CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 15/06/2020, 18MA05395, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler la décision du 21 avril 2016 par laquelle le recteur de l'académie de Nice a confirmé sa décision du 20 juillet 2015 refusant de reconnaître l'imputabilité de sa pathologie au service et, d'autre part, d'enjoindre au recteur de l'académie de Nice de reconnaître cette imputabilité.
Par un jugement n° 1602950 du 25 octobre 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 décembre 2018 et le 30 janvier 2020, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler la décision du recteur de l'académie de Nice du 21 avril 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 21 avril 2016 est insuffisamment motivée ;
- en l'absence d'antécédents médicaux et au vu des conditions de travail qui lui ont été imposées, sa maladie doit être regardée comme imputable au service.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2020, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête de Mme A... doit être regardée comme dirigée contre la décision rectorale initiale du 20 juillet 2015 et non contre la décision de rejet de son recours gracieux, que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 29 avril 2020, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 18 mai 2020.
Un mémoire en défense présenté par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et enregistré le 13 mars 2020 n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. G... Grimaud, rapporteur,
- les conclusions de M. B... Thiele, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant Mme A..., et de M. C..., représentant le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., professeure certifiée d'arts appliqués, affectée au lycée Paul Augier de Nice de 1997 à la fin de l'année scolaire 2010-2011 puis au lycée Henri Matisse au cours des années suivantes, a souffert d'une décompensation dépressive déclarée en janvier 2011 et a tenté de mettre fin à ses jours le 27 août 2011. Elle a ensuite repris son service à compter
du mois d'octobre 2011 avant d'être placée en congé de longue maladie à compter de septembre 2014. Elle a sollicité, le 12 décembre 2014, la reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie qu'elle a déclaré avoir ainsi contractée à compter de janvier 2011. Le recteur de l'académie de Nice a rejeté cette demande le 20 juillet 2015 et a confirmé cette décision le 21 avril 2016, sur recours gracieux de l'intéressée.
Sur la régularité du jugement :
2. S'il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté, l'exercice du recours gracieux n'a d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position. Un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit dès lors nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.
3. Il résulte de ce qui vient d'être énoncé que les conclusions présentées par Mme A... à l'encontre de la décision du 21 avril 2016 rejetant son recours gracieux contre la décision du 20 juillet 2015 rejetant sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie doivent être regardées comme dirigées contre cette décision initiale. Il s'ensuit que les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité en s'estimant exclusivement saisis de la décision du 21 avril 2016 et en se bornant à examiner la légalité de celle-ci. Le jugement du tribunal administratif de Nice du 25 octobre 2018 doit donc être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nice.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
6. La décision du 20 juillet 2015 vise le 2 de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 et indique que la demande de Mme A... tendant au bénéfice de ces dispositions est rejetée en l'absence de lien direct et certain entre la maladie dont elle souffre et son activité professionnelle. Elle est ainsi suffisamment motivée au regard des exigences des dispositions précitées et le moyen tiré de l'insuffisance de sa motivation doit, dès lors, être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 dans leur rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident.".
8. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
9. A l'appui de sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de la pathologie qui l'a affectée, Mme A... invoque, d'une part, l'inadéquation de l'emploi de professeure d'histoire de l'art qui lui a été confié au sein du lycée Paul Augier de Nice à compter de 1997 avec sa formation, la nécessité où elle s'est trouvée de s'adapter à ces fonctions et la crainte qu'elle a éprouvée d'une inspection qui viendrait remettre en cause ses qualifications, puis la nécessité où elle se serait trouvée de réaliser des démarches pour préserver son emploi dans cet établissement à compter de l'année 2007 en raison de la diminution de la dotation horaire attribuée à cet enseignement. Elle fait état, d'autre part, de la déstabilisation inhérente à la suppression de cet emploi et à sa mutation subie au lycée Henri Matisse de Vence en septembre 2011, de l'hostilité dont elle aurait été victime de la part de ses futurs collègues dès avant son affectation puis des difficultés d'adaptation à ce nouvel emploi, qui impliquait qu'elle exerce de nouveau des fonctions de professeur d'arts appliqués induisant une remise à niveau de ses compétences. Elle fait valoir, enfin, qu'à compter de la rentrée d'octobre 2011, elle a de nouveau été confrontée à l'hostilité de ses collègues et à une inspection dont les résultats lui ont été défavorables.
10. D'une part, dès lors que Mme A... fait elle-même valoir que la maladie psychique dont elle souffre s'est déclarée en janvier 2011 et qu'elle ne cherche pas à soutenir que celle-ci aurait ultérieurement fait l'objet d'une aggravation, les faits postérieurs à cette date ne peuvent être utilement invoqués pour établir l'imputabilité au service de cette décompensation.
