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- la requête présentée devant le tribunal administratif est tardive ;
- les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... C...,
- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., chargée d'enseignement d'éducation physique et sportive de classe exceptionnelle depuis le 1er septembre 1997, a été placée en congé de longue maladie fractionné à compter du 27 février 2009. Ce congé devait prendre fin au 3 juillet 2015. Le 29 janvier 2015, Mme E... a demandé sa mise à la retraite pour invalidité à l'issue de ce congé. Par arrêté du 21 avril 2015, après avis du comité médical départemental du 19 mars 2015, la rectrice de l'académie de Toulouse l'a admise à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 3 juillet 2015. Par courrier du 2 juillet 2015, Mme E... a demandé l'annulation de sa mise à la retraite et sa réintégration. Cette demande a été expressément rejetée par la rectrice par arrêté du 4 janvier 2016, pris après avis du comité médical départemental et de la commission de réforme. Par courrier du 2 mars 2016, par l'intermédiaire de son conseil, Mme E... a demandé à la rectrice de l'académie de Toulouse d'annuler cette décision du 4 janvier 2016 et de faire droit à sa demande de réintégration. Elle relève appel du jugement du 6 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.


Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent code les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées à l'administration ". Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'une erreur entachant l'indication des voies et délais de recours, qui doit figurer, en vertu des dispositions législatives précitées, dans la notification d'une décision de rejet d'un recours gracieux, rend inopposable le délai de recours qui eût couru en l'absence d'erreur et qu'un tribunal administratif ne peut rejeter, comme tardive et par suite irrecevable, une demande tendant à l'annulation d'une décision que si le demandeur a été averti, dans la notification de cette décision, en des termes dépourvus d'ambiguïté, des voies et délais de recours dont il disposait effectivement.
3. Il ressort des pièces du dossier que la notification de la décision du 4 janvier 2016 de la rectrice de l'académie de Toulouse en réponse à la demande de Mme E... du 2 juillet 2015 indiquait notamment qu'un recours gracieux conservant le délai de recours contentieux pouvait être formé contre cette nouvelle décision. Si le tribunal a estimé que le recours gracieux formé le 4 mars 2016 à l'encontre de cette décision du 4 janvier 2016 constituait un second recours gracieux insusceptible de conserver le délai de recours à l'encontre de la décision du 21 avril 2015, la mention des voies et délais figurant dans la notification de la décision du
4 janvier 2016 faisait obstacle à ce que l'absence de conservation du délai de recours contentieux pût être opposée à la demande de Mme E.... Mme E... est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que sa requête a été regardée comme irrecevable et rejetée, pour ce motif, par le jugement attaqué qui se trouve de ce fait entaché d'irrégularité et doit être annulé.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la requête présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Sur les conclusions en annulation :

5. Les conclusions de Mme E... doivent être interprétées comme tendant à l'annulation de la décision du 21 avril 2015 l'admettant à faire valoir ses droits à la retraite et à l'annulation de la décision du 4 janvier 2016 portant rejet de sa demande d'annulation de cette décision et de réintégration ainsi que de celle du 4 mai 2016 rejetant implicitement son recours gracieux à l'encontre de cette dernière décision.



En ce qui concerne l'arrêté du 21 avril 2015 :

6. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction applicable : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office (...) ".
7. La circonstance que Mme E... ait changé d'avis et demandé l'annulation de sa mise à la retraite par courrier du 2 juillet 2015, soit la veille de la date de prise d'effet de l'arrêté du 21 avril 2015, n'est pas de nature à faire regarder ce dernier, dont la légalité s'apprécie à la date de sa signature, comme entaché d'erreur de droit ou reposant sur des faits matériellement inexacts.
8. Il ressort des pièces du dossier que la demande de mise à la retraite pour invalidité à l'issue de son congé de longue maladie, formulée par Mme E... le 29 janvier 2015, était claire et non équivoque et ne faisait état d'aucune volonté de sa part de reprendre le travail à l'issue de son congé de longue maladie. Par ailleurs, l'avis du comité médical départemental du 19 mars 2015, dont les termes sont repris par celui du 17 septembre 2015, faisait état d'une inaptitude totale et définitive à tout poste de travail. Enfin, si Mme E... soutient que l'administration était tenue de lui proposer un poste adapté en raison de l'amélioration de son état de santé résultant d'une intervention chirurgicale subie au mois de mai 2015, cette circonstance est postérieure à l'arrêté du 21 avril 2015 et la requérante produit seulement pour étayer cette affirmation un courrier faisant état de la réalisation d'une " infiltration échoguidée de la bourse calcanéenne droite " qui ne se prononce pas sur son état de santé général ni sur son aptitude au travail. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'administration aurait dû proposer à la requérante un poste adapté doit être écarté.
9. Si Mme E... fait désormais valoir, en produisant un certificat médical émanant d'un médecin psychiatre, que son discernement était altéré " en décembre et janvier 2015 ", ce certificat, qui est peu circonstancié et a été établi le 9 juin 2015 postérieurement à la notification de l'arrêté du 21 avril 2015, alors que la requérante ne fournit aucun élément permettant d'expliquer pourquoi elle n'est pas revenue sur sa demande à compter du mois de février 2015, ne permet pas de regarder comme établie une telle altération de son discernement. Par ailleurs, la requérante ne fournit aucun élément à l'appui de ses affirmations selon lesquelles elle aurait effectué cette demande en raison d'informations erronées ou lacunaires concernant sa situation et le montant de sa future pension et n'indique pas davantage en quoi ces erreurs ou omissions l'auraient déterminée à faire cette demande. Par suite, le moyen tiré de ce que sa demande de mise à la retraite aurait été entachée d'un vice du consentement doit être écarté.
En ce qui concerne l'arrêté du 4 janvier 2016 :

10. L'avis du comité médical départemental, qui ne lie pas l'administration, n'a pas le caractère d'une décision, et aucune disposition législative ou réglementaire n'impose sa motivation. Par suite, le moyen tiré de ce que l'avis du comité médical départemental du
15 septembre 2015 serait entaché d'irrégularité de ce fait doit être écarté.


