CAA de LYON, 3ème chambre, 30/06/2021, 19LY01725, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision30 juin 2021
Num19LY01725
JuridictionLyon
Formation3ème chambre
PresidentM. TALLEC
RapporteurM. Pierre THIERRY
CommissaireM. DELIANCOURT
AvocatsKOVARIK-OVIZE

Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :
1°) d'annuler la décision n° 2016-25 du 13 juin 2016 par laquelle le directeur de l'EHPAD de Vizille l'a maintenu en disponibilité d'office pour raison de santé jusqu'à l'avis de la commission de réforme sur son admission à la retraite pour invalidité et ce faisant a rejeté sa demande du 28 février 2016 tendant à ce que la maladie au titre de laquelle il est en arrêt de travail depuis le 4 mars 2012 soit reconnue comme imputable au service ;
2°) d'enjoindre à l'EHPAD de Vizille, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, de reconnaître que sa maladie est imputable au service et consécutivement de le mettre dans une position statutaire conforme et de reconstituer sa carrière depuis le 4 mars 2012 ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale.
Par un jugement n° 1702790 du 7 mars 2019, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 13 juin 2016.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 6 mai 2019 et le 13 mai 2020, l'EHPAD de Vizille, représenté par Me H..., demande à la cour de :
1°) prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 mars 2019 en ce qu'il lui a enjoint de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de la maladie dont souffre M. C... depuis le 4 mars 2012 et d'en tirer toutes les conséquences statutaires qui en découlent dans un délai de 2 mois à compter de la notification du jugement ;
2°) " réformer " ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 mars 2019 ;
3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur le sursis à exécution :
- il remplit les conditions du sursis à exécution car le jugement l'expose à la perte d'une somme d'argent ;
- l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens soulevés contre le jugement sont sérieux ;

Sur la régularité du jugement :
- la demande de M. C... devant le tribunal administratif de Grenoble était tardive et irrecevable ;
- la décision litigieuse est motivée ;
- la séance de la commission de réforme s'est déroulée régulièrement ;
- M. C... ne remplit pas les critères d'une imputabilité au service ; le tribunal administratif de Grenoble n'a pas tenu compte de la circonstance que M. C... n'a déclaré à aucun moment une maladie professionnelle ; si M. C... ne s'est plus senti reconnu avec la nouvelle direction, cela ne relève pas d'une imputabilité au travail, mais bien de sa personnalité profonde.

Par des mémoires en défense enregistrés le 4 janvier 2020 et le 25 juillet 2020, M. C..., représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué sur l'annulation et l'injonction, subsidiairement que soit ordonnée une expertise, et que soit mise à la charge de l'EHPAD de Vizille la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Il soutient que :
- les conclusions concernant le sursis à exécution du jugement sont irrecevables ;
- les moyens ne sont pas fondés ;
- subsidiairement la décision n'est pas motivée et a été prise à la suite d'une procédure irrégulière.

Par ordonnance du 19 mai 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 3 août 2020.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juin 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi no 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant l'EHPAD de Vizille ;


Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ouvrier professionnel qualifié titulaire, était affecté à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Vizille dans les fonctions de cuisinier, lorsqu'il a été placé en arrêt de travail, à compter du 4 mars 2012, pour un épisode dépressif sévère qui a abouti à son placement en congé de longue maladie, de cette date jusqu'au 3 mars 2015, puis à sa mise en mise en disponibilité d'office, dans l'attente de sa mise à la retraite. La demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de son affection, que M. C... a formée le 26 février 2016, a été rejetée, après avis de la commission de réforme, rendu le 2 juin 2016, par une décision du directeur de l'EHPAD de Vizille du 13 juin 2016. L'EHPAD de Vizille relève appel du jugement rendu le 7 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. Si l'EHPAD de Vizille soutient qu'il a notifié la décision litigieuse à M. C... le 27 juin 2016, ce dernier affirme ne l'avoir reçue que par un courrier recommandé du 20 mars 2017 et après en avoir demandé vainement la communication à plusieurs reprises. L'EHPAD de Vizille ne produisant aucun élément de nature à établir que M. C... a reçu notification de la décision litigieuse avant le 20 mars 2017, le moyen tiré de ce que la demande de ce dernier, enregistrée le 17 mai 2017, était tardive et donc irrecevable, ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L.27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ". Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. M. C... a été vu par plusieurs médecins psychiatres, dont en dernier lieu B... L***, expert psychiatre, qui l'a examiné, à la demande de l'EHPAD de Vizille. Si ce médecin a conclu dans son rapport que les arrêts de travail dont a bénéficié M. C... à compter du 4 mars 2012 ne sont pas imputables au service et que ce dernier avait une personnalité narcissique et quérulente, ces traits de personnalité n'ont été relevés ni par B... B*** dans son compte rendu du 16 mars 2015, ni par B... F*** dans ses certificats médicaux des 15 novembre 2014 et 5 avril 2016. En outre, et quoi qu'il en soit, l'ensemble des psychiatres ou médecins qui se sont prononcés sur le cas de M. C... ont relevé que son affection coïncidait avec l'arrivée d'un nouveau supérieur hiérarchique et la nouvelle organisation du travail qui a été mise en place, laquelle a conduit à lui confier des tâches plus nombreuses, répétitives ou normalement réservées à des agents moins qualifiés, et, selon l'intéressé, à des ordres contradictoires. Cette situation a débouché sur des difficultés relationnelles et un sentiment de dépréciation chez M. C.... Il est par ailleurs relevé, avec la même unanimité de ces professionnels de santé, que M. C... n'a pas d'antécédents psychiatriques et n'avait jamais rencontré de difficulté dans sa vie professionnelle antérieure, commencée très jeune, B... F*** ajoutant qu'il n'avait pu repérer de trouble de la personnalité chez ce patient. Dans ces circonstances, le lien direct, même non exclusif, de l'affection de M. C... avec l'exercice de ses fonctions, sans qu'un fait personnel de ce dernier ou une autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service, est établi par les pièces du dossier. Il en résulte que l'EHPAD de Vizille n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont annulé la décision de son directeur du 13 juin 2016 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'affection de M. C....
Sur la demande de sursis à exécution du jugement :
5. Les conclusions à fin d'annulation dirigées contre le jugement attaqué étant rejetées par le présent arrêt, il en résulte qu'il n'y pas lieu de statuer sur cette demande de sursis à exécution, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité.
Sur les conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative faisant obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante, une somme à ce titre, les conclusions de EHPAD de Vizille en ce sens doivent être rejetées.
7. M. C... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat, Me D... peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EHPAD de Vizille la somme de 1800 euros, à verser à Me D..., sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission qui lui a été confiée.
D E C I D E :


Article 1er : La requête de EHPAD de Vizille est rejetée.
Article 2 : L'EHPAD de Vizille versera une somme de 1 800 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à Me D..., avocat de M. C....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EHPAD de Vizille, à M. F... C... et à Me D....


Délibéré après l'audience du 15 juin 2021 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Mme E... G..., première conseillère.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2021.




















No 19LY017252