11. D'autre part, s'il est vrai, que Mme A... a exercé à compter de 1997 des fonctions de professeur d'histoire de l'art qui ne correspondaient pas strictement aux fonctions de professeur de dessin d'art et d'arts appliqués qu'elle avait exercées depuis 1983, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est pas davantage établi par la requérante que la modification du contenu attendu de son enseignement aurait impliqué une adaptation telle qu'elle aurait été de nature à engendrer une anxiété pathogène pour l'intéressée. Il ressort d'ailleurs des pièces du dossier que la première inspection de Mme A... dans ce poste, réalisée en mars 1999, soit moins de deux ans après son affectation, s'était révélée particulièrement laudatrice et soulignait l'adéquation de son travail avec le référentiel du diplôme, dont l'inspecteur pédagogique régional précisait alors que " l'approche ne peut être que de l'ordre de l'initiation eu égard à l'horaire imparti ". Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le climat de l'établissement ou les conditions de travail de l'intéressée aurait présenté un caractère pathogène entre 1997 et 2008.
12. Si les démarches réalisées par Mme A... afin de préserver son poste au lycée Paul Augier à compter de 2008 ressortent des pièces du dossier, de même que l'absence de réponse de l'administration à ces démarches et un certain climat de tension liée aux restrictions budgétaires frappant alors l'établissement, ces faits n'attestent pas, à eux seuls, d'une dégradation des conditions d'exercice de la requérante, d'un climat d'hostilité personnelle à son égard, ou de tout autre élément pathogène à compter de ce moment et jusqu'à la manifestation, en janvier 2011, de la maladie de la requérante. A cet égard, la seule circonstance que le proviseur du lycée Paul Augier a, le 21 février 2010, adressé par mégarde à la requérante un message électronique à la tonalité désinvolte accueillant avec dérision sa demande de préservation de son emploi, pour regrettable qu'elle soit, ne peut suffire à caractériser
un tel climat, ni d'ailleurs à expliquer l'apparition d'une maladie professionnelle près d'un an plus tard, pas plus que ne constituent une circonstance pathogène la suppression de cet emploi et la mutation qui s'en est suivie, faits qui ne représentent pas des anomalies dans la carrière d'un fonctionnaire. Enfin, si Mme A... fait état de l'appréhension qui était la sienne à l'idée d'occuper de nouveau un poste d'enseignant en arts appliqués à compter de la rentrée de septembre 2011 et de l'hostilité de la proviseure du lycée Henri Matisse de Vence à son égard, le premier de ces faits ne manifestait que le retour à une affectation normale pour un professeur d'arts appliqués et le second n'est établi, en termes d'ailleurs imprécis, que par deux messages électroniques rédigés par la requérante elle-même en juin 2011, qui n'établissent pas à eux seuls un climat d'hostilité de nature à dégrader sa santé de la requérante. Il en résulte que Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait connu, entre 1997 et 2011, des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause.
13. Enfin, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a été examinée par cinq médecins à l'occasion de la demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie et d'une demande ultérieure d'attribution et de renouvellement d'un congé de longue maladie. Si le docteur Chelabi, qui a reçu la requérante en novembre 2014 et en février 2015, ne statue pas sur l'imputabilité au service de la maladie qui a frappé Mme A..., il relève néanmoins que " se sentant coupable de ne pas pouvoir assurer ses cours d'arts appliqués qu'elle n'avait plus tenus depuis 14 ans, elle a développé un sentiment d'imposture d'allure mélancolique " et " développe également un état d'angoisse permanent ayant conduit à la tentative de suicide ". Le docteur Tiberi Morgan, qui a pour sa part examiné la requérante le 14 avril 2015, conclut à l'absence de lien direct entre la maladie et le service en présence d'un état antérieur qu'il qualifie de " trouble grave de la personnalité ". Enfin, si le docteur Benichou et le docteur Pagliuzza concluent respectivement, aux termes d'examens menés le 3 novembre 2015 et le 6 janvier 2016, pour le premier à l'imputabilité de la maladie au service et, pour le second, à une absence d'imputabilité, leurs conclusions, assorties de motivations en partie contradictoires, ne constituent qu'un apport limité pour les débats, notamment en ce qui concerne l'absence d'état antérieur, que le certificat du docteur Benichou évoque sans plus de précision et au sujet duquel le rapport du docteur Pagliuzza est contradictoire, évoquant le même trouble que le docteur Tiberi Morgan sans le qualifier d'état antérieur. Enfin, la commission départementale de réforme, qui a entendu la requérante lors de ses séances des 26 juin 2015 et 26 février 2016 ainsi que son médecin lors de cette seconde séance, a émis à chacune de ces occasions un avis défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité de la maladie au service. Dans ces conditions, et faute d'autres éléments attestant d'un lien entre la dépression dont a souffert Mme A... et l'exercice de son métier, cette maladie ne peut être regardée comme résultant de l'exercice même de ses fonctions d'enseignante.
14. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance, par le recteur de l'académie de Nice, des dispositions précitées de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 doit, dès lors, être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le recteur de l'académie de Nice a rejeté sa demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie au service.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par Mme A... sur leur fondement soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1602950 du tribunal administratif de Nice du 25 octobre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Nice.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2020, où siégeaient :
- Mme F... I..., présidente,
- Mme H... J..., présidente assesseure,
- M. G... Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 juin 2020.
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N° 18MA05395
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