CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 15/07/2020, 19MA02436, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 194 399,68 euros en réparation des préjudices résultant des renseignements erronés reçus à l'occasion de son départ anticipé à la retraite.
Par un jugement n° 1703153 du 11 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 mai 2019 et le 21 octobre 2019,
Mme A..., représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 avril 2019 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser cette somme de 194 399,68 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions indemnitaires soumises au tribunal administratif de Montpellier n'ont pas le même objet que les conclusions dirigées contre le titre de pension du 2 décembre 2013, qui ont été précédemment rejetées par le tribunal administratif ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la faute commise par le service des pensions de la préfecture de police de Paris qui lui a transmis un décompte erroné de sa pension de retraite en cas de départ anticipé ;
- cette faute est à l'origine de son départ anticipé à la retraite ;
- elle n'a elle-même commis aucune faute en s'abstenant de demander à différer son départ à la retraite dès lors que le titre de pension ne lui a été notifié que 21 jours avant son départ ;
- le préjudice matériel résultant de la perte de chance sérieuse de poursuivre son activité jusqu'au 31 janvier 2023 et de percevoir ensuite une pension de retraite au taux plein doit être évalué à la somme de 184 399,68 euros ;
- le préjudice moral subi doit être réparé à hauteur de 10 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 6 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics présente des observations.
Il soutient que :
- les conclusions présentées par la requérante ont le même objet que les conclusions pécuniaires dirigées contre le titre de pension du 2 décembre 2013, lesquelles ont été précédemment rejetées par la juridiction administrative ;
- Mme A... a commis une imprudence fautive en s'abstenant de vérifier les informations fournies par son employeur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête, qui ne comporte aucun moyen en ce qu'elle est dirigée contre la décision implicite de rejet de la demande d'indemnité, est irrecevable dans cette mesure ;
- Mme A... a commis une imprudence fautive en s'abstenant de saisir le service des retraites de l'Etat.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier pour statuer sur une action indemnitaire engagée par un agent public à raison de renseignements erronés sur ses droits à pension délivrés par l'administration, qui ne relève pas des litiges en matière de pensions au sens du 3° de l'article R. 222-13 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 ;
- la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;
- la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;
- le décret n° 2013-1155 du 13 décembre 2013 ;
- le décret n° 2009-1052 du 26 août 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., née le 1er février 1963, brigadier-chef de la police nationale, faisant état de ses quinze années de services et de sa qualité de parent de trois enfants au 1er janvier 2012, a demandé au service des pensions de la préfecture de police de Paris un décompte estimatif de la pension qui lui serait versée en cas de départ anticipé à la retraite le 1er janvier 2014. Le document qui lui a été transmis à ce titre, le 12 juin 2012, par le bureau des pensions et allocations d'invalidité (BPAI) du ministère de l'intérieur indiquait que le montant brut de la pension de retraite qui lui serait versée dans ces conditions serait de 19 377,62 euros.
Le 27 septembre suivant, elle a demandé son admission à la retraite et, par un arrêté du
12 août 2013, le préfet de police a satisfait à sa demande. Le titre de pension reçu le
10 décembre 2013 ne mentionnant qu'un montant brut mensuel de 1 130,81 euros, elle a demandé des explications sur ce point aux services du ministère de l'intérieur, le jour même, ainsi qu'au centre de gestion des retraites compétent, le 28 décembre 2013. Ultérieurement, elle a contesté le titre de pension devant le tribunal administratif de Montpellier, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 17 juin 2016. Elle relève appel du jugement du 11 avril 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 194 399,68 euros en réparation des préjudices résultant des renseignements erronés reçus à l'occasion de son départ anticipé à la retraite.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur :
2. La décision implicite née du silence gardé par le ministre de l'intérieur plus de deux mois sur la demande d'indemnité présentée par Mme A... a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de l'intéressée qui, en demandant au tribunal administratif de condamner l'Etat à réparer les préjudices résultant des renseignements erronés reçus à l'occasion de son départ anticipé à la retraite, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressée à percevoir la somme qu'elle réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Dans ces conditions, si Mme A... a conclu formellement à l'annulation de la décision implicite précitée, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur tirée de l'absence de motivation de la requête d'appel sur ce point ne peut qu'être écartée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article R. 222-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller ou ayant une ancienneté minimale de deux ans statue en audience publique et après audition du rapporteur public : (...) 3° Sur les litiges en matière de pensions de retraite des agents publics ; (...) 10° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n'excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et
R. 222-15 ". L'article R. 222-14 du même code dispose : " Les dispositions du 10° de l'article précédent sont applicables aux demandes dont le montant n'excède pas 10.000 euros ". Il résulte de ces dispositions que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin ayant l'ancienneté requise peut statuer seul sur les actions indemnitaires relevant d'un litige en matière de pensions et ce, quel que soit le montant des indemnités demandées. Toutefois, une action indemnitaire engagée par un agent public à raison de renseignements erronés sur ses droits à pension délivrés par l'administration ne relève pas des litiges en matière de pensions au sens du 3° de l'article R. 222-13 du code de justice administrative.
