CAA de LYON, 7ème chambre, 15/10/2020, 19LY04055, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision15 octobre 2020
Num19LY04055
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. JOSSERAND-JAILLET
RapporteurM. Daniel JOSSERAND-JAILLET
CommissaireM. CHASSAGNE
AvocatsDE TIENDA JOUHET VÉRONIQUE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal des pensions militaires de Grenoble d'annuler la décision du 1er août 2012, par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de révision pour aggravation de pension militaire d'invalidité. Par un jugement du 21 janvier 2015, ce tribunal a renvoyé l'affaire au tribunal des pensions militaires de la Savoie, lequel, par un jugement du 1er juillet 2016, a fait droit à la demande de M. B.... Par un arrêt du 1er décembre 2017, la cour régionale des pensions de la Savoie, sur appel du ministre de la défense, a annulé ce jugement.

Procédure devant la cour

Par une décision n° 417107 du 12 juin 2019, le Conseil d'État, statuant en cassation, a annulé l'arrêt de la cour régionale des pensions du 1er décembre 2017 et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Lyon.

Par un mémoire, enregistré le 13 février 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 1er septembre 2020, la ministre des armées demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires de la Savoie du 1er juillet 2016 en tant qu'il a accordé à M. B... la révision de sa pension pour aggravation de l'infirmité " baisse de l'acuité auditive bilatérale " ;
2°) de confirmer sa décision du 1er août 2012 en ce qu'a été rejetée la demande de révision de pension pour cette même infirmité.

Elle soutient que :
- le tribunal ne pouvait, sans erreur de droit, retenir les conclusions du rapport d'expertise du 30 novembre 2015 qui décrivait l'état de M. B... à cette date et non à celle de sa demande de révision de pension ;
- l'expertise du 14 septembre 2011 établit tous les éléments d'appréciation pour fixer à 15 % le taux de la gêne fonctionnelle générée par l'hypoacousie bilatérale de M. B... à la date de sa demande de révision ;
- en tout état de cause, l'hypoacousie d'origine traumatique n'a pu s'aggraver du fait du service depuis 1984, date de radiation des cadres de M. B... ;
- la déficience auditive dont M. B... fait état depuis 2011 résulte de l'évolution physiologique normale ;
- aucune aggravation de la perte de sélectivité ne peut être retenue au-delà du taux plafond de 10 % fixé par le guide-barème du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

