CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 17/05/2021, 20MA00249, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision17 mai 2021
Num20MA00249
JuridictionMarseille
Formation6ème chambre
PresidentMme MASSE-DEGOIS
RapporteurM. Philippe GRIMAUD
CommissaireM. THIELÉ
AvocatsSELARL NOUS AVOCATS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... F... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 27 avril 2017 par laquelle le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a refusé de reconnaître les faits survenus le 12 décembre 2016 comme un accident de service.


Par un jugement n° 1706725 du 18 novembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision et enjoint à l'Etat de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme F... dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.


Procédure devant la Cour :


Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 22 janvier 2020 et 26 février 2021, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, demande à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille et de rejeter les conclusions présentées par Mme F... devant le tribunal.


Il soutient que :
- l'erreur de fait entachant la décision du recteur, qui n'a pas mentionné la conversation du 12 décembre 2016 entre Mme F... et l'inspectrice de l'éducation nationale, est sans incidence sur la légalité de la décision dès lors que ni cette conversation, ni celle du 9 décembre 2016, ne constituent des accidents de service ;
- dans l'hypothèse où la Cour considérerait que cette erreur de fait peut remettre en cause la légalité de la décision, il demande qu'un motif de fait faisant état des deux conversations téléphoniques soit substitué au motif erroné retenu par le recteur ;
- les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 n'étaient pas applicables à la situation de Mme F... ;
- Mme F... n'a pas été victime d'un accident de service.


Par un mémoire en défense enregistré le 19 mars 2020, Mme F..., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sont infondés.

Par ordonnance du 1er mars 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 24 mars 2021.

Un mémoire présenté par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et enregistré le 24 mars 2021 n'a pas été communiqué.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative.


La présidente de la Cour a désigné Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de
M. Guy Fédou, président de la 6ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. G... Grimaud, rapporteur,
- les conclusions de M. E... Thielé, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant Mme F....



Considérant ce qui suit :


1. Mme F..., professeure des écoles chargée de la direction de l'école de Châteauneuf-de-Chabre, s'est entretenue téléphoniquement à propos de difficultés rencontrées dans la détermination des horaires scolaires et périscolaires de l'école avec un conseiller pédagogique du directeur académique des services de l'éducation nationale des Hautes-Alpes le 9 décembre 2016, puis, le 12 décembre 2016, avec l'inspectrice de l'éducation nationale chargée de la circonscription à laquelle appartient la commune de Val de Buëch-Méouge, à laquelle est rattachée la commune déléguée de Châteauneuf-de-Chabre. Mme F... a ensuite été placée en congé de maladie à sa demande à compter du 12 décembre 2016 et jusqu'au 14 janvier 2017. Le 19 janvier 2017, Mme F... a déposé une demande de reconnaissance d'accident de travail concernant les faits intervenus le 9 et le 12 décembre 2016. Le 27 avril 2017, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a refusé d'imputer la pathologie aux faits survenus le 9 décembre 2016. Mme F... ayant présenté un recours gracieux contre cette décision le 22 mai 2017, et ce recours ayant été rejeté implicitement, elle a sollicité du tribunal administratif de Marseille l'annulation de ces décisions rejetant sa demande. Par son jugement du 18 novembre 2019, le tribunal a fait droit à cette demande et enjoint au recteur de reconnaître l'imputabilité de la maladie au service.


Sur le bien-fondé du jugement attaqué :


2. Aux termes des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, en vigueur à la date des faits invoqués par Mme F... : " Le fonctionnaire en activité a droit : / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...).".


3. En premier lieu, les droits à congé de maladie imputable au service de Mme F... doivent être appréciés à la date où sont intervenus les faits dont elle demande la reconnaissance comme accident de service. En l'absence, au sein de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017, de dispositions transitoires étendant le bénéfice des nouvelles dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 relatives au congé pour invalidité temporaire imputable au service aux accidents survenus avant son entrée en vigueur, les dispositions qui précèdent sont donc seules applicables à sa situation.


4. En deuxième lieu, constitue un accident de service, pour l'application de ces dispositions, tout évènement, quelle qu'en soit la nature, survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci, sauf si des circonstances particulières ou une faute personnelle du fonctionnaire détachent cet événement du service.