4. Pour demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 194 399,68 euros, Mme A... soutient que la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la faute commise par le service des pensions de la préfecture de police de Paris qui lui a transmis un décompte erroné de sa pension de retraite en cas de départ anticipé. Aussi en application des dispositions du code de justice administrative précitées au point 3, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier n'était pas compétent pour statuer sur la demande de Mme A.... Par suite, le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par Mme A... devant le tribunal administratif de Montpellier.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'action et des comptes publics :
6. Si la requérante demande la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité compensant la perte de revenus résultant de la faute commise par le service des pensions de la préfecture de police de Paris, ces conclusions n'ont pas le même objet que ses conclusions tendant à la contestation du montant de la pension qui ont été rejetées par le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 17 juin 2016. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'action et des comptes publics doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne la responsabilité :
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les informations délivrées à
Mme A... par le bureau des pensions et allocations d'invalidité du ministère de l'intérieur étaient erronées en ce qu'elles présupposaient que la requérante pouvait bénéficier des dispositions de l'article 2 de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police. Au vu en particulier de la chronologie des faits, ces informations ont incité la requérante à demander à être admise à la retraite dès le 1er janvier 2014. Cette faute engage la responsabilité de l'Etat à réparer les préjudices qui en résultent directement.
8. En deuxième lieu, lorsque la mise à la retraite n'a pas été prononcée pour limite d'âge, une telle mesure peut, sur demande de l'intéressé, être retirée par l'autorité administrative à qui il appartient d'apprécier en fonction de l'intérêt du service s'il y a lieu de reporter la date de mise à la retraite et si ce retrait n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits des tiers. Dans ces conditions, s'il est soutenu en défense que Mme A... aurait disposé du temps nécessaire pour revenir sur la date de départ à la retraite fixée au 1er janvier 2014 après la réception de son titre de pension le 10 décembre 2013, il n'est pas établi qu'une demande ayant cet objet aurait été traitée par l'administration dans ce délai réduit, ni même que celle-ci, qui n'y était pas tenue, aurait donné satisfaction à la requérante. Dans les circonstances de l'espèce, en décidant, non pas de demander le report de la date de son départ à la retraite mais de demander des explications sur le titre de pension puis de le contester, Mme A... n'a donc pas commis une faute de nature à exonérer en tout ou partie l'Etat de sa responsabilité.
9. En troisième lieu néanmoins, le III de l'article L. 161-17 du code de la sécurité sociale dispose que toute personne a le droit d'obtenir, dans des conditions précisées par décret, un relevé de sa situation individuelle au regard de l'ensemble des droits qu'elle s'est constitués dans les régimes de retraite légalement obligatoires. Aux termes de l'article D. 161-2-3 du même code : " Le droit à l'information sur la retraite prévu à l'article L. 161-17 s'exerce auprès des organismes et services mentionnés à l'article R. 161-10. Il comporte notamment la délivrance au bénéficiaire : / 1° Sur demande du bénéficiaire ou à l'initiative de l'organisme ou du service, d'un relevé de sa situation individuelle au regard des droits à pension de retraite constitués auprès de chacun des régimes dont il relève ou a relevé et déterminés à la date précisée, pour chaque régime, dans le relevé ; (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 26 août 2009 portant création du service des retraites de l'Etat : " (...) II. Le service des retraites de l'Etat est responsable du processus de gestion des pensions de retraite et d'invalidité des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat. A ce titre : / 1° Il tient les comptes individuels de retraite, y enregistre et contrôle les droits à pension et assure l'information des ressortissants du régime de retraite des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat, notamment au regard du droit à l'information sur les retraites ; (...) ".