11. Il ne résulte d'aucune disposition que le comité médical départemental soit tenu de se prononcer sur la base des éléments médicaux soumis à la commission de réforme en vue de l'examen de la situation de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de ce que l'avis du comité médical départemental serait irrégulier faute pour lui d'avoir attendu les résultats de l'expertise effectuée le 16 octobre 2015 par le docteur Gonzales en vue de la séance de la commission de réforme du 15 décembre 2015 doit être écarté.
12. Aux termes de l'article 19 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " (...) Le fonctionnaire est invité à prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, de la partie administrative de son dossier. Un délai minimum de huit jours doit séparer la date à laquelle cette consultation est possible de la date de la réunion de la commission de réforme ; il peut présenter des observations écrites et fournir des certificats médicaux. / La commission de réforme, si elle le juge utile, peut faire comparaître le fonctionnaire intéressé. Celui-ci peut se faire accompagner d'une personne de son choix ou demander qu'une personne de son choix soit entendue par la commission de réforme. / L'avis formulé en application du premier alinéa de l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite doit être accompagné de ses motifs. / Le secrétariat de la commission de réforme informe le fonctionnaire : / -de la date à laquelle la commission de réforme examinera son dossier ; / - de ses droits concernant la communication de son dossier et la possibilité de se faire entendre par la commission de réforme, de même que de faire entendre le médecin et la personne de son choix (...) ".

13. Si Mme E... soutient que l'avis de la commission de réforme du 15 décembre 2015 est irrégulier faute pour son représentant d'avoir été convoqué, il ne résulte pas des dispositions précitées que la commission de réforme soit tenue de procéder à une telle convocation. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme E... a été dûment informée de la date de la séance de la commission de réforme par courrier du préfet du Tarn du 26 novembre 2015, lequel mentionnait notamment qu'elle pouvait être entendue par la commission, faire intervenir un médecin de son choix en séance et se faire assister par un conseiller. Enfin, il ressort des mentions manuscrites portées sur le procès-verbal de la séance de la commission que la requérante était présente et s'était fait accompagner. Par suite, le moyen tiré de ce que Mme E... n'a pas été mise à même de faire valoir ses droits lors de la séance de la commission de réforme doit être écarté.

14. L'article L. 242-4 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Sur demande du bénéficiaire de la décision, l'administration peut, selon le cas et sans condition de délai, abroger ou retirer une décision créatrice de droits, même légale, si son retrait ou son abrogation n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits des tiers et s'il s'agit de la remplacer par une décision plus favorable au bénéficiaire ". Si, lorsque les conditions prévues par ces dispositions sont réunies, l'auteur d'une décision peut, sans condition de délai, faire droit à une demande de retrait présentée par son bénéficiaire, il n'est toutefois pas tenu de procéder à un tel retrait, alors même que la décision serait entachée d'illégalité. Il appartient ainsi à l'auteur de la décision d'apprécier, sous le contrôle du juge, s'il peut procéder ou non au retrait, compte tenu tant de l'intérêt de celui qui l'a saisi que de celui du service.
15. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser de faire droit à la demande de Mme E..., le recteur s'est fondé sur l'avis du comité médical départemental du 17 septembre 2015, qui a émis un avis défavorable et a confirmé son avis du 19 mars 2015 la déclarant inapte totalement et définitivement à tout poste de travail, ainsi que sur l'avis défavorable de la commission de réforme du 15 décembre 2015, laquelle a également émis un avis défavorable à la demande de Mme E.... Mme E... fait valoir que le docteur Gonzales, missionné en vue de l'examen de sa situation par la commission de réforme, indiquait pour sa part à l'issue de l'examen conduit le 16 octobre 2015 que son état de santé lui permettait de reprendre son activité professionnelle à temps complet. Toutefois, cette expertise se borne à indiquer que l'examen ne retrouve pas d'anomalie ou de raideur, alors que la requérante souffre de polyarthrite rhumatoïde et se plaint lors des opérations d'expertise de douleurs diffuses, éléments que l'expert n'analyse pas ni n'indique en quoi ils pourraient affecter l'état de santé de Mme E.... Il ne précise pas non plus le rythme des soins de rééducation dont elle bénéficie et leur compatibilité avec un travail à temps complet. Dans ces conditions, ni les conclusions de cette expertise ni le fait que le directeur départemental de la cohésion sociale et de la protection des populations ait proposé à la commission de réforme d'émettre un avis favorable à la demande de Mme E... ne permettent de regarder la décision du 4 janvier 2016 comme entachée d'une erreur d'appréciation au regard de l'intérêt de Mme E... et de celui du service.

16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir invoquée par le recteur et le ministre, que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque. Ses conclusions aux fins d'injonction ne peuvent par suite qu'être également rejetées.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme que demande la requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.




DECIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1602755 du 6 juin 2018 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Toulouse et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 27 février 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Brigitte Phémolant, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
M. A... C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 mai 2020.
Le président,
Brigitte Phémolant

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18BX02617