Par un mémoire, enregistré le 5 juin 2020, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la ministre des armées ;
2°) de confirmer le jugement du tribunal des pensions militaires de la Savoie du 1er juillet 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
- l'appréciation de l'aggravation de ses pertes auditives doit s'étendre sur la période du 8 février 1983 au 13 janvier 2011, le taux de son infirmité d'hypoacousie perceptive bilatérale ayant été rehaussé en dernier lieu à 25 % à cette première date ;
- il établit l'aggravation de cette infirmité à compter de cette date ;
- la valeur de ses pertes auditives résultant de la moyenne des constats effectués par les audiogrammes qu'il a subis conduit à un taux d'infirmité de 30 % conforme à celui retenu par l'expertise judiciaire du 30 novembre 2015 homologuée par le tribunal de première instance ;
- il ne peut être soutenu médicalement que l'hypoacousie d'origine sono-traumatique n'est pas évolutive ;
- le caractère indicatif du guide-barème exclut d'opposer le taux-plafond de 10 % à la perte de sélectivité.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 décembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président ;
- et les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. Engagé volontaire dans l'armée de terre le 4 juillet 1952, M. A... B... a été radié sur sa demande des cadres au grade de lieutenant-colonel le 5 mai 1984. A la suite d'une blessure reçue en service le 5 mai 1972, une pension militaire d'invalidité lui a été concédée par un arrêté du 19 mars 1985 au taux global de 50 % pour une baisse de l'acuité auditive bilatérale au taux, en dernier lieu, de 25 %, et pour des vertiges et des acouphènes, aux taux respectifs de 10 + 5 % et 10 + 10 %. Par une décision du 1er août 2012, le ministre de la défense a rejeté la demande de M. B..., formée le 13 janvier 2011, tendant à la révision de sa pension pour aggravation des infirmités. Sur renvoi du tribunal des pensions militaires de Grenoble saisi initialement, et après avoir ordonné une expertise médiale conduite le 30 novembre 2015, le tribunal des pensions militaires de la Savoie, par un jugement du 1er juillet 2016, a fait droit à la demande de M. B... en fixant les taux d'invalidité respectivement à 45 % pour l'hypoacousie bilatérale, 15 % pour les acouphènes et sifflements bilatéraux, et 20 % pour les vertiges positionnels paroxystiques. Sur appel de la ministre des armées en tant que le tribunal avait fait droit aux demandes de M. B... de révision de sa pension pour aggravation de la baisse de l'acuité auditive bilatérale, la cour régionale des pensions militaires de la Savoie a annulé ce jugement par un arrêt du 1er décembre 2017, lui-même annulé sur pourvoi de M. B... par une décision du 12 juin 2019 du Conseil d'État statuant en cassation, qui a renvoyé l'affaire à la cour régionale des pensions de Lyon, laquelle l'a transférée à la cour en exécution du décret du 28 décembre 2018.
2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : /1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...). " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Est présumée imputable au service : / 1° Toute blessure constatée par suite d'un accident, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ; (...) / 3° Toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1, L. 461-2 et L. 461-3 du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le militaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ces tableaux ; (...). " L'article L. 121-2-3 dudit code précise que " La recherche d'imputabilité est effectuée au vu du dossier médical constitué pour chaque militaire lors de son examen de sélection et d'incorporation. Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. " En vertu de l'article L. 154-1 de ce code : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. "
3. Il résulte de ces dispositions que lorsque le titulaire d'une pension militaire d'invalidité pour infirmité sollicite sa révision du fait de l'aggravation de ses infirmités, l'évolution du degré d'invalidité s'apprécie à la date du dépôt de la demande de révision de la pension. Le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Au cas où une première infirmité reconnue imputable au service a concouru, avec une affection ou un fait étranger au service, à provoquer, après le service, une infirmité nouvelle, celle-ci n'ouvre droit à pension que s'il est établi que l'infirmité antécédente a été la cause directe et déterminante de l'infirmité nouvelle. Ainsi, l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. " L'article L. 121-5 précise que " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le taux global d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; / 3° Au titre d'infirmités résultant exclusivement de maladie, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : - a) 30 % en cas d'infirmité unique ; - b) 40 % en cas d'infirmités multiples. / Aucune pension n'est concédée en deçà d'un taux d'invalidité de 10 %. "
5. L'arrêté initial du 19 mars 1985 concédant à l'intéressé une pension définitive, qui constate par ailleurs un droit à pension ouvert à compter du 30 juillet 1979, a reconnu que M. B..., à la suite d'une séance d'entraînement au tir de missiles le 5 mai 1972, était atteint, au titre d'une première infirmité, sous le n° 4073 de la nomenclature, d'hypoacousie bilatérale constituée pour première composante d'une perte auditive de 55 décibels (dB) à l'oreille droite et 35 db à l'oreille gauche, pour un taux d'invalidité de 15 %, et pour seconde composante d'une perte de sélectivité, pour un taux de 10 %, l'ensemble totalisant un taux de 25 % au titre de cette infirmité.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment des bilans audiométriques réalisés le 21 juin 2011 par le docteur Barlatier, le 14 septembre 2011 par le docteur Benezeth, et le 28 juillet 2015 par l'expertise judiciaire du 30 novembre 2015, que les pertes auditives de M. B... ont été mesurées à ces dates respectives à 58 dB, 48,75 %, et 52,5 dB pour l'oreille droite, et 56 dB, 45% et 51,25 dB pour l'oreille gauche. Constatant dans son rapport le caractère superposable des courbes obtenues lors de ces différents examens, l'expert judiciaire, qui, contrairement à ce qu'affirme l'administration, s'est par sa méthode de rapprochement de l'ensemble de ces données et par les termes utilisés dans ses conclusions, placé à la date de la demande de l'intéressé, établit une altération marquée, particulièrement pour l'oreille gauche, des capacités auditives de M. B....
7. Toutefois, d'une part, il n'est pas contesté qu'à la date de l'arrêté initial du 19 mars 1985 l'état de santé de M. B... consécutif à l'accident du 5 mai 1972 générateur de l'infirmité pensionnée, d'origine traumatique isolée, était consolidé sans qu'il n'allègue avoir été exposé, avant sa radiation des cadres, à un environnement de service susceptible de l'aggraver.
8. D'autre part, par la production d'éléments relatifs à des tiers ou des études générales, seulement susceptibles de montrer que les séquelles de traumatismes sonores ne régressent que très rarement dans le temps, il n'établit pas un caractère évolutif défavorable spontané de l'infirmité reçue en service à l'âge de trente-neuf ans. Enfin, nonobstant la circonstance qu'elle se produit sur un terrain déjà altéré, il n'apporte pas d'éléments qui infirmeraient l'attribution par l'expert de l'administration de l'étiologie de la dégradation de ses capacités auditives subsistantes au vieillissement physiologique documenté dans la science médicale. Par suite, M. B... n'établit pas le lien de filiation, au sens de l'article L. 121-2-3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre précité, entre les pertes de capacité auditives additionnelles à l'infirmité pensionnée dont il souffre et cette dernière. Dès lors, il n'est pas fondé à demander, à ce titre, l'annulation du refus du ministre de la défense du 1er août 2012 en tant qu'il a rejeté sa demande de révision à ce titre.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de la Savoie a annulé dans cette mesure la décision du 1er août 2012 en litige et fixé à 45 % le taux d'invalidité pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale ", dont 15 % pour perte de sélectivité. Par suite, le jugement du 1er juillet 2016 doit être annulé et les conclusions de M. B... rejetées, dont celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement n° 16/00009 du 1er juillet 2016 du tribunal des pensions militaires de la Savoie est annulé en tant qu'il fixe à 45 % pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale " (dont 15 % pour perte de sélectivité) le taux d'invalidité de M. B....
Article 2 : Les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 1er août 2012 et à la révision du taux d'invalidité de son infirmité n° 4073 pour hypoacousie bilatérale fixé par l'arrêté du 19 mars 1985 sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.


N° 19LY04055 2