CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 28/05/2021, 19MA05143, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision28 mai 2021
Num19MA05143
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre
PresidentM. BADIE
RapporteurM. Didier URY
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsJEAN-PAUL EON - CLAUDINE ORABONA AVOCATS ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bastia d'annuler la décision du 2 février 2017 par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité " séquelles douloureuses et fonctionnelles de traumatisme du genou droit. Hydarthrose droite et amyotrophie du quadriceps droit ", ainsi que la prise en compte de la nouvelle infirmité " psycho-syndrome post traumatique de guerre ".

Par un jugement n° 17/00019 du 19 novembre 2018, le tribunal des pensions militaires de Bastia a annulé la décision du 2 février 2017 du ministre de la défense qui rejette la demande de révision de pension de M. D..., a dit que M. D... a droit à compter du 20 mars 2015 à une pension pour un taux d'invalidité de 30% pour l'infirmité de " séquelles douloureuses et fonctionnelles de traumatisme du genou droit. Hydarthrose droite et amyotrophie du quadriceps droit ", a condamné l'Etat aux dépens, et a rejeté le surplus de la requête de M. D....

Procédure devant la Cour :

La cour régionale des pensions de Bastia a transmis à la cour administrative d'appel de Marseille, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la requête présentée par M. D..., enregistrée à son greffe le 10 décembre 2018.




Par cette requête et deux mémoires enregistrés le 17 décembre 2020 et le
18 février 2021, M. C... D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

- d'annuler ce jugement du tribunal des pensions militaires de Bastia du
19 novembre 2018 en tant qu'il ne lui a pas accordé une pension au titre de l'infirmité de " psycho-syndrome post traumatique de guerre " ;
- de lui accorder une pension au titre de l'infirmité de " psycho-syndrome post traumatique de guerre " au taux de 30% ;
- à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale ;
- de laisser les dépens à la charge de l'Etat.

Il soutient que l'expertise du docteur Quilichini du 16 juin 2016 démontre qu'il souffre d'un syndrome post-traumatique de guerre grave typique avec reviviscence des évènements, vécu douloureux, humeur triste, violente culpabilité, troubles du sommeil, cauchemars, flash-back, qui nécessite que lui soit attribué un taux de 30% ; les dispositions du décret du
10 janvier 1992 relatif aux troubles psychiques de guerre n'imposent pas la preuve d'un fait précis de service.


Par deux mémoires en défense enregistrés le 3 mai 2019 et le 21 octobre 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

La ministre fait valoir que les moyens de M. D... ne sont pas fondés.


Par ordonnance du 19 février 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au
15 mars 2021 à 12 heures.


M. D... bénéficie de l'aide juridictionnelle par une décision du 31 décembre 2018.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
- et les observations de Me E..., substituant Me A..., pour M. D....





Considérant ce qui suit :

1. M. D..., né le 25 février 1953, a servi dans l'armée de terre du 26 octobre 1974 au
5 août 2001, date à laquelle il a été rayé des contrôles au grade d'adjudant-chef. Il bénéficie d'une pension militaire d'invalidité pour trois infirmités. Il relève appel du jugement du
19 novembre 2018 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bastia en tant qu'il lui refuse une concession de pension au titre de l'infirmité nouvelle de " psycho-syndrome post traumatique de guerre " au taux de 30%.


Sur le droit à pension de M. D... :

2. D'une part, qu'aux termes l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) ". Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service. Dans le cas contraire, elle doit être regardée comme résultant d'une maladie.

3. D'autre part, il résulte des dispositions combinées des articles L. 2 et L. 3 citées
ci-dessus que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut pas bénéficier de la présomption légale d'imputabilité au service, il lui incombe d'apporter la preuve de cette imputabilité par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service. Lorsqu'il est établi que les troubles psychiques trouvent leur cause directe et déterminante dans une ou plusieurs situations traumatisantes auxquelles le militaire en opération a été exposé, en particulier pendant des campagnes de guerre, la seule circonstance que les faits à l'origine des troubles n'aient pas été subis par le seul demandeur de la pension mais par d'autres militaires participant à ces opérations, ne suffit pas, à elle-seule, à écarter la preuve de l'imputabilité.

