Conseil d'État, 7ème chambre, 15/02/2021, 444844, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de la Martinique, d'une part, d'annuler l'arrêté du 5 août 2019 du directeur du service des retraites de l'État portant concession de sa pension de retraite et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'action et des publics d'établir un nouveau titre de pension au taux brut de 84,04 % correspondant à une durée agrégée de 45 années, 10 mois et 11 jours, assortie de la majoration de 2,721 points au titre de la nouvelle bonification indiciaire.
Par un jugement n° 1900602 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté la demande de M. A....
Par un pourvoi, enregistré le 23 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 ;
- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme C... B..., rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ". Aux termes de l'article R.* 771-9 du même code : " La décision qui statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité est notifiée aux parties (...). / La notification d'une décision de refus de transmission mentionne que cette décision ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige. Elle mentionne aussi que cette contestation devra faire l'objet d'un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission ".
2. M. A... se pourvoit en cassation contre le jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 août 2019 portant concession de sa pension de retraite et conteste, à l'occasion de ce pourvoi, le refus du tribunal, par le même jugement, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de la police.
Sur la contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité :
3. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
4. L'article 1er de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de la police dispose : " Les agents des services actifs de police de la préfecture de police, soumis à la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 dont la limite d'âge était, au 1er décembre 1956, égale à cinquante-cinq ans, bénéficient, à compter du 1er janvier 1957, s'ils ont droit à une pension d'ancienneté ou à une pension proportionnelle pour invalidité ou par limite d'âge, d'une bonification pour la liquidation de ladite pension, égale à un cinquième du temps qu'ils ont effectivement passé en position d'activité dans des services actifs de police. Cette bonification ne pourra être supérieure à cinq annuités. / À l'exception des contrôleurs généraux, sous-directeurs, directeurs, adjoints, chefs de service et directeurs des services actifs, le bénéfice de la bonification acquise dans les conditions qui précédent est maintenu aux fonctionnaires des services actifs de la préfecture de police également soumis aux dispositions de la loi précitée du 28 septembre 1948 et dont la limite d'âge était, au 1er décembre 1956, supérieure à cinquante-cinq ans, auxquels sont également applicables les dispositions de l'alinéa précédent. Toutefois, la bonification ainsi maintenue ou acquise sera réduite à concurrence de la durée des services accomplis au-delà de cinquante-sept ans sans qu'il soit tenu compte des reculs de limite d'âge pour enfants. / (...) ".
5. Pour demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de la Martinique a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1er de la loi du 8 avril 1957, M. A... soutient, en premier lieu, qu'en jugeant qu'il ne résulte pas de ces dispositions que l'écrêtement de la bonification ne s'appliquerait qu'au corps de conception et de direction de la police nationale, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit. Toutefois, ces dispositions n'énumèrent pas les corps de fonctionnaires auxquels elles s'appliquent mais visent, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif, l'ensemble des fonctionnaires des services actifs qui sont soumis, au 1er décembre 1956, à une limite d'âge supérieure à cinquante-cinq ans, quel que soit leur corps d'appartenance. Le moyen d'erreur de droit ne peut, dès lors, qu'être écarté.
6. En deuxième lieu, la bonification, prévue par les dispositions critiquées, pour la liquidation de la pension des agents des services actifs de la police de la préfecture de police dont la limite d'âge est fixée à cinquante-cinq ans, est destinée à compenser les conséquences sur l'acquisition des droits à pension d'une limite d'âge inférieure à celle applicable aux autres fonctionnaires. Les fonctionnaires des mêmes services dont la limite d'âge est supérieure à cinquante-cinq ans se trouvent dans une situation différente au regard de l'objet de la disposition critiquée. La circonstance que l'ensemble des agents des services actifs de la police de la préfecture de police auraient aujourd'hui la faculté de prolonger leur activité au-delà de la limite d'âge, laquelle ne résulte pas des dispositions critiquées, est sans incidence sur la différence de situation résultant d'une limite d'âge différente. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif aurait méconnu le principe d'égalité par les dispositions critiquées présentait un caractère sérieux.
7. En dernier lieu, en retenant que l'écrêtement de la bonification, applicable aux seuls agents dont la limite d'âge est supérieure à cinquante-cinq ans, pour les services accomplis au-delà de cinquante-sept ans constitue une différence de traitement fondée sur la différence de situation dans laquelle sont placés ces agents compte tenu de la limite d'âge qui leur est applicable et en rapport avec l'objet de la loi, le tribunal administratif n'a pas méconnu le principe d'égalité.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation du refus de transmission opposé par le tribunal administratif à la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par lui.
Sur les autres moyens du pourvoi :
9. Pour demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de la Martinique qu'il attaque, M. A... soutient qu'il est également entaché, en premier lieu, d'une erreur de droit en ce qu'il fait application de l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 alors que cette disposition est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, en deuxième lieu, d'une irrégularité en ce qu'il omet de statuer, dans son dispositif, sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, en troisième lieu, d'une erreur de droit et d'une insuffisance de motivation en ce qu'il juge que le moyen tiré de la méconnaissance par l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 du principe d'égalité entre les fonctionnaires des corps de direction et de conception de la police nationale et ceux des autres corps de fonctionnaires actifs de la police nationale est inopérant et, en dernier lieu, d'une insuffisance de motivation en ce qu'il omet de répondre au moyen opérant tiré de la méconnaissance du principe d'égalité entre les personnels du corps de conception et de direction de la police nationale.
10. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : La contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité opposé à M. A... par le tribunal administratif de la Martinique est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A... n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au Conseil constitutionnel.