CAA de NANTES, 6ème chambre, 18/05/2021, 19NT04063, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 mai 2021
Num19NT04063
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. GASPON
RapporteurMme Valérie GELARD
CommissaireM. LEMOINE
AvocatsCABINET VERONIQUE DE TIENDA-JOUHET

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Rennes d'annuler la décision du 23 septembre 2016 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité.

Par un jugement n° 17/00013 du 4 juin 2019, ce tribunal a réformé cette décision en ce qu'elle a considéré que " l'infirmité qualifiée de séquelles de la cataracte traumatique bilatérale opérée [que présente M. C...] n'était pas aggravée " mais a rejeté sa demande de revalorisation de sa pension militaire d'invalidité.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 2 et 10 juillet 2019, puis les 14 octobre et 8 décembre 2020, au greffe de la cour régionale des pensions de Rennes puis au greffe de la présente cour, sous le n° 19NT04063, M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Rennes du 4 juin 2019 en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) de dire qu'il a droit à compter du 11 janvier 2016 à une pension militaire d'invalidité au taux de 100 % pour cécité ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision contestée est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- il ne pouvait être décidé que l'aggravation de son handicap était liée à la dégénérescence maculaire liée à l'âge dont il souffre dès lors que le médecin-expert ne s'est pas prononcé en ce sens et a conclu à la majoration de son taux d'invalidité ; l'aggravation de son infirmité est liée à son âge et non à une pathologie nouvelle, de sorte que sa demande ne pouvait être rejetée sur le fondement de l'article L. 29 ( devenu l'article L. 154-1) du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre compte tenu de sa cécité pratique le rendant quasiment aveugle ;
- compte tenu de sa cécité pratique, il peut prétendre à l'application des dispositions de l'article L. 215 (devenu l'article L. 154-3) du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui vise non seulement les accidents mais également les maladies sans se référer à la notion d'imputabilité au fait initial.

Par des mémoires, enregistrés les 23 septembre 2019 et 29 octobre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 et notamment son article 51 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. A la suite de l'explosion d'une grenade, le 9 mai 1947, M. C..., qui était alors âgé de dix ans, a perdu l'usage de son oeil gauche et sa vision de l'oeil droit a été réduite. Ayant le statut de victime civile de la guerre 1939-1945, il perçoit une pension militaire d'invalidité. Le 10 janvier 2016, il a demandé une revalorisation de cette pension afin de prendre en compte l'aggravation de déficience visuelle et du rétrécissement de son champ de vision. Par une décision du 23 septembre 2016, la ministre des armées a rejeté sa demande. M. C... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires de Rennes, qui a ordonné une expertise confiée au docteur Jambon. Par un jugement n° 17/00013 du 4 juin 2019, ce tribunal a réformé la décision de la ministre des armées en ce qu'elle a considéré que les séquelles de la cataracte traumatique bilatérale dont M. C... était atteint ne s'étaient pas aggravées mais a rejeté la demande de l'intéressé tendant à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité. M. C... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions et demande à la cour de porter le taux de la pension militaire d'invalidité qu'il perçoit au titre de sa cécité de 86 % à 100 %.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision contestée :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 25 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction en vigueur à la date de la demande présentée par M. C... : " Toute décision comportant attribution de pension doit être motivée et faire ressortir les faits et documents ou les raisons d'ordre médical établissant que l'infirmité provient de l'une des causes indiquées à l'article L. 2 (...). Toute décision comportant rejet de pension doit être également motivée et faire ressortir qu'il n'est pas établi que l'infirmité provient de l'une des causes indiquées à l'article L. 2 (...) ". Aux termes de l'article L. 26 du même code : " Toute décision administrative ou judiciaire relative à l'évaluation de l'invalidité doit être motivée par des raisons médicales et comporter, avec le diagnostic de l'infirmité, une description complète faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte de l'état général qui justifient le pourcentage attribué. ".
3. La décision de la ministre des armées du 23 septembre 2016 refusant la revalorisation de la pension militaire d'invalidité accordée à M. C... vise le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, notamment ses articles L. 29, L. 4 et L. 5, ainsi que la demande présentée par l'intéressé et les avis de la commission consultative médicale du 15 juin 2016 et de la commission de réforme de Rennes du 22 septembre 2016. Elle indique qu'aucune aggravation n'a été constatée après expertise réglementaire pour les séquelles de cataracte traumatique bilatérale dont il souffre et que l'infirmité d'asthénopie qu'il invoque est inexistante. Contrairement à ce que soutient le requérant, cette motivation doit être regardée comme suffisante.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction en vigueur à la date de la demande présentée par M. C... : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. (...) / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins du pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée (...) ". Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.

