CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 12/05/2020, 19BX03858, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision12 mai 2020
Num19BX03858
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
CommissaireMme CHAUVIN
AvocatsAGBOTON

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal des pensions militaires de Toulouse d'annuler la décision du 16 juin 2016 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de renouvellement de sa pension d'invalidité.
Par un jugement n° 1600023 du 18 avril 2017, le tribunal des pensions militaires
de Toulouse a rejeté la requête.
Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 19 juin 2017, 11 août 2017,
9 mars 2019 et 3 juin 2019, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires de Toulouse
du 18 avril 2017 ;

2°) d'annuler la décision du ministre de la défense du 16 juin 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des
articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :
- le tribunal a considéré à tort que sa maladie ne présenterait pas un caractère incurable ; la curabilité de sa pathologie psychologique, qui s'est chronicisée, n'est pas démontrée ; elle verse des éléments médicaux établissant l'incurabilité de sa maladie ; l'expertise confirme le caractère incurable de sa maladie ; elle a droit à une pension à titre définitif ;
- l'absence de suivi psychiatrique ne signifie pas qu'elle serait guérie, ni même que son état se serait amélioré ; elle suit un protocole de soins depuis le 9 juillet 2013 ; son état était stable avant l'édiction de la décision attaquée, de sorte que son taux d'invalidité ne saurait être ramené à un taux inférieur à celui de 30 % jusqu'alors attribué ; l'expertise confirme qu'elle reste atteinte d'une invalidité dont le taux est de 30 %.
Par des mémoires en défense enregistrés les 15 septembre 2017, 16 mai 2019
et 1er juillet 2019, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requérante, dont l'état s'est amélioré, n'apporte aucun élément médical justifiant une sous-estimation de son taux d'invalidité ;
- la circonstance que l'infirmité de la requérante serait incurable n'a pas d'incidence sur le taux qu'il convient de retenir ;
- l'expert a retenu un taux d'invalidité de 30 % par bienveillance, afin que la requérante puisse bénéficier d'un droit à pension.
Par un arrêt avant-dire droit du 2 mars 2018, la cour régionale des pensions militaires de Toulouse a ordonné une expertise médicale, aux fins de l'éclairer sur le taux d'invalidité dont Mme D... reste atteinte et de déterminer si l'infirmité causée par sa maladie peut être considérée comme incurable.
L'expert désigné a remis son rapport le 6 décembre 2018.
Par une ordonnance du 13 novembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée
au 4 décembre 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... A...,
- les conclusions de Mme Aurélie Chauvin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ancien adjudant-chef de l'armée de terre rayée des cadres à compter du 16 septembre 2011, s'est vue concéder à compter du 22 mars 2007 une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % pour un syndrome anxiodépressif. Cette pension lui
a été attribuée à titre temporaire pour une durée de trois ans, et renouvelée du 22 mars 2010 au 21 mars 2013 puis du 22 mars 2013 au 21 mars 2016. L'intéressée a sollicité le 10 septembre 2015 la conversion de sa pension temporaire en pension définitive. Par une décision
du 16 juin 2016, le ministre de la défense a supprimé la pension de l'intéressée au motif que son invalidité, dont le taux était désormais de 20 %, était devenue inférieure
au degré indemnisable. Mme D... relève appel du jugement du 18 avril 2017 par lequel le tribunal des pensions militaires de Toulouse a rejeté sa demande tendant
à l'annulation de cette décision. Par un arrêt avant-dire droit du 2 mars 2018, la cour régionale des pensions militaires de Toulouse a ordonné une expertise médicale aux fins de l'éclairer sur le taux d'invalidité dont Mme D... reste atteinte et de déterminer
si l'infirmité causée par sa maladie peut être considérée comme incurable.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. La loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, et le
décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi précitée, et portant diverses dispositions intéressant la défense ont eu pour effet de transférer aux juridictions administratives de droit commun le contentieux des pensions militaires d'invalidité. Par suite, la cour administrative d'appel de Bordeaux est compétente pour statuer sur l'appel transmis en l'état par la cour régionale des pensions de Toulouse.
3. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la décision en litige : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service (...) ". Aux termes de l'article L. 4 de ce code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. Il est concédé une pension : (...) 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou
dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique (...) ". Aux termes de l'article L. 6 du même code : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. ".
