CAA de NANTES, 6eme chambre, 15/06/2021, 19NT04033, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... J... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Rennes d'annuler la décision du 23 septembre 2016 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'obtention d'une pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 16/00028 du 5 mars 2019, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 avril 2019 au greffe de la cour régionale des pensions de Rennes et des mémoires complémentaires enregistrés les 2 et 5 novembre 2020, sous le n° 19NT04033 devant la présente cour, M. J..., représenté par Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Rennes du 5 mars 2019 ;
2°) de lui accorder le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité " séquelles de traumatisme de l'épaule droite ", au taux d'invalidité de 10% à compter du jour de la demande, soit le 26 mai 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat, de la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- en ne prenant pas en compte les conclusions complétives du rapport circonstancié de l'accident du 16 juillet 2013 mentionnant sa blessure du 16 juillet 2009, le tribunal a fait une appréciation erronée des faits de la cause ;
- l'existence de sollicitation du corps médical entre le 16 juillet 2009 et le 12 février 2013 est établie ;
- les attestations produites du 21 décembre 2018 démontrent la réalité des blessures subies ;
- il s'est blessé le 16 juillet 2009 lors d'un déchargement de caisses d'outillage très lourdes, ce que confirment les témoignages produits.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 septembre 2019 au greffe de la cour régionale des pensions de Rennes et le 18 novembre 2020 devant la présente cour, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. J... ne sont pas fondés.
M. J... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. J..., major de l'armée de terre en service dans les troupes de marine, a sollicité, le 20 mai 2014, le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité en raison d'un syndrome de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite, du fait d'une subluxation du tendon du long biceps provoquée, selon lui, le 16 juillet 2009, par le port de caisses de matériel alors qu'il était en mission en dehors du sol national. Sa demande a été rejetée par une décision du ministre de la défense du 23 septembre 2016. Par sa requête visée ci-dessus, M. J... relève appel du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Rennes du 5 mars 2019 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et sollicite le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux d'invalidité de 10% à compter du jour de sa demande, soit le 26 mai 2014.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L.2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article L.3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, (...) au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
4. Pour rapporter la preuve que le syndrome de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite a été provoqué par le port de caisses de matériel, alors qu'il était en mission en dehors du sol national le 16 juillet 2009, M. J... produit les témoignages de M. A..., mécanicien, du 5 avril 2017, de M. D... et de Mme G..., militaires, du 5 et du 23 avril 2017, de M. I..., mécanicien armement, établi le 24 mars 2020 et de M. E..., rédigé le 26 mars 2020, en poste en Afghanistan au même moment que l'intéressé. Il produit également le témoignage de M. C..., médecin militaire, rédigé le 21 décembre 2018. Il se prévaut enfin d'un rapport circonstancié du 16 juillet 2013 au terme duquel l'intéressé a sollicité le corps médical le lendemain des faits en question.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les attestations produites ont été établies, pour les plus récentes, en 2017, soit huit ans après les faits invoqués. M. C..., médecin militaire, précise en particulier qu'il a réalisé de très nombreuses consultations pendant cette période et a pris en charge de nombreuses victimes. Il indique vaguement se souvenir avoir pris en charge un soldat français travaillant en atelier, qui s'était plaint de son épaule droite après le port de charges lourdes dans la journée, tout en attestant que M. J..., avec qui il n'avait plus de contact après ce séjour en Afghanistan, " puisse correspondre à ce patient " dont il avait gardé souvenir parmi d'autres. Figurent également au dossier médico-administratif du requérant, un compte-rendu de visite médicale du 1er avril 2010, rédigé par le Dr Jousseaume, au terme duquel M. J... signale n'avoir aucun problème médical depuis sa visite précédente, ne prendre aucun médicament et n'avoir consulté aucun médecin. A la question " avez-vous des informations à signaler concernant votre état de santé après ces missions ou séjours ' ", l'intéressé a répondu " non ". M. J... a été déclaré apte à servir, à faire campagne sans restriction au terme de cette visite. Lors de la visite annuelle du 9 février 2011, l'examen locomoteur n'a révélé aucune anomalie sur les membres supérieurs et l'intéressé a de nouveau été déclaré apte à servir sans restriction. Lors de la visite annuelle réalisée le 16 janvier 2012, il est noté, dans l'onglet " examen clinique " : " pas de doléance ". A la question " avez-vous consulté un médecin ' Si oui pour quel motif ' ", l'intéressé a répondu " oui - entorse ". De fait, M. J... ne s'est plaint d'aucun problème à l'épaule jusqu'au 12 février 2013, date de la première mention au livret médical d'une " douleur de l'épaule droite ". Le rapport circonstancié établi le 16 juillet 2013, soit 4 ans après les faits relatés, ne démontre pas la filiation entre la blessure et l'infirmité invoquée. S'il est noté sur ce document que l'intéressé a sollicité le corps médical le lendemain des faits, puis une fois rentré de mission, le dossier médical de M. J... ne fait état d'aucune consultation le lendemain des faits allégués à l'infirmerie du camp, ni au retour de l'intéressé d'Afghanistan. Enfin, la copie d'une séance de soin en ostéopathie effectuée le 15 avril 2010 produite, ne saurait constituer une justification d'avoir consulté le corps médical avant 2013 pour soulager la blessure en cause, ce document n'indiquant nullement pour quelle pathologie l'intéressé a consulté. Dans ces conditions, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée n'est pas établie.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. J... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. J... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. J... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. F... J....
Délibéré après l'audience du 28 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juin 2021.
Le rapporteur,
F. B...Le président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03865