5. Il ressort des pièces du dossier que la commune de Val de Buëch-Méouge a décidé de modifier les horaires des temps d'activité périscolaires à compter de la rentrée scolaire 2016, ce dont les services de l'inspection académique des Hautes-Alpes n'ont pas été informés, de telle sorte qu'est apparue une discordance entre les horaires arrêtés par ce service et ceux arrêtés par la commune pour les temps d'activité périscolaires, se traduisant par un écart de quinze minutes entre la fin des cours et le début de ces activités, pendant lequel les conditions de surveillance des élèves et les responsabilités afférentes n'étaient pas précisément fixées. Le 9 décembre 2016, M. C..., conseiller pédagogique départemental chargé du suivi de la mise en place des aménagements des rythmes scolaires auprès du directeur académique des services départementaux de l'éducation nationale, a indiqué par téléphone à l'une des enseignantes de l'école que les horaires des temps d'activité périscolaires ne seraient, pour ce motif, pas validés. Mme F... ayant pris contact avec M. C..., celui-ci lui aurait rappelé cette difficulté et indiqué, selon ses dires : " nous nous porterons à charge contre vous s'il arrivait quelque chose pendant ce quart d'heure ". Mme F... a ensuite été appelée, le 12 décembre 2016, par Mme A..., inspectrice de l'éducation nationale chargée de la circonscription, qui lui a rappelé la procédure régissant les changements d'horaires scolaires, lui aurait fait part du mécontentement de parents d'élèves pour diverses raisons, et lui aurait, toujours selon ses dires, demandé : " comment se fait-il que j'entende autant parler de vous en ce moment ' ". Mme F... précise s'être " effondrée " à la suite de ce second appel téléphonique.




6. Si Mme F... indique avoir été victime, au cours des conversations téléphoniques des 9 et 12 décembre 2016, de termes agressifs et méprisants de la part de ces deux interlocuteurs, elle ne fait précisément référence qu'aux propos ci-dessus reproduits et au contexte dans lequel ils sont intervenus, marqué par des tensions liées à la mauvaise articulation des horaires scolaires et périscolaires. Toutefois, pour regrettables que soient les propos de M. C... et de Mme A..., le manque de tact et de mesure qu'ils manifestent ne suffit pas, en l'absence d'autres éléments susceptibles d'établir le caractère pathogène des conversations en cause, à faire regarder ces deux conversations téléphoniques comme des évènements survenus à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service et dont il serait résulté une lésion au sens de la législation sur les accidents de service, la seule circonstance que le certificat médical établi par le Dr Bergeron le 12 décembre 2016 évoque, en se fondant sur les dires de sa patiente, " un syndrome dépressif réactionnel aux difficultés dans le travail " et que les conclusions du rapport d'expertise établi par le Dr Méric pour la commission de réforme mentionnent " un lien de cause à effet entre les lésions invoquées et l'accident du 12 décembre 2016 " étant par elle-même sans incidence sur cette qualification, qui ne saurait découler du seul constat de l'état de santé de l'intéressée, de l'existence de difficultés professionnelles et de l'absence d'antécédents médicaux.


7. En troisième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée, est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.


8. Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demande à la Cour de substituer au motif initial de refus opposé à Mme F..., fondé sur la seule prise en compte des faits survenus le 9 décembre 2016, un nouveau motif tiré de ce que ni ces faits, ni ceux survenus le 12 décembre 2016, ne constituaient un accident de service. Il résulte de ce qui vient d'être dit qu'un tel motif fait une exacte application des dispositions précitées et est, par suite, de nature à justifier légalement le rejet de la demande, que le recteur aurait également rejetée s'il avait entendu initialement se fonder sur ce motif. Cette substitution de motifs ne prive par ailleurs Mme F... d'aucune garantie procédurale. Il y a lieu par suite, dans les circonstances de l'espèce, de procéder à la substitution de motifs demandée.


9. Lorsque le juge d'appel, saisi par le défendeur de première instance, censure le motif retenu par les premiers juges, il lui appartient, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des moyens présentés par l'intimé en première instance, alors même qu'ils ne seraient pas repris dans les écritures produites, le cas échéant, devant lui, à la seule exception de ceux qui auraient été expressément abandonnés en appel.


10. Si Mme F... soutenait devant le tribunal que le recteur avait entaché sa décision d'une inexacte application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, il résulte de ce qui vient d'être dit au point 3 ci-dessus que ces dispositions ne lui étaient pas applicables et que ce moyen devait en tout état de cause être écarté.


11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision du 27 avril 2017 par laquelle le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a refusé de reconnaître l'imputabilité de la pathologie de Mme F... à un accident de service. Il en résulte qu'il est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille et le rejet de la demande de première instance de Mme F....


Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par Mme F... sur leur fondement soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1706725 du tribunal administratif de Marseille du 18 novembre 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme F... devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de Mme F... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à Mme B... F....

Délibéré après l'audience du 26 avril 2021, où siégeaient :

- Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. G... Grimaud, premier conseiller,
- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mai 2021.

2
N° 20MA00249
my