10. Mme A... ne pouvait ignorer la complexité de sa situation, régie à la fois par les dispositions législatives relatives au départ anticipé à la retraite pour les parents de trois enfants, par celles qui sont applicables aux personnels actifs de police et enfin par la loi du
9 novembre 2010 portant réforme des retraites, laquelle avait d'ailleurs modifié ces deux premières séries de dispositions. Le délai écoulé, supérieur à un an et demi, entre la réception par Mme A... du décompte estimatif erroné transmis par le bureau des pensions et allocations d'invalidité du ministère de l'intérieur et celle de son titre de pension, permettait à l'intéressée de se renseigner à nouveau sur l'étendue de ses droits, notamment dans le cadre du droit à l'information sur la retraite prévu à l'article L. 161-17 du code de la sécurité sociale auprès du service des retraites de l'Etat. Alors même que le décompte estimatif reçu en 2012 ne mentionnait ni son caractère indicatif, ni la possibilité pour l'intéressée d'exercer ce droit à l'information, la requérante a fait preuve d'une imprudence fautive qui exonère partiellement l'Etat de sa responsabilité pour réparer le dommage subi.
En ce qui concerne la réparation :
11. Aux termes de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites : " (...) III. Par dérogation à l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le fonctionnaire civil et le militaire ayant accompli quinze années de services civils ou militaires effectifs avant le 1er janvier 2012 et parent à cette date de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, conserve la possibilité de liquider sa pension par anticipation à condition d'avoir, pour chaque enfant, interrompu ou réduit son activité dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat (...) IV. Pour l'application du VI de l'article 5, dans sa rédaction issue de la présente loi, et des II et III de l'article 66 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 précitée aux fonctionnaires civils et militaires mentionnés au III du présent article qui présentent une demande de pension, l'année prise en compte est celle au cours de laquelle ils atteignent l'âge prévu au dernier alinéa du I de l'article 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 précitée ou, le cas échéant, l'âge prévu au I de l'article 22 de la présente loi. Si cet âge est atteint après 2019, le coefficient de minoration applicable est celui prévu au I de l'article L. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Lorsque la durée de services et bonifications correspondant à cette année n'est pas fixée, la durée exigée est celle correspondant à la dernière génération pour laquelle elle a été fixée. (...) ". Aux termes de l'article 2 de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police, dans sa rédaction antérieure à la loi du 9 novembre 2010 : " Par dérogation aux dispositions du 1° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les personnels des services actifs de police appartenant aux catégories énumérées au premier alinéa de l'article 1er et à l'article 6 de la présente loi peuvent être admis à la retraite, sur leur demande, à la double condition de justifier de vingt-cinq années de services effectifs ouvrant droit à la bonification précitée ou de services militaires obligatoires et de se trouver à cinq ans au plus de la limite d'âge de leur grade. / La liquidation de la pension de retraite intervient dans les conditions définies par le VI de l'article 5 et par les II, III et V de l'article 66 de la loi n° 2003-775 du
21 août 2003 portant réforme des retraites. ". Le I de l'article 38 de la loi du 9 novembre 2010 a porté à vingt-sept années la durée de services effectifs mentionnée par ces dispositions et a ajouté une phrase précisant que la limite d'âge également mentionnée évolue conformément au II de l'article 31 de cette même loi.
12. Il résulte de l'instruction que Mme A... a demandé à bénéficier des dispositions du III et du IV de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 permettant aux fonctionnaires civils et aux militaires ayant accompli avant le 1er janvier 2012 quinze années de services effectifs et parents de trois enfants vivants ou décédés pour faits de guerre de liquider leur pension par anticipation selon les règles générationnelles prévues pour la durée d'assurance et avec application du coefficient de minoration par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Le bureau des pensions et allocations d'invalidité du ministère de l'intérieur a estimé à tort que Mme A... justifiait de 25 ans de services actifs dans la police et d'un âge minimum de 45 ans et qu'elle entrait dès lors dans le champ d'application de l'article 2 de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police, dans sa rédaction antérieure à la loi du 9 novembre 2010. Il en a déduit que la date d'ouverture de ses droits devait être celle à laquelle elle avait atteint 15 ans de services, soit 2005, et qu'à cette date, conformément au II de l'article 66 de la loi du 21 août 2003, auquel renvoyait le second alinéa de l'article 2 de la loi du 8 avril 1957, le nombre de trimestres nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum de la pension civile ou militaire était 154. Il a également considéré qu'aucune décote ne devait être appliquée au pourcentage de pension rémunérant les services et bonifications de 105 trimestres, soit 51,136 % du traitement versé à la date de radiation des cadres.
