CAA de LYON, 3ème chambre, 09/07/2020, 18LY01890, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme L... D..., Mme F... E..., Mme J... E... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble :
1°) de condamner la commune de Rumilly à verser 114 079 euros à Mme L... D... en indemnisation des préjudices causés par un accident de service ;
2°) de condamner la commune de Rumilly à verser à P... J... et F... E... la somme de 5 000 euros chacune en réparation de leur préjudice moral ;
3°) de condamner la commune de Rumilly à verser à M. B... D... la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.
Par un jugement n° 1506957 du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune de Rumilly à verser, au titre du préjudice moral, à Mme L... D... la somme de 3 000 euros, à M. B... D..., la somme de 1 500 euros et à P... F... E... et J... E..., la somme de 1 000 euros chacune et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 mai 2018 et 15 avril 2019, M. B... D..., Mme L... D..., Mme F... E... et Mme J... E..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 avril 2018 en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes ;
2°) de condamner la commune de Rumilly à verser 107 579 euros à Mme L... D... en indemnisation des préjudices causés par un accident de service ;
3°) de condamner la commune de Rumilly à verser à P... J... et F... E... la somme de 5 000 euros chacune en réparation de leur préjudice moral ;
4°) de condamner la commune de Rumilly à verser à M. B... D... la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Rumilly, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 4 500 euros à verser Mme L... D... ainsi qu'une somme de 1 500 euros chacun à P... J... E..., F... E... et M. B... D....
Ils soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la commune de Rumilly a commis une faute à l'origine de son accident de service ;
- la responsabilité sans faute de la commune doit également être engagée à titre subsidiaire ;
- Mme D... a justifié son préjudice moral, ses troubles dans les conditions d'existence, son préjudice professionnel et son préjudice de retraite ;
- ses filles ont subi un préjudice moral en raison de l'accident de service de leur mère ;
- et son fils un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2019, la commune de Rumilly, représentée par Me G..., conclut :
- au rejet de la requête ;
- à la confirmation du jugement en ce qu'il a écarté toute faute de la commune ;
- à l'annulation du jugement en ce qu'il a considéré que la faute de Mme D... n'était de nature à l'exonérer que de 20 % de sa responsabilité ;
- à l'annulation du jugement en tant qu'il l'a condamnée à indemniser les divers préjudices sollicités par les demandeurs ;
- à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des appelants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la somme allouée au titre du préjudice moral de Mme D... ne saurait excéder 1 500 euros ;
- la somme de 8 482,44 euros qu'elle a versée le 26 juin 2015 en application des articles 17 et 37 du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 dans l'attente de la date d'admission à la retraite par la CNRACL n'a pas été restituée par Mme D... et doit venir en compensation de l'indemnité qu'elle pourrait être condamnée à lui verser au titre des troubles dans les conditions d'existence ;
- le préjudice professionnel de l'intéressée n'est pas établi, pas davantage que les frais de procédure qu'elle invoque ;
- les demandes indemnitaires de ses enfants ne peuvent être accueillies.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme N..., présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me K... représentant Mme D... et les autres appelants ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., adjointe technique territoriale, exerçait des fonctions d'agent d'entretien au sein de la commune de Rumilly. A la suite d'une altercation verbale avec son supérieur hiérarchique survenue le 19 novembre 2007, Mme D... a présenté un syndrome anxiodépressif. A la suite des conclusions d'une expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, la commune de Rumilly a, par arrêté du 28 mai 2014, reconnu l'imputabilité au service de l'affection psychologique dont souffrait l'intéressée. Par arrêté du 4 juin 2015, la commune l'a admise à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité à compter du 26 juin 2014. Mme D..., M. B... D..., son fils, P... F... E... et J... E..., ses filles, relèvent appel du jugement du 6 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a limité à la somme de 3 000 euros allouée à Mme D..., à 1 500 euros celle allouée à M. B... D..., et à 1 000 euros chacune celles allouées à P... F... E... et J... E.... La commune de Rumilly conclut au rejet de la requête et présente des conclusions incidentes tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement attaqué.
Sur la responsabilité :
2. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, le II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965 qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité. Toutefois, la circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions mentionnées ci-dessus subordonnent l'obtention d'une rente ou d'une allocation temporaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. En revanche, elle ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de cette collectivité la réparation de préjudices d'une autre nature, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident ou à la maladie.
En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune :
3. L'accident de service de Mme D... est intervenu, le 19 novembre 2007, au cours d'un échange verbal entre cette dernière et sa responsable de service portant sur l'étendue des tâches à accomplir après l'organisation d'un vin d'honneur dont la gestion matérielle lui avait été confiée. Si Mme D... soutient que l'accident de service résulte d'une faute commise par la commune, il ne ressort pas des pièces du dossier que le supérieur hiérarchique de Mme D... aurait commis, au cours d'un simple échange verbal, une faute de nature à engager sa responsabilité en lui demandant d'accomplir une tâche de nettoyage de vaisselle qui, d'une part, était mentionnée dans le document du 16 novembre 2007 listant les tâches à accomplir à cette occasion, et, d'autre part, pouvait être regardée comme incluse dans la gestion matérielle des vins d'honneur confiée à Mme D.... Si l'intéressée évoque également en appel une " piètre qualité " de la gestion de son accident de service, elle n'assortit cette argumentation d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Dans ces conditions, Mme D... est seulement fondée, en l'absence de faute de la commune appelante, à demander la réparation de ses préjudices personnels et des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux couverts par la rente viagère qui lui a été servie à compter de sa mise à la retraite pour invalidité.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la commune :
4. La responsabilité sans faute de la commune est susceptible d'être atténuée ou supprimée dans le cas où l'accident est imputable notamment à une faute de la victime. Il résulte de l'instruction, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, que le nettoyage de vaisselle pouvait être regardé comme relevant des attributions de Mme D..., en matière de gestion des vins d'honneur, alors même que cette tâche ne lui avait pas été confiée auparavant. Ainsi, le refus de Mme D... d'exécuter cette tâche, à l'origine de l'altercation avec son supérieur hiérarchique, est fautif et de nature à atténuer intégralement la responsabilité de la commune. Par suite, la responsabilité sans faute de la commune ne peut être engagée.
5. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que les conclusions de Mme D... et des autres requérants tendant à la réformation du jugement attaqué ne peuvent qu'être rejetées et d'autre part, que la commune de Rumilly est fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que l'article 1er du jugement attaqué doit être annulé.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Rumilly, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme D..., M. D..., P... F... E... et J... E... à l'occasion du litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire doit aux conclusions présentées à ce titre par la commune de Rumilly.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D..., de M. D... et de P... F... E... et J... E... est rejetée.
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1506957 du tribunal administratif de Grenoble du 6 avril 2018 est annulé.
Article 3 : Les conclusions indemnitaires de Mme D..., de M. D... et de P... F... E... et J... E... présentées devant le tribunal administratif de Grenoble sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Rumilly présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié sera notifié à Mme L... D..., à Mme F... E..., à Mme J... E..., à M. B... D... et à la commune de Rumilly.
Délibéré après l'audience du 16 juin 2020 à laquelle siégeaient :
Mme I... A..., présidente de chambre,
Mme O..., présidente-assesseure,
Mme H... M..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 9 juillet 2020.
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N° 18LY01890