Il résulte de ces dispositions que l'évaluation de l'invalidité au titre de laquelle la demande de pension est sollicitée doit être faite à la date de demande de la pension. L'article L. 7 de ce code disposait : " Il y a droit à pension définitive quand l'infirmité causée par la blessure ou la maladie est reconnue incurable. Il y a droit à pension temporaire si elle n'est pas reconnue incurable ". Aux termes de l'article L. 8 de ce code : " La pension temporaire est concédée pour trois années. Elle est renouvelable par périodes triennales après examens médicaux. (...) Au cas où une infirmité, ouvrant droit à pension, associée ou non à d'autres, résulte de maladies, la pension temporaire est, à l'expiration de chaque période, soit renouvelée à un taux supérieur, égal ou inférieur au taux primitif, soit supprimée si l'invalidité a disparu ou est devenue inférieure au degré indemnisable. Dans les mêmes conditions, la situation du pensionné temporaire doit, à l'expiration du délai de neuf ans qui suit le point de départ légal défini à l'article L. 6, être définitivement fixée soit par la conversion de la pension temporaire en pension définitive, sous réserve toutefois de l'application de l'article L. 29, soit par la suppression de toute pension (...) ". L'article L.29 prévoyait alors que " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. Cette demande est recevable sans condition de délai. La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins du pourcentage antérieur. Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ". Aux termes de l'article L. 26 du même code : " Toute décision administrative ou judiciaire relative à l'évaluation de l'invalidité doit être motivée par des raisons médicales et comporter, avec le diagnostic de l'infirmité, une description complète faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte de l'état général qui justifient le pourcentage attribué ". En vertu des articles R. 11 à R. 18 du même code, relatifs à l'instruction des demandes de pension, l'instruction médicale d'une demande de pension est confiée à un médecin, qualifié de médecin-expert. A l'issue de cette instruction médicale, un constat provisoire des droits à pension est notifié au demandeur, qui dispose d'un délai de quinze jours après cette notification pour demander l'examen de son dossier par la commission de réforme.
Cette commission, composée d'un médecin-chef des services ou un médecin en chef nommé par le ministre de la défense et de deux officiers, émet un avis communiqué au demandeur, portant notamment sur l'imputabilité au service, le degré d'invalidité et le caractère permanent des affections.
4. Mme D..., atteinte d'un syndrome anxiodépressif regardé comme imputable au service, soutient que sa maladie entraîne un degré d'invalidité d'au moins 30 %. Toutefois, le Dr Barotto, psychiatre et médecin-expert qui avait déjà examiné l'intéressée le 10 octobre 2012 lors de l'instruction médicale de sa demande de renouvellement de sa pension temporaire, relève dans son rapport établi le 13 janvier 2016 que
Mme D... a repris des activités, notamment sportives, décrit un " léger mieux ", ne prend aucun traitement médicamenteux et ne suit plus de psychothérapie depuis 2012.
Elle en déduit que son état s'est amélioré, et évalue le taux d'invalidité résultant de ses troubles psychologiques à 20 %. Lors de sa séance du 15 juin 2016, la commission de réforme des pensions, qui comprend notamment un médecin, après avoir relevé que la requérante présentait " un syndrome anxiodépressif sans suivi spécialisé en légère amélioration ",
a également estimé que son taux d'invalidité, initialement fixé à 30 %, devait désormais être évalué à 20 %. Si la requérante fait valoir que ses troubles psychologiques se sont chronicisés et présentent un caractère incurable, et produit à l'appui de cette affirmation des certificats médicaux établis les 7 et 13 février 2017 par deux psychiatres, cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur l'évaluation du taux d'invalidité résultant de sa maladie. Par ailleurs, si le Dr Raynal, psychiatre, mentionne dans un certificat établi
le 25 mai 2016 qu'il prodigue des soins à Mme D..., cette seule indication, dénuée de toute précision sur la teneur ou la fréquence des soins, ne permet pas d'établir que la requérante aurait effectivement bénéficié d'un suivi spécialisé régulier entre 2012 et 2016. De plus, ni ce certificat, qui précise que les troubles psychologiques de la requérante se sont aggravés depuis qu'elle a pris connaissance, en mai 2016, du constat provisoire de ses droits à pension modifiant à la baisse son taux d'invalidité, ni aucun autre élément médical versé au dossier ne remettent en cause l'amélioration constatée entre 2012 et 2016, amélioration que Mme D... a elle-même décrite au cours de l'instruction médicale de sa demande de conversion de sa pension temporaire en pension définitive. Enfin, l'expertise ordonnée avant-dire droit par la cour des pensions militaires de Toulouse se borne à confirmer l'imputabilité de la maladie en cause au service, imputabilité qui n'est pas discutée dans le cadre du présent litige, et indique que Mme D... " décrit un statu quo " et que, pour cette dernière, " la reconnaissance de son invalidité, à la hauteur de ce qu'elle estime être son préjudice (...) est la condition sine qua non de son homéostasie psychique ".
Ainsi que le fait valoir le ministre des armées, l'expert évalue à 30 % le taux d'invalidité de la requérante en se fondant, non pas sur sa propre analyse de son état de santé, mais sur les attentes de cette dernière, sans nullement remettre en cause l'existence d'une amélioration entre 2012 et 2016. Dans ces conditions, et ainsi que l'a estimé le tribunal, c'est par une exacte application des dispositions citées ci-dessus que le ministre de la défense a, par sa décision du 16 juin 2016, supprimé la pension de l'intéressée au motif que son taux d'invalidité était désormais de 20 %, soit un taux inférieur au degré indemnisable.
Sur l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas, dans la présente instance,
la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative ou 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :




Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., à la ministre
des armées et à l'expert.
Délibéré après l'audience du 25 février 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
Mme E... A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 mai 2020.

Le président de la 2ème chambre,



Catherine Girault

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre
les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°19BX03858 3