4. Enfin, le décret du 10 janvier 1992 déterminant les règles et barèmes pour la classification et l'évaluation des troubles psychiques de guerre ne dispense pas le demandeur d'une pension de rapporter la preuve de l'imputabilité au service de l'infirmité concernée.

5. Il ne résulte pas de l'instruction que M. D... a sollicité des consultations pour des souffrances psychiques durant la période de son engagement militaire. Il a formulé sa demande relative à la nouvelle infirmité correspondante en novembre 2011, soit plus de dix ans après la fin de son activité et près de 30 ans après son séjour au Liban. Il se fonde pour contester le refus de l'administration de lui accorder une pension à ce titre sur un certificat d'un omnipraticien du 26 septembre 2011 et sur l'expertise du docteur Quilichini du 16 juin 2016, médecin mandaté par l'administration pour se prononcer sur le taux d'invalidité provoqué par l'infirmité en cause et son éventuelle imputabilité au service, qui indique que M. D... souffre d'un syndrome post-traumatique de guerre grave typique avec reviviscence des évènements, vécu douloureux, humeur triste, violente culpabilité, troubles du sommeil, cauchemars, flash-back, qui nécessite que lui soit attribué un taux de 30%. Il soutient que son infirmité résulte de sa période de service au Liban où il servait au sein de la Force intérimaire des Nations-Unies (FINUL), caractérisée par des missions d'interpositions entre les parties en présence sans possibilité pour les personnels de riposter aux attaques, bombardements, et embuscades dont ils étaient victimes, avec les risques encourus du fait des terrains minés ayant provoqué des morts au sein de la force. Selon M. D..., ces conditions particulières d'engagements, qui sont attestées par le rapport du secrétaire général de la FINUL pour la période du 11 décembre 1981 au 3 juin 1982, ont causé une tension particulière d'impuissance liée à la nécessité de supporter des agressions sans capacité de réagir, lesquelles sont à l'origine de l'infirmité en cause. Le traumatisme qui en résulte lui aurait fait particulièrement ressentir l'évènement dramatique du Drakkar du
22 octobre 1983, encore accentué par l'organisation par ses soins des funérailles d'un camarade décédé au Liban, les tragiques évènements de Corse de 2011 ainsi que le plastiquage de la direction départementales de l'équipement (D.D.E) de ce territoire. La ministre conteste l'existence de tout lien entre ces événements et l'infirmité de M. D... en faisant valoir, d'une part, que l'expérience traumatisante au Liban n'est étayée par aucun élément permettant d'en apprécier la véracité et, d'autre part que l'intéressé n'a pas personnellement subi les autres évènements qui l'auraient affecté.

6. En l'espèce, hormis des considérations générales, M. D... ne fournit aucune précision sur les faits de service ou les circonstances particulières déterminées qui auraient eu un retentissement sur son état psychique durant son service au Liban. En ce qui concerne les conséquences, sur sa santé psychique, de l'attaque du Drakkar, des attentats contre la D.D.E et des autres évènements tragiques survenus en Corse, il est constant que l'intéressé n'a pas été personnellement exposé à ceux-ci. Si le docteur Quilichini, qui s'appuie sur les doléances de
M. D..., propose un taux d'infirmité de 30%, il résulte de ce qui vient d'être dit, comme l'a relevé la commission consultative médicale dans le cadre de l'instruction de la demande, qu'aucun élément ne permet de rattacher l'affection de M. D... au service. Dans ces conditions, l'intéressé n'établit pas le lien direct et certain entre les événements dont il fait état et son infirmité, qui permettrait de la regarder comme une blessure trouvant son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service ou même comme une pathologie imputable au service et le psycho-syndrome post-traumatique dont il se prévaut ne peut ouvrir droit au bénéfice d'une pension.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la mesure d'expertise demandée par M. D..., que celui-ci n'est pas fondé à demander l'annulation partielle du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bastia du 19 novembre 2018.


Sur les dépens :

8. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la requête d'appel de M. D... doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant au paiement des entiers dépens de l'instance, laquelle n'en comprend, au demeurant, aucun.






D É C I D E :



Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Me A... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2021, où siégeaient :

- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. B..., premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2021.



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N° 19MA05143