CAA de LYON, 7ème chambre, 26/06/2020, 19LY04007, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal des pensions de la Savoie d'annuler la décision du 6 décembre 2017, par laquelle la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de révision de pension militaire d'invalidité et d'ordonner une expertise judiciaire.
Par un jugement n° 19/00001 du 5 juillet 2019, le tribunal des pensions a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2019, et des mémoires, enregistrés les 28 janvier 2020 et 30 mars 2020 (non communiqué), M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions du 5 juillet 2019 ;
2°) d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer l'aggravation de son infirmité.
Il soutient que :
- il justifie n'avoir pas été cliniquement examiné par le médecin-expert le 5 juillet 2017 ;
- il produit des éléments médicaux établissant l'aggravation de son état ;
- les conclusions du médecin-expert, à défaut de cet examen, ne peuvent être retenues ;
- l'avis du médecin de l'administration pris au vu de cette expertise ne peut être pris en compte ;
- par suite une nouvelle expertise est nécessaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 2 mars 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- M. A... a été examiné par le médecin-expert ;
- les pièces du dossier établissent l'absence d'aggravation sans qu'il y ait utilité d'une expertise.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
- les observations de Me C... pour M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 31 mars 2003, une pension militaire d'invalidité au taux de 70 % a été attribuée, à compter du 2 septembre 2000, à M. B... A..., soldat mobilisé du 1er septembre 1959 au 13 décembre 1960, au titre des séquelles d'une fracture du fémur droit survenue en service le 27 avril 1960. M. A... a demandé le 25 août 2015, la révision de sa pension pour aggravation. La ministre des armées a rejeté cette demande par une décision du 6 décembre 2007. M. A... relève appel du jugement du 5 juillet 2019 par lequel le tribunal des pensions de la Savoie a rejeté son recours contre cette décision.
2. Le taux global de 70 % de la pension d'invalidité accordée à M. A... résulte d'un taux de 60 % pour une première infirmité consistant en une amyotrophie de cuisse, des douleurs et une gêne à la marche, à la suite d'une consolidation avec un cal osseux, un défaut d'axe du fémur et un raccourcissement de ce dernier, de la fracture de cet os lors de l'accident, et d'un taux de 10 % pour des douleurs dorso-lombaires et une arthrose rachidienne consécutives à cette consolidation. A l'appui de sa demande de révision, M. A... fait valoir l'aggravation des gênes fonctionnelles.
3. Il résulte de l'instruction que, sur demande de l'administration, dans le cadre de l'instruction de sa demande, M. A... a été convoqué pour une expertise médicale à une consultation du Dr Doridot, médecin généraliste à Grenoble, le 5 juillet 2017, préalablement à un avis rendu le 11 septembre suivant par le médecin de l'administration, au vu duquel s'est prononcé le comité médical avant qu'intervienne la décision en litige.
4. Il ressort de la facture de transport, en date du 19 juillet 2017, produite par M. A... à l'instance et non contestée en défense, que l'intéressé a été déposé au cabinet de l'expert le 5 juillet 2017 à 13 h 45 et a été repris en charge par le service ambulancier à 14 h 05. Les termes du rapport de l'expertise médicale du 5 juillet 2017 révèlent que l'essentiel de l'expertise est tiré des pièces du dossier consulté par l'expert, hors les précisions sur la gêne fonctionnelle pour l'appui sur le membre inférieur droit au niveau du genou, des difficultés pour monter les escaliers et des douleurs à la cuisse droite, lesquelles, n'apparaissant pas dans ces pièces, ont été nécessairement recueillies par un interrogatoire du patient. L'expert résume l'examen clinique au constat d'une " raideur importante du genou droit en flexion ". Ainsi, si ce rapport, succinct dans sa rédaction et tenant en une page annexée au formulaire d'expertise, révèle l'existence d'un examen, dont la profondeur ne peut être déterminée à sa lecture, des pièces médicales en possession de l'expert, ses insuffisances, notamment dans la recherche de la comparaison entre l'état des infirmités de l'intéressé à la date de l'attribution de sa pension et celui des mêmes infirmités à la date de sa demande de révision, et le défaut de toute précision utile à cette comparaison dans l'examen clinique mentionné, ne répondent pas à la mission de l'expert telle qu'elle est précisée dans le formulaire fourni par l'administration à ce dernier, qui s'est borné à y porter les taux à retenir sans même indiquer le protocole suivi.
5. Par ailleurs, il ressort des mentions manuscrites portées sur le rapport d'expertise produit par la ministre et de l'avis, en date du 11 juillet 2017, du médecin de l'administration que celui-ci, qui n'a pas procédé à l'examen clinique de M. A..., s'est borné à consulter l'expert par téléphone pour estimer qu'aucune aggravation des infirmités n'était constatée.
6. Dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges, se fondant sur cette expertise, ont rejeté, d'une part, la demande d'expertise formée le 2 juillet 2019 avant l'audience publique, d'autre part, la contestation de la décision en litige, prise également au vu de ces mêmes éléments.
7. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties ".
8. Les autres pièces du dossier, à hauteur d'appel, ne mettent pas la cour en mesure de statuer en toute connaissance de cause sur la demande de M. A.... Dès lors, il y a lieu, avant-dire-droit, d'ordonner une expertise pour déterminer l'aggravation de ses infirmités, en lien avec l'accident du 27 avril 1960 entre le 31 mars 2003 et la date de l'examen.
9. Par suite, il y a lieu de sursoir à statuer sur le surplus des demandes et prétentions des parties.
DÉCIDE :
Article 1 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 6 décembre 2017 de la ministre des armées et à la révision de sa pension, procédé à une expertise contradictoire.
L'expert aura pour mission :
1°) après s'être fait communiquer le dossier médical de M. A... et avoir procédé à un examen clinique de ce dernier, de déterminer, pour les deux infirmités de M. A..., l'anamnèse et les déclarations de l'intéressé, l'état général et les signes cliniques constatés, l'analyse critique comparative des examens paracliniques.
2°) d'évaluer, à la date de l'expertise, le taux de chacune des infirmités de M. A....
3°) de faire toute constatation utile sur l'aggravation de ces infirmités entre le 31 mars 2003 et la date de l'expertise.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 3 : Les frais d'expertise seront pris en charge par l'État (ministre des armées).
Article 4 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 5 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 6 : L'expert communiquera un pré-rapport aux parties, en vue d'éventuelles observations, avant l'établissement de son rapport définitif. Il déposera son rapport au greffe en deux exemplaires.
Article 7 : Des copies de son rapport seront notifiées par l'expert aux parties. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 8 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2020 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 juin 2020.
N° 19LY04007