13. La pension de retraite que Mme A... perçoit effectivement, si elle a été calculée en fonction d'un même nombre de 105 trimestres liquidables et du même traitement versé à la date de radiation des cadres, retient un pourcentage de pension rémunérant les services et bonifications de 47,440 % seulement dès lors que, par application du IV de l'article 5 de la loi du 21 août 2003 et des décrets pris pour l'application de celui-ci, la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite pour les assurés relevant de la génération de la requérante devait être fixée à
166 trimestres, la date d'ouverture des droits prise en compte étant ainsi le 1er février 2020, date de son 57ème anniversaire. Par ailleurs, Mme A... ne justifiant au 1er janvier 2014 que de
123 trimestres, soit 43 trimestres manquants, limités à 20, un coefficient de minoration de 25 % a été appliqué au pourcentage de pension de 47,440 %, ramenant celui-ci à 35,580 %.
14. Mme A... soutient que la faute de l'Etat l'a privée d'une chance sérieuse de poursuivre son activité jusqu'au 31 janvier 2023 et de percevoir ensuite une pension de retraite au taux plein. Elle évalue toutefois le préjudice financier subi à la somme de 184 399,68 euros correspondant au cumul de la différence, sur chaque année entre la date à laquelle elle a pris sa retraite à l'âge de 50 ans et la date à laquelle elle atteindra l'âge de 85 ans, entre le montant net annuel de la pension de retraite qu'elle perçoit effectivement et le montant indiqué sur le décompte erroné qui lui avait été transmis par son administration. Ce mode de calcul ne peut être retenu dans la mesure où l'intéressée n'a pas droit au versement d'un montant de pension qui ne serait pas calculé sur la période conformément aux dispositions légales et règlementaires applicables.
15. Il résulte des mentions portées sur le titre de pension délivré à Mme A... que, à la date du 1er janvier 2014 à laquelle elle a été radiée des cadres, elle justifiait de l'accomplissement de 23 ans 4 mois et 14 jours de services actifs et que son affectation au 31 décembre 2013 relevait encore de cette catégorie de services. Il ne résulte pas de l'instruction que la requérante, qui aurait poursuivi sa carrière si elle n'avait reçu une information erronée sur le montant de sa pension en cas de départ à cette date, n'aurait pas continué dans cette hypothèse à exercer des fonctions assimilables à des services actifs et qu'elle aurait ainsi pu atteindre, le 1er septembre 2017, la durée de 27 années de tels services requise par l'article 2 de la loi du 8 avril 1957, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 novembre 2010. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que les autres conditions prévues par ces dispositions n'auraient pas été réunies à cette date pour qu'elle puisse alors bénéficier d'une pension de retraite au taux plein.
16. Selon le décompte estimatif communiqué à Mme A... par son administration le
12 juin 2012, le montant annuel brut de son traitement qu'elle aurait perçu en 2014 se serait élevé à 34 449,37 euros. La requérante n'établit pas qu'elle aurait eu une chance sérieuse d'être promue au grade de major au 4ème ou au 5ème échelon si elle avait poursuivi sa carrière après le
1er janvier 2014. Elle a perdu, en revanche, une chance sérieuse de percevoir son traitement entre cette date et le 1er septembre 2017. Il sera fait une juste appréciation du gain manqué correspondant en l'évaluant à la somme de 106 000 euros. Au cours de cette période, le montant de la pension de retraite effectivement servie à l'intéressée s'est élevé, au vu du bulletin de pension produit, à 46 120 euros. Par suite, le préjudice financier subi entre le 1er janvier 2014 et le 1er septembre 2017 doit être évalué à la somme de 60 000 euros. Postérieurement au
1er septembre 2017, la différence entre le montant net annuel de la pension de retraite effectivement servie, soit 12 578 euros, et celui de la pension de retraite qui aurait été calculé au taux plein, doit être évaluée à 5 000 euros, le décompte estimatif établi en 2012 retenant, en fonction des dispositions légales et règlementaires alors plus favorables à l'agent, un montant de 18 000 euros. Dans les circonstances de l'affaire et compte tenu de l'espérance de vie de l'intéressée et de l'imprudence fautive commise par elle, il sera fait une juste appréciation de la réparation qui lui est due, tant au titre du préjudice financier subi du 1er janvier 2014 à la date du présent arrêt que du préjudice financier futur et du préjudice moral, en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 75 000 euros.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 75 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 11 avril 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A... la somme de 75 000 euros.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... épouse A..., au ministre de l'intérieur et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. F..., président assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 15 juillet 2020.
N° 19MA024363