5. Il est constant que, lors de l'examen réalisé le 29 mars 2016, le docteur Jambon a constaté une aggravation par détérioration de l'acuité visuelle de l'oeil droit de M. C..., celle-ci étant désormais réduite à 1/10ième alors qu'en 2007 elle avait été évaluée à 4/10ième. Cet expert a également indiqué que l'intéressé, qui se plaignait d'un rétrécissement accru de son champ visuel et de la baisse de son acuité visuelle, lui avait signalé qu'il était suivi pour une dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). Le requérant soutient que la ministre ne pouvait cependant prendre en compte cet élément dès lors que l'expert avait conclu à la majoration de sa pension militaire d'invalidité. Si le docteur Jambon a en effet estimé que " le taux d'invalidité à retenir pour une acuité visuelle à moins de 1/20ième à l'oeil gauche et 1/10ième à l'oeil droit est de 100% ", la ministre s'est bornée, ainsi qu'il lui incombait de le faire, à vérifier que l'intéressé entrait bien dans le champ d'application de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Il ressort d'ailleurs des pièces du dossier et notamment du certificat établi le 17 juillet 2015 par le docteur Fajnkuchen, ophtalmologiste, que M. C... était suivi au centre d'imagerie et de laser depuis le 11 février 2015 pour une DMLA " exsudative ". Prenant en compte cet élément, la commission consultative médicale, puis la ministre qui a suivi l'avis rendu par cette instance, ont ainsi estimé que l'aggravation de la détérioration de l'acuité visuelle de M. C... était liée en partie à une dégénérescence maculaire liée à l'âge et ne permettait pas de lui accorder la majoration sollicitée au titre de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. A l'appui de ses conclusions, M. C..., qui n'a pas développé la forme la plus courante de la DMLA, dite " sèche " par opposition à la DMLA " humide " (ou exsudative), n'apporte aucun élément de nature à établir que la DMLA dont il souffre serait uniquement liée au vieillissement et ne constituerait pas une pathologie distincte de l'infirmité pensionnée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ne peut qu'être écarté.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 215 code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction en vigueur à la date de la demande présentée par M. C... : " Les victimes civiles de guerre qui avaient perdu un oeil ou un membre, ou étaient atteintes de surdité totale unilatérale, avant le fait de guerre ayant causé la perte du second oeil ou d'un second membre ou la surdité totale de l'autre oreille, et qui présentent ainsi une invalidité absolue, obtiennent une pension d'invalidité d'un taux égal à celui qui leur serait attribué si toutes leurs infirmités étaient imputables à un fait de guerre./ Ce taux est également celui de la pension allouée aux victimes civiles qui, déjà pensionnées pour la perte d'un oeil ou d'un membre ou pour surdité totale unilatérale, viennent à perdre le second oeil ou un second membre, ou à être atteintes de surdité de l'autre oreille, par suite d'un accident postérieur à la liquidation de leur pension et présentent, de ce fait, une incapacité absolue, sans être indemnisées par un tiers pour cette seconde infirmité. Dans ce cas, le recours de l'Etat s'exerce contre le tiers responsable de l'accident. ". Par ailleurs, conformément au guide-barème des invalidités applicable au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " sont atteints de cécité complète, ceux dont la vision est abolie (...). Sont considérés comme atteints de quasi-cécité ou cécité pratique : 1°- ceux dont la vision centrale est égale ou inférieure à un vingtième d'un oeil, celle de l'autre étant inférieure à un vingtième, qu'il y ait ou non déficience des champs visuels ; 2°- ceux qui, gardant pour l'oeil le meilleur une acuité au plus égale à 2/10, présentent en même temps une altération du champ visuel des deux côtés telle que celui-ci n'excède pas 10 degrés dans le secteur le plus étendu. ".
7. Il ressort des pièces du dossier et notamment de l'expertise réalisée par le docteur Jambon, que si M. C... est aveugle de l'oeil gauche depuis l'accident dont il a été victime en 1947, son oeil droit présente une acuité visuelle de 1/10ième. Par suite, et sans qu'il soit besoin de vérifier s'il remplit les autres conditions fixées à l'article L. 215 code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, il ne peut être regardé comme ayant perdu son second oeil, au sens de ces dispositions. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'en refusant de lui accorder la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité la ministre des armées aurait méconnu ce texte.

8. Il résulte de tout ce qui précède, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Rennes a rejeté sa demande. Pour les mêmes motifs, ses conclusions tendant à ce que la cour reconnaisse qu'il a droit à compter du 11 janvier 2016 à une pension militaire d'invalidité au taux de 100 % pour cécité, ne peuvent qu'être écartées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. C... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 30 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
















Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mai 2021.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX


La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.



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